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De l’expressionnisme au nazisme; les arts et la contre révolution en Allemagne 1914 -1933. 6/7

De l’expressionnisme au nazisme; les arts et la contre révolution en Allemagne 1914 -1933.

Article paru dans « Eléments pour une analyse du fascisme / 1« . Intervention de Jean-Michel Palmier lors du
Séminaire de M-A. Macciocchi- Paris VIII – Vincennes 1974 -1975. UGE Editions – Collection 10-18 – 1976 -

Quelques exemples et quelques formes d’art nazi

1 / La littérature

On a tendance à affirmer que la littérature nazie a été médiocre dans son ensemble et qu’aucun des écrivains célèbres et glorifiés à l’époque du troisième Reich ne mérite de retenir l’attention sinon comme exemple idéologique. En fait, le problème est plus complexe car il est difficile de tracer les limites de cette –  » littérature nazie ». D’une part la transition entre la vieille littérature de droite et la littérature nazie, n’est pas toujours très nette. D’autre part, de grands écrivains ont été marqués par l’idéologie nazie ou s’y sont ralliés. A côté d’exemples particuliers comme Hanns Einz Ewers, il faut citer le cas d’un Gottfried Benn qui a apporté son soutien incontestable au mouvement. Hans Fallada et ceux qui ont continué d’écrire et de publier sous Hitler mériteraient un examen particulier. Enfin, il faut souligner la difficulté de tracer une frontière entre la littérature Blut und Boden et la simple littérature du terroir. Je me souviens avoir feuilleté dans une librairie de Freiburg une série d’ouvrages écrits par des poètes paysans de la Forêt Noire, rédigés en dialecte alémanique, édités par un éditeur local et qui ne présentaient pas la moindre différence avec la littérature völkich de l’époque hitlérienne. Bien plus, certains poèmes étaient dédiés à des figures « historiques » de la Forêt Noire qui avaient joué un rôle dans le mouvement nazi. Par ailleurs, si on lit les anthologies de poésie, les histoires de la littérature, les préfaces aux traductions d’ouvrages allemands parus à partir de 1933, en France, on constate que de nombreux germanistes français ont admiré  la « nouvelle poésie » ou attendaient du Reich hitlérien une source d’exaltation poétique.

De l'expressionnisme au nazisme; les arts et la contre révolution en Allemagne 1914 -1933. 6/7 dans SOCIETE hans-falladaHans Fallada

Par opposition aux courants qui ont dominé l’époque de Weimar, la littérature et la poésie de l’époque  hitlérienne affirment leur volonté de revenir vers le passé, de renouer avec les vieilles traditions germaniques, les valeurs ancestrales, le sol natal. La plupart des poètes et des écrivains accordent une place particulière à la langue, entité mystique, qui est l’expression de la communauté raciale, la Volkgemeinschaft. Hanns Johst – auteur expressionniste converti au nationalisme mystique puis au nazisme auteur de la pièce Der Einsame (Le Solitaire) contre laquelle Brecht écrira la réplique de Baal, et auteur réel de la phrase bizarrement prêtée à Göring  » Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver » – est sans doute celui qui a le plus développé sur le plan « théorique » cette conception du langage.

hanns-johst dans SOCIETEHanns Johst

La littérature se doit de puiser son inspiration dans le sol natal, dans la tradition. La langue allemande – dont on tente à cette époque d’expurger les mots étrangers, Karl Jaspers lui-même sera accusé d’écrire un « mauvais allemand » – oscille entre deux paradigmes, l’un archaïque et l’autre moderne. La perfection de la langue se trouve incarnée par les discours du Führer - on a même pu établir que son type physique correspondait à la synthèse des plus purs courants de la race aryenne – maître incontesté de la langue, artiste du verbe, comme on le nomme alors, et elle puise sa source dans la langue des paysans, seul élément sain de la nation. La langue n’est pas un simple moyen de communication : c’est en elle que vit l’âme profonde du peuple. Aussi on ne cesse d’exalter le culte des ancêtres, le dialecte paysan – qui n’a pas été abâtardi par l’internationalisme, les vocables étrangers et qui reste fidèle aux valeurs fondamentales du sang et du sol. Parallèlement, on exalte les mythes germaniques qui sont l’histoire allégorique du peuple allemand, le sang qui les anime est aussi le sang allemand. Ce thème du sang est associé à toute une série de Valeurs irrationnelles qui se sont développées tout au long des années de Weimar (Ewers). A partir de ces remarques préliminaires, on peut distinguer au moins quatre courants qui ont constitué la littérature nazie(7).

