• Accueil
  • > SOCIETE
  • > De l’expressionnisme au nazisme; les arts et la contre révolution en Allemagne 1914 -1933. – 7/8 -

De l’expressionnisme au nazisme; les arts et la contre révolution en Allemagne 1914 -1933. – 7/8 -

De l’expressionnisme au nazisme; les arts et la contre révolution en Allemagne 1914 -1933.

Article paru dans « Eléments pour une analyse du fascisme / 1« . Intervention de Jean-Michel Palmier lors du
Séminaire de M-A. Macciocchi- Paris VIII – Vincennes 1974 -1975. UGE Editions – Collection 10-18 – 1976 -

Quelques exemples et quelques formes d’art nazi

3 / Les arts plastiques

En abordant d’autres formes d’art comme la sculpture ou la peinture, nous retrouvons les mêmes thèmes que ceux précédemment évoqués à propos de l’idéologie de l’art en général ou la littérature. Il s’agissait aussi de donner une forme plastique aux valeurs fondamentales du régime. Aussi l’un des traits fondamentaux des arts plastiques à l’époque hitlérienne, c’est l’absence totale d’originalité.

La sculpture est sans doute l’une des formes les plus caractéristiques de l’écrasement de l’art par la propagande. Particulièrement appréciée d’Hitler, elle connut en Allemagne toute une série de représentants, chacun s’efforçant de concrétiser dans le bronze ou le marbre les idéaux du parti. Nous tenterons d’en dégager quelques caractères à partir de catalogues d’exposition édités à l’époque hitlérienne et les principales revues artistiques alors diffusées.

Union de l’architecture et de la sculpture

La collaboration Breker-Speer n’est pas un simple hasard dans l’histoire de l’art nazi. Elle exprime l’essence de la fonction que les nazis donnaient aux arts plastiques : incarner l’idéal politique du Reich, créer des monuments qui, à l’échelle de la nation toute entière, en affirme les valeurs. C’est dans le  » monument  » que l’architecture et la sculpture étaient appelés à collaborer le plus étroitement. L’une des premières constructions nazies fut un monument : celui qui fut élevé à Munich, sur la Königplatz à la gloire des membres du parti morts au cours des années qui précédaient la prise du pouvoir. Un peu partout, en Allemagne, on construisit de tels monuments qui voulaient unir la sculpture et l’architecture. Des Corps Francs aux commandants de sous-marins, chaque formation voulait son monument. On avait aussi projeté à Berlin, un monument géant – le Siegestor – à la gloire des soldats tombés au cours de la première guerre mondiale. mais à côté des morts, une grande place était accordée aux « héros présents ». Ce qui caractérise la plupart de ce type de réalisations, c’est une sorte de parodie du Moyen-Age – certains monuments ressemblent à de véritables forteresses médiévales – et du classicisme romain.

Les statues n’étaient pas seulement destinées à compléter l’architecture, mais aussi à rendre omniprésents les idéaux du nazisme. Dans la plupart des villes allemandes, elles furent érigées. La production de statues connut à cette époque quelque chose de démentiel. Un numéro de 1939 de la revue « Die Kunst im Dritten Reich » nous donne les chiffres  suivants : en 1937, on a érigé 200 statues; en 1938, 380; en 1939,680, réalisées par 265 sculpteurs.

De l'expressionnisme au nazisme; les arts et la contre révolution en Allemagne 1914 -1933. - 7/8 - dans SOCIETE die-kunst-im-dritten-reich

Il est bien évident qu’il reste peu de choses de cette production. Les œuvres dont je parlerai ne me sont connues que par reproduction où à travers de rares expositions. pour les sculptures, j’insisterai sur celles qui ont été réalisées par Arno Breker, le plus célèbre artiste de l’époque hitlérienne, ayant eu l’occasion de les étudier assez longuement. (10)

