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De l’expressionnisme au nazisme; les arts et la contre révolution en Allemagne 1914 -1933. 5/7

De l’expressionnisme au nazisme; les arts et la contre révolution en Allemagne 1914 -1933.

Article paru dans « Eléments pour une analyse du fascisme / 1« . Intervention de Jean-Michel Palmier lors du
Séminaire de M-A. Macciocchi- Paris VIII – Vincennes 1974 -1975. UGE Editions – Collection 10-18 – 1976 -

Quelques exemples et quelques formes d’art nazi

2 / L’ Architecture

Pour comprendre l’importance de l’architecture dans la pensée d’Hitler, il convient de rappeler quelques traits de l’évolution de l’architecture allemande depuis la première guerre mondiale. A partir de 1914, les thèses les plus discutées sont celles de Gropius. L’utilisation massive du béton, du verre, de l’acier s’accompagne de la recherche d’une nouvelle plasticité. En 1915, Van de Velde, attaqué en tant que citoyen belge, a du démissionner de l’ École des arts décoratifs de Weimar et il a recommandé comme successeur Walter Gropius. Le Bauhaus est né de ces premières recherches de Van de Velde. En réunissant en une seule école, les arts décoratifs, les beaux-arts et l’architecture, Gropius se proposait d’unir la peinture, la sculpture, la musique, l’architecture, d’abolir la division entre artiste et artisan, théoricien et plasticien, montrer la nécessité du travail d’équipe en architecture. Le Bauhaus devint rapidement un véritable foyer de création artistique qui effectuait une synthèse vivante entre les courants avant-gardistes de toute l’Europe : du futurisme italien au constructivisme russe en passant par l’art abstrait. Sans doute l’architecture de l’époque de Weimar malgré le génie de ceux qui enseignent au BauhausKlee, Kandinsky par exemple – n’est sans doute pas aussi novatrice que l’architecture soviétique et ses expérimentations utopistes (Tatline, Lissitsky) , la crise économique la frappe durement, mais elle connait un réel épanouissement qui ne sera stoppé qu’ avec la montée des nazis au pouvoir. Si Klee et Kandinsky, en tant que peintres, représentent peu l’esprit du Bauhaus, il est certain que par son activité, cette école connait un rayonnement international. L’histoire du Bauhaus est trop connue pour qu’on la rappelle, mais on peut aussi mentionner d’autres courants qui, à la même époque, témoignent de l’immense effort de recherche qui s’accomplit dans l’architecture.

Walter Gropius

Walter Gropius

L’expressionnisme, qui a manifesté son originalité architecturale dans de nombreux décors de films – l’exemple le plus célèbre est sans doute le cabaret du Docteur Caligari et ses paysages en obliques  – a aussi influencé l’architecture en un sens plus romantique, fantastique. Le Bauhaus acceptait volontiers comme Tatline et Rodchenko l’idée d’une « mort de l’art ».

De l'expressionnisme au nazisme; les arts et la contre révolution en Allemagne 1914 -1933. 5/7 dans SOCIETE alexander-rodchenko-1924--225x300Alexander Rodchenko – 1924 -

L’architecture devait être l’art dans lequel se fondaient tous les autres et les premières réalisations firent sensation (atelier du meuble, atelier de luminaires dirigé par Moholy-Nagy , atelier de tissage d’Anni Albers, invention de nouveaux caractères d’imprimeries avec Herbert Bayer).

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Vladimir Tatline – 1920 -

Le Bauhaus ne voulait pas seulement effectuer une synthèse vivante des arts et de l’architecture, mais aussi donner une réponse concrète à tous les problèmes de l’environnement quotidien. Le « théâtre total » imaginé pour Piscator par Gropius et  les constructions qu’il effectua à Berlin après sa démission du Bauhaus montrent l’audace des projets de cette époque. De son côté l’Expressionnisme fut à l’origine de projets utopiques assez étranges. Alors que le Bauhaus allait vers une rationalité parfaite, une harmonie des matériaux et de l’habitat, l’expressionnisme imaginait des édifices qui semblaient tout droit sortis des écrans de cinéma : salles de concert avec stalactites et stalagmites, architecture émotionnelle, symbolique, fantastique. Ce désir de concrétiser dans la pierre, l’idée, le symbole est un aspect particulièrement étrange de l’architecture expressionniste des années de Weimar. Non moins étrange fut la tentative du Goethenaum de Rudolph Steiner. Le théosophe bâtit avec ses disciples un édifice à coupoles, soutenu par une charpente en bois, qui devait concrétiser leur élan mystique et leur vision du spirituel.Une attention extrême fut apportée aux moindres détails : les vitraux étaient obtenus, non par encadrements de plomb mais les lumières différentes étaient  provoquées par le verre lui-même, plus ou moins creusé, les murs étaient colorés avec des pétales de roses broyées, recouvertes d’une fine pellicule de cire vierge afin d’obtenir de dégradés étranges. Toute cette fantasmagorie architecturale, aussi étrange que belle, fut la proie des flammes à la suite, semble-t-il, d’un incendie criminel. Le second Goethenaum n’atteint jamais la beauté du précédent. Il n’y a pas d’œuvres plus éloignées l’une de l’autre que le Bauhaus de Gropius et le Goethenaum de Steiner : Ces deux extrêmes permettent de mieux saisir la variété et la richesse des courants qui se sont succédés à l’époque de Weimar.