Le courant nationaliste

ernst-jnger-300x212Ernst Jünger et Arno Breker

Ce sont des écrivains dont les œuvres sont en général antérieures à 1933, mais que les nazis considéreront comme leurs précurseurs. Aux vieux thèmes nationalistes et pangermanistes s’ajoute à partir de 1914 la glorification de la guerre et de l’héroïsme. A l’opposé des œuvres pacifistes - Le Feu de Barbusse, à l’Ouest rien de nouveau de Remarque, toute une série d’écrivains allemands parmi lesquels nous avons déjà cité Ernst Jünger exaltent – « la guerre, notre mère  » et développent cette Kriegsliteratur qui connaîtra une seconde vie à l’époque hitlérienne. Les thèmes de cette littérature sont en général très monotone : exaltation des valeurs militaires, du sacrifice, de la violence, de la guerre comme éthique nationale qui réveille l’esprit du peuple endormi dans le confort bourgeois. Loin de voir dans la guerre, comme des Expressionnistes, une boucherie sanguinaire, ces auteurs y voient une sorte d’orage spirituel qui rajeunit le sang de la nation. Si l’ouvrage de Jünger Orages d’acier peut être considéré comme le plus parfait représentant de cette inspiration, c’est aussi l’une des œuvres les plus belles littérairement (du genre, cela s’entend). En général cette littérature médiocre ne présente guère d’intérêt. Les nazis la reprendront à leur compte, cultivant l’anti-communisme qui l’anime déjà. De nombreux films nazis s’inspireront aussi de ce courant.

Le néo-romantisme

Le néo-romantisme a été aussi une composante de la littérature nationaliste. Les premières œuvres d’un Hanns Johst illustrent bien ce second courant. Sans doute la tradition romantique a-t-elle toujours subsisté en Allemagne comme en témoignent par exemple les nombreux thèmes romantiques et post-romantiques, qui jalonnent les premiers films expressionnistes, mais ce néo-romantisme aux alentours de la guerre de 1914 prend une teinte de plus en plus réactionnaire. Glorifiant l’irrationnel, célébrant le mysticisme, le rêve, la fuite hors du réel, il s’achemine vers une glorification de la terre, du sang, du sol natal, des instincts. De nombreux écrivains néo-romantiques accepteront le mouvement nazi, certains s’y rallieront avec emphase. Il faut aussi souligner que ce néo-romantisme constituera une dimension importante de la littérature et de la poésie nazie. Ce néo-romantisme enveloppera aussi bien les forces vitales, les instincts, la patrie, le sol natal, la mère, la fécondité, la communauté nationale, les paysans. C’est surtout autour des thèmes paysans, agraires, la glorification de la communauté nationale, de la race qu’il s’illustrera sous le IIIème Reich. Souvent, il se teinte de paganisme et de religiosité diffuse.

Le courant régionaliste

Le troisième courant que l’on peut mentionner, c’est le courant régionaliste. Sans doute, par de nombreux aspects, se rapproche-t-il du précédent. Comme le néo-romantisme, il se tourne vers le passé. On exalte la campagne, les mœurs saines des paysans, l’art populaire, provincial, la terre. Mais il ne s’agit pas seulement d’exalter la Terre allemande comme une entité mystique le plus souvent, c’est la réalité du travail manuel, celui du paysan en particulier, qui fait l’objet d’ une glorification particulière. Sans doute, toute littérature qui parle de la campagne n’est-elle pas nazie, même à cette époque, mais il faut bien reconnaître qu’il est difficile d’établir une ligne de partage très rigoureuse entre cette littérature qui chante le travail du paysan et certains aspects de la littérature nazie.Le retour à la terre, la glorification de la pureté des mœurs au village, la haine de l’industrialisation, l’anti-capitalisme romantique sont devenus aussi des comportements de la littérature fasciste.

La littérature de propagande

hanns-heinz-ewers

 

Un certain nombre d’écrivains enfin, acceptèrent de mettre leur plume au service du parti nazi. Ewers rédigea une biographie de Horst Wessel, Hanns Johst écrivit une tragédie sur l’étudiant nationaliste, combattant des corps francs, Albert Léo Schlageter, fusillé par les Français à la suite d’un attentat. D’autres écrivains ne firent qu’illustrer purement et simplement les valeurs du nouveau régime. Sans mysticisme et sans illusion, ils acceptèrent la barbarie et le servirent de leur mieux. Lionel Richard cite cette phrase du poète Gerhard Schumann :  » Nous sommes le poing du Führer « . Ces écrivains se firent les porte-paroles du racisme, de l’anti-sémitisme, de l’anti-communisme. Littérature médiocre, sanguinaire, qui tentait de transformer en œuvres littéraires les slogans du parti, les discours les plus criminels de ses dirigeants. Non seulement, elle ne présente aucune originalité, mais ne cesse de se vautrer dans la servilité.En dehors de ceux qui se compromirent avec le nazisme, mais dont l’œuvre connaissait déjà une certaine célébrité, tel Benn, les « écrivains nazis » frappent surtout par leur médiocrité. Mais cela ne signifie pas que le nazisme n’ait pas eu de postérité littéraire ! Une analyse de la presse allemande, des publications des éditions Axel Springer par exemple, l’analyse des quotidiens, montre au contraire à quel point les thèmes fondamentaux du Reich hitlérien ne sont pas mort avec lui.

Jean-Michel PALMIER.

 

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