La monumentalité

Comme l’architecture, la sculpture se veut « Kolossal ». Les plus grandes statues ont été détruites (souvent par les troupes américaines), comme symboles de l’art nazi, d’autres transformées en matériaux de construction ou transportées dans des collections privées. Si l’on en juge par les descriptions et les photographies, la plupart avaient une taille imposante et s’efforçaient de renouer avec la tradition antique. Certaines n’ont pas disparues ( celles qui ornaient le stade olympique de Berlin sont encore  en partie en place), mais les noms de leurs auteurs supprimés ou cachés. Dans les histoires de l’art éditées après 1945, on omet soigneusement les noms des sculpteurs qui connurent leur apogée sous le troisième Reich. Pourtant, ils connurent une grande célébrité. Parmi les plus représentatifs auteurs de ces statues monumentales, il faut citer : Arno Breker, Josef Thorak, Kolbe, Scheibe et Klimsch. Qu’il s’agisse de porteurs de torche, des athlètes de Breker ou des colosses nus de Thorak, une grande partie de ces statues atteignaient 5 à 6 mètres de haut. Des sommes gigantesques étaient allouées par le régime pour la fonte de ces œuvres. La grandeur de l’idéal nazi, la force de son idéologie voulait s’exprimer par ce monumentalisme des œuvres plastiques.

josef-thorak dans SOCIETE

Imitation de l’antique

La plupart des œuvres plastiques de l’époque hitlérienne sont conçues sur le modèle romain. L’idéal classique qui fascina le romantisme allemand, le modèle de la statuaire grecque que Winkelmann voulait imposer à tous les artistes de son temps, les nazis prétendaient le réaliser dans les faits. Breker était, dans sa jeunesse, un admirateur fervent de Rodin et de Maillol. Après avoir réalisé avant 1930 de nombreux dessins de femmes (sanguines principalement, fusain, encre de chine), Breker est fasciné dès sa jeunesse par les œuvres grecques et romaines. Ses premières œuvres sont fortement marquées par Rodin (Saint-Mathieu); séjournant à Rome, il admire tellement les statues des musées qu’il semble avoir été tenté de les reproduire à l’infini. De retour en Allemagne, il sculpte des bustes dans le plus pur style classique et des statues qui préfigurent ses grandes réalisations ultérieures. Hostile au cubisme, il se veut délibérément le porte-parole de ce retour à l’antique. S’il réalise des bustes de dignitaires nazis (Hitler, Goebbels, Speer, la fille de Göring), il atteint surtout la célébrité par ce néo-classicisme qui plait tant à Hitler. Alors que d’autres sculpteurs s’orienteront vers les œuvres de propagande héroïque, – soldats, généraux, héros à croix gammées - Breker réalise surtout des sculptures d’athlètes (il est l’auteur des célèbres sculptures du stade olympique de Berlin, filmées par Léni Riefenstahl au début de son film Les Dieux du stade ), et l’ »athlète » demeurera avec la « femme-vénus » le thème obsédant de son œuvre.

leni-riefensthal-227x300

Léni Rifensthal

On retrouve dans ses sculptures l’idéalisation de la forme corporelle, de la pureté classique, de la virilité, de la féminité, communes à la plupart des œuvres nazies.

Glorification du corps

La plupart des œuvres nazies ne se contentent pas de produire en chaîne des « Adam », des « Vénus », et de recopier toutes les muses grecques et latines : il s’agit de montrer dans la pierre, le bronze, quel est l’idéal de la race nouvelle. Breker se spécialisera dans la reproduction de porteurs de flambeaux, de glaive, d’athlètes mais aussi dans la représentation de l’idéal de beauté féminine : Grâces, Psyché, muses qui rappellent les statues qui ornent un peu partout les jardins et les parcs. Lui dénier le moindre don serait absurde. Breker, Prix de Rome, était assurément  l’un des sculpteurs les plus « doués » de sa génération. Nier, comme l’on fait certains le caractère idéologique de ses productions est un non-sens: il a glorifié avec le sport, l’idéal physique, une partie essentielle de l’idéologie nazie.

thorak-kamaradschaftJoseph Thorak -Kamaradschaft -

Plus stupides, les sculptures de Josef Thorak frappent par leur laideur et l’impression de brutalité qui s’en dégage. S’agit-il de la reprise de l’ »idéal classique » ? En aucun cas. Peut-on encore appeler « corps » ces paquets des muscles, ces colosses nus, se tenant par la main, véritables athlètes de foire, dont le visage exprime une innommable brutalité? Mais, du lanceur de disque brekerien au colosse de Thorak, c’est toujours la même idéologie qui s’affirme.

Virilité, féminité

Si les nazis admirent si profondément l’art grec, c’est qu’ils y trouvent représenté l’idéal des fonctions masculines et féminines : l’homme est courageux et viril, la femme faite pour la maternité. Breker a idéalisé la forme classique, l’athlète, Thorak glorifie la force et la brutalité. Ce trait de brutalité est sans doute l’un des des traits les plus caractéristiques de la sculpture nazie. Non seulement la musculature est démesurée, mais le visage massif, souvent carré, exprime la haine et la violence. Si cette expression de brutalité satisfaite culmine chez Thorak, Breker donne aux figures de ses « soldats » et de ses « héros » une expression presque analogue en créant non seulement de nombreux bas-reliefs où les hommes ont une musculature gigantesque, lancent des rochers, brandissent des glaives, mais aussi en donnant aux traits du visage un air caractéristique : nez anguleux, lèvres minces et entr’ouvertes, yeux mi-clos, fortes rides barrant le front et le nez.

La femme n’est vue que sous le jour de la « Grâce », de la « Muse », de la « Psyché » et de la « Mère »- créatures aux bras élancés, dans un geste de parade, brandissant un drap, tendant les mains vers le ciel, se prosternant. Les seins et ventre sont développés, les hanches larges. Rappelons que certaines sculptures de Breker ont plus de 10 m de haut.

« Kammeradschaft »

La camaraderie virile et militaire est un thème constant de la plastique nazie. Thorak appelle Kamaradschaft, deux colosses nus, gigantesques, se tenant par la main. Breker nomme Kamaraden un bas-relief montrant deux soldats nus, l’un serrant contre lui son camarade blessé. On ne peut s’empêcher d’être frappé par l’homosexualité qui émane de tant de sculptures nazies glorifiant la « virilité » agressive ou la camaraderie militaire.

Les bustes

Très répandus à l’époque hitlérienne, les bustes étaient destinés à immortaliser les traits des grands dignitaires. Presque tous les sculpteurs ont fait des bustes d’Hitler.Breker a réalisé entre autres les bustes de : Hitler, George de Bavière, Madame Siemens, Isolde von Conta, Comte Luckner, Arthur Kampf, Speer, Goebbels, Wagner, Edda Goering, Madame Bormann.

Les thèmes héroïques et les symboles

Si de nombreuses sculptures sont consacrées aux athlètes, aux soldats (guerrier blessé, camarades, aviateur, soldat de la Wechmacht), il faut aussi accorder une grande importance aux figures allégoriques – la Force, l’assaut, la nation, le Vengeur – mais aussi aux innombrables symboles qui caractérisent l’ère nazie : porteurs de glaive et de croix gammée, aigles, etc.

La symbolique et la thématique picturale sont plus complexes, mais présentent la même monotonie. En feuilletant la revue « Die Kunst im Dritten Reich  » on est frappé par la platitude et la similitude que présentent la plupart des œuvres. Après avoir épuré les musées allemands, exposé les œuvres « dégénérées », on encouragea la « peinture authentiquement allemande ». si on parle habituellement des écrivains « sang et sol « , on pourrait aussi parler des  » peintres-des-champs-de-la-forêt-des-villages-et-des-prairies-allemandes ».

La peinture nazie rompt avec tous les courants modernistes pour revenir vers le réalisme le plus plat. Quels que soient les peintres, on retrouve les mêmes thèmes.

La division par genres

La plupart des peintres nazis pourraient se classer en peintres de paysages allemands, peintres de scènes rustiques, peintres d’Hitler, peintres de S.A., peintres de S.S. peintres d’animaux, tant la monotonie de leurs œuvres est grande. Du néo-classicisme au style rustique et champêtre, en passant par l’exaltation des héros nordiques et des actions du parti nazi : tels sont les principaux courants d’inspiration.

Le réalisme

Hitler dont les idées inspirent tous les critiques d’art, ne voit dans les courants de peinture moderne -futurisme, cubisme, expressionnisme, art abstrait – qu’un barbouillage culturel indigne du peuple allemand. Aussi le réalisme est-il le caractère dominant de toutes les toiles. A la limite, en regardant tel ou tel portrait d’Hitler, on serait même tenté de parler d’hyperréalisme car on distingue mal la toile de la photographie. On représentera les scènes paysannes, les forêts, les champs, les SA ou les SS à peu près comme on peignait un siècle auparavant. De toutes les innovations de l’art moderne, les nazis n’ont rien retenu. On passe sans transition, ou presque, de Kandinsky et de Marc aux peintures de calendriers.

Parmi les thèmes principaux, on peut signaler :

La glorification de la campagne et des paysans

C’est là, sans aucun doute, l’un des thèmes les plus fréquents de la peinture nazie. Les paysans sont glorifiés comme l’élément sain de la nation. Ils sont restés étrangers aux modes étrangères, ont préservé les valeurs archaïques et la pureté de la race et des mœurs. En contact avec la terre, ils communient sans cesse avec le sol natal et perpétuent la tradition. Les peintres se sont acharnés à représenter avec la même monotonie les travaux des champs en toutes saisons, glorifiant le travail de la terre et la souffrance du paysan. Sepp Hilz peint de vielles paysannes assises devant la ferme; Eduard Thöny, des paysans moissonnant avec, rouillé au milieu du champ, un vieux tank français.

adolf-wissel-famille-paysanneAdolf Wissel – famille paysanne -

Adolf Wissel exalte la famille paysanne : une petite fille aux lourdes tresses blondes écrit, une vieille femme tricote. Le père et la mère, pensifs, vêtus de noir, serrent leurs enfants dans leurs bras. Au loin, la campagne, Werner Peiner peint l’automne dans l’Eifel,

werner-peiner-campagne-300x221Werner Peiner – Campagne -

Erich Erler affectionne les tableaux où l’on voit des paysans labourer l’étendue immense et monotone des champs, Oskar Martin-Amorbach peint les moissons : un groupe de paysans s’avancent sur un sentier, devant de lourdes gerbes, portant des faux; Johann Vincenz Cissarz peint aussi des moissonneurs. On ne compte pas les toiles consacrées aux travaux des champs : même monotonie, mêmes stéréotypes dans la plupart des toiles : les saisons, la ferme, les vendanges, la moisson, les labours, le semeur, les bucherons, les bergers, la famille paysanne.

oskar-martin-amorbach-le-semeur-1937-196x300Oskar Martin Amorbach – Le semeur -

Une place particulière est accordée à la ferme. Les peintres nazis peignent des fermes sous tous leurs aspects, nous montrent les différentes activités qui s’y rattachent et accumulent les tableaux d’animaux. Aux chevaux bleus de Franz Marc, succèdent les chevaux de labour de Franz Xaver Stahl. On nous les montre dans l’écurie, chez le forgeron, tirant la charrue. Tout aussi fréquentes et prisées, les peintures de vaches, de moutons, de bœufs sont un leitmotiv de la peinture nazie.

A cette mythologie de la campagne s’ajoute la glorification du travail manuel – paysans et artisans -, de la proximité de la terre, de la nature, la simplicité des mœurs, l’exaltation des femmes de la campagne – étrangères au luxe et à la légèreté de mœurs des filles de la ville. Filles assez fortes, aux hanches larges, à la poitrine développée et parées du nom de « Vénus paysannes » ou « Vénus bavaroises » . Parfois la toile se veut plus politique et aux paysans s’ajoutent d’autres figures : ainsi le thème classique « Ouvriers, paysans, soldats » se rencontre-il fréquemment dans la peinture.

Les paysages

Les villages, la campagne, les montagnes dont on rappelle le caractère profondément allemand constituent aussi un thème important de la peinture nazie.Théo Champion peint un jour de fête au bord du Rhin, Wilhelm Wilke, le Templiner Kanal. Il s’agit tantôt d’une région, tantôt d’un monument mais aussi de tous les clichés traditionnels : la forêt de sapins , les chênes allemands, la campagne allemande, les montagnes et les glaciers. Peu de toiles – c’est assez remarquable – nous montrent des paysages industriels ou urbains – en dehors d’édifices nazis – même lorsqu’il s’agit de représenter la Ruhr, c’est sous la forme d’un champ labouré. Il faudrait citer aussi à côté de l’artisanat, les paysages champêtres, la monotonie avec laquelle les peintres nazis ont représentés des fleurs : soleil, bouquet de fleurs, gerbes de fleurs.

L’homme et la femme

C’est peu dire que la peinture nazie fut figurative. L’homme et la femme y occupent une place essentielle. Et pourtant, ce qui frappe, c’est l’extrême schématisme que présente la plupart de ces représentations. Ainsi, la sphère du travail : on chercherait vainement ces grandes fresques prolétariennes dans lesquelles excellent les peintres soviétiques ou des démocraties populaires. Le travail occupe une place importante dans l’idéologie nazie, mais l’abstraction extrême de cette notion – que l’on songe par exemple à l’anticapitalisme romantique pré-fasciste ou au livre de Jünger Der Arbeiter – se reflète aussi dans la peinture nazie. Il est remarquable que les peintres nazis empruntent rarement, lorsqu’ils veulent représenter le travail ou les travailleurs, aux activités contemporaines : ce n’est pas le travail industriel qui est montré, mais le travail du paysan. encore faut-il souligner que le paysan n’utilise jamais un tracteur, mais une charrue tirée par un cheval qui semble tout droit sorti d’une gravure d’Holbein. L’impression d’irréalité que l’on ressent devant tant de toiles nazies représentant la campagne et ce qui les sépare des toiles soviétiques ou chinoises souvent consacrées à des thèmes analogues, est lié sans aucun doute à l’archaïsme des moyens qui sont montrés. Eisenstein montre dans La Ligne Générale le bouleversement apporté dans un village avec l’achat d’une trayeuse mécanique, d’un tracteur, la création d’une coopérative. Les peintures chinoises contemporaines nous montrent des usines-fermes. Les peintres nazis, au contraire, désignent la campagne allemande comme si elle sortait du moyen-âge : le semeur, le faucheur ont les mêmes traits anguleux, que sur les gravures médiévales. L’archaïsme des techniques y est aussi respecté.

arthr-kampf-laminoir--300x191Arthur Kampf -Laminoir -

De même préfère-t-on l’artisan au travail industriel : si les ouvriers sont absents des tableaux, on y trouve abondamment représentés des forgerons, des serruriers, des bûcherons. Même lorsque des peintres comme Arthur Kampf ou Lothar Sperl se risquent à représenter des ouvriers (ex : Im Waldwerk de Kampf), c’est la musculature qui est mise au premier plan et non la technique, ce qui donne par exemple aux représentations d’ouvriers des usines sidérurgiques quelque chose de mystique : des hommes torse nus, muscles tendus brandissant des tenailles et qui semblent danser dans les flammes. Kampf est un peintre originaire de Düsseldorf à qui les paysages de la Ruhr étaient familiers, mais c’est l’usine du XIXème siècle qu’il peint et non celle qu’il a sous les yeux. Le travail est une notion, un symbole, jamais une réalité. Lorsque l’on tente de montrer le travail en acte, c’est le travail archaïque des paysans qui n’existait plus en Allemagne déjà à l’époque des nazis -ainsi Le semeur de Oskar Martin Amorbach dans un costume moyenâgeux ou du moins, dans un style typique de la période antérieure à la Renaissance – ou bien le travail effectué sur l’ordre du Führer : carriers abattant le marbre destiné à la chancellerie du Reich (Der Steinbruch de Albert Janesch), Marnor für die Reichkanzlei d’Erich Mercker etc…)

arthur-kampf-david-et-goliath-207x300Arthur Kampf – David et Goliath -

Lorsqu’il s’agit de représenter des hommes et des femmes, les peintres nazis n’hésitent pas à passer de l’archaïsme à la mythologie. Nous avons déjà mentionner l’idéal brekerien du néo-classicisme romain, de la femme-muse. Le peintre développe exactement le même thème. L’homme est représenté en Adam, en héros antique, en guerrier, en soldat. La femme n’est qu’une déesse mythologique ou une vénus paysanne. On glorifie en elle le principe féminin éternel, l’incarnation du sol natal, la fécondité de la terre, la Mère. Elle est présente avec l’enfant qui dort, à côte des soldats et des paysans, elle veille sur le foyer, elle regarde les blés. Toute cette imagerie nazie mériterait une étude particulière.

La femme n’existe chez les nazis qu’en tant que principe : elle est la maternité, la fécondité de la race et de la terre. Elle porte sur elle l’avenir de la nation, de la race, et demeure aussi le symbole des saisons, des récoltes, de l’éternel jaillissement. Si l’homme est anobli par le travail et la guerre, la femme est anoblie par l’enfant. Elle n’appartient pas à la société active: c’est la vestale, la prêtresse du foyer, la gardienne des traditions. Aussi est-ce la mythologie qui permet le mieux de la représenter. Étendue nue, offerte aux regards de l’homme, elle est endormie ou l’attend. Son corps se veut d’une beauté parfaite. Sans parure, les seins ronds, les hanches larges, elle est faite pour la maternité : c’est la Grâce, la baigneuse aux bains, sa soumission à l’homme se trouve elle-même exprimée par le choix des sujets mythologiques : ainsi le célèbre thème de Cranach Le jugement de Pâris est-il abondamment développé : c’est l’homme qui désigne la plus belle. Parfois le tableau s’appelle seulement « Féminité » ou « Attente ». On ne compte pas les Dianes (Georg Egming) : Diane se reposant, Hans List : Diane après le bain). Un autre thème abondamment développé est celui des Léda violée par un cygne.

amorbach-leda-230x300Oskar Martin Amorbach

Il faut aussi souligner l’importance de l’inspiration  » nu paysan » : la fille, le corsage ouvert, la tête renversée, est allongée dans un champ de blé, entourée d’épis (Hempfing : Été ), une paysanne blonde, nus pieds, traverse un champ de blé (Bénédiction de la terre par Willri) elle porte des fruits dans une large corbeille posée sur son ventre (Fruits mûrs de Heymann); dans un intérieur modeste, s’appuyant sur une chaise de bois, une jeune fille aux cheveux blonds et noués se déshabille et enlève de grosses chaussettes (Vénus paysanne de Sepp Hilz)

sepp-hilz-venus-223x300Vénus paysanne de Sepp Hilz

Torse nu, tenant dans ses mains des épis de blé, elle s’avance avec son mari qui  la tient par les épaules et qui porte une faux (Maturité de Beutner) , assise en plein champ, une jeune fille blonde – une sorte de Sainte Vierge aryenne – donne le sein à un bébé (Mère de Diebitsch). On remarque comme la fécondité de la terre, la maternité et la féminité sont étroitement associées dans presque toutes ces toiles. Souvent, le thème se colore de paganisme. La femme-paysanne porte son enfant comme la terre porte les moissons. Ses seins et son ventre sont le signe de sa fécondité comme ses cheveux se confondent avec les épis dorés du blé.

Les allégories

Volontiers allégorique, la peinture nazie a cherché à exprimer les valeurs du régime, sa force, sa grandeur en recourant massivement aux symboles les plus traditionnels : les paysans, la famille, le  paysage, toute la mystique du sol natal mais aussi en parodiant de nombreuses œuvres antérieures. De nombreuses gravures et de nombreux tableaux sont une sorte de variation monotone sur Holbein, Dürer et Cranach. Le Moyen-Age a fourni aux peintres les allégories les plus invraisemblables. On utilise abondamment les triptyques pour représenter la famille allemande comme les peintres du Moyen-Age et de la Renaissance. Hitler est représenté en chevalier du Moyen-Age, La préparation au combat (Rudolph Otto) montre une armure tenant un glaive. Werner Peiner reprend le thème de Dürer Les Cavaliers de l’Apocalypse et se plaît à peindre des scènes de batailles moyenâgeuses. On peint aussi les vieilles divinités germaniques -Thor et sa masse d’armes.

La peinture  » politique « 

Non moins importante, la peinture de propagande – la plus médiocre en général – a connu un grand succès dans les expositions. Otto Engelhardt-Kyffhaüser peint les engagés volontaires, sortant des tranchées et se préparant à l’assaut. Ferdinand Stager nous montre des défilés de SS, Hitler est représenté de multiples fois, mais aussi les processions nazies, la foule acclamant le Führer, les S.A. défilant dans Berlin, Hitler inspectant les troupes. On montre des marins, des aviateurs, des fantassins, en exaltant le courage, l’héroïsme, la discipline et la camaraderie. On ne compte pas les œuvres qui nous montrent deux soldats en portant un troisième blessé: Ces « Kameraden » sont un leitmotiv de la peinture nazie. Il faut mentionner aussi les innombrables portraits de SS ou d’officiers qui furent réalisés au cours du Troisième Reich.

Il nous est impossible d’analyser ici toutes ces œuvres, mais ce que nous en avons dit suffit à en montrer le schématisme extrême et l’écrasement par la fonction de propagande.

Jean-Michel PALMIER.

Laisser un commentaire