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Affiche du Bauhaus 1923

Le nazisme s’acharna avec la même violence contre ces deux courants : l’expressionnisme lui semblait une forme d’art dégénéré. Si Goebbels manifesta au départ une certaine sympathie pour Nolde et certaines toiles expressionnistes qu’il collectionnait lui même, dès 1935, Hitler avec la sûreté de goût qui le caractérise exigeait que l’ont mette fin « au bafouillis culturel des cubistes, futuristes et dadaïstes ». Le Bauhaus de Gropius apparaissait aux nazis comme une pépinière d’idées socialistes, anarchistes et révolutionnaires et il fut fermé. La plupart des grands architectes allemands furent condamnés à l’exil. Ceux qui demeurèrent en Allemagne n’étaient ni les plus brillants, ni les plus novateurs. Assez rapidement, ils perdirent toute personnalité et édifièrent des monuments sans intérêt, anonymes, comme Peter Beherens ou Hans Scharoun. Certains continuèrent des recherches esthétiques clandestines comme Finsterlin. Mais à partir de 1937, c’est un seul architecte, favori d’Hitler, qui semble prendre en mains le destin de l’architecture allemande : Albert Speer.

albert-speerAlbert Speer

Albert Speer a longuement raconté ce que fut sa vie sous le troisième Reich. Très vite il devint l’ami personnel d’Hitler et le constructeur officiel du régime. Il construisit entre autre le pavillon allemand à l’Exposition universelle de 1937, les bâtiments du congrès de Nuremberg et la nouvelle chancellerie du Reich. L’ingénieur Todt fut chargé de la construction d’un réseau impressionnant d’autoroutes et des bunkers de l’Atlantique. Speer fut sans doute l’un des hommes les plus éminents du régime SS et l’un des plus compromis. Lors de la débâcle allemande, il avoua à son ami Arno Breker, dont il avait à partir de 1938 utilisé la compétence en tant que sculpteur, que « même  un chien refuserait dorénavant de manger dans nos mains ». Breker nous a laissé d’intéressants souvenirs sur sa rencontre avec Speer en novembre 1938 :

arno-breker-annees-30-204x300Arno Breker – années 30 -

« C’était la première fois que je rencontrais Albert Speer. Il était de taille imposante – environ 1 mètre 90 – il avait les yeux marron foncé et un crane qui s’élargissait à partir des tempes.

Les salutations furent brèves.

Nous entrâmes immédiatement dans une grande salle où s’élevait la maquette d’une cour. J’appris qu’il s’agissait de la cour intérieure de la Nouvelle Chancellerie.

L’architecture en était classique, appropriée aux dimensions; elle était rigoureuse et solennelle.

Ce fut sans doute, je m’en aperçu par la suite, l’une des plus grandes réussites d’architecture extérieure au sein du complexe.

L’entrée principale devait être mise en relief grâce à des statues. Le grand escalier de quelque douze degrés était enserré à gauche et à droite par deux blocs de pierre, destinés à devenir les socles des statues.

J’appris qu’une série de concours internes de sculpteurs n’avait donné aucun résultat. C’est pour cette raison qu’ont s’était soudain intéressé à moi. Je reçu un dessin de cour intérieure et des détails de l’escalier.

… Vous pouvez choisir librement le thème. Nous nous revoyons dans huit jours.

L’entretien avait duré cinq minutes. « 

Speer avait reçu comme mission la rénovation de toutes les grandes villes allemandes. Il devait élaborer un style monumental qui soit propre au régime. Connaissant la passion d’Hitler pour l’architecture, Speer fit tout son possible  pour le satisfaire et s’efforça de développer un peu partout une sorte de néo-classicisme colossal. Il est remarquable que la plupart des édifices nazis reprennent finalement les premières esquisses délirantes élaborées par Hitler dans les années de jeunesse passées à Vienne : même goût pour l’imitation romaine, même passion pour les arcs de triomphe gigantesques. Speer se vit non seulement chargé de l’urbanisme, mais de la rénovation de Berlin. Lorsque Speer propose à Breker d’y collaborer, celui-ci ne cache pas, même dans ses Mémoires, son enthousiasme et son émotion :

 » Je fus accueilli avec la plus grande cordialité  par Speer  qui m’annonça qu’il allait me montrer des maquettes gardées encore rigoureusement secrète de la place Ronde de l’axe Nord-Sud un des éléments du gigantesque  programme de rénovation de Berlin.

Speer m’expliqua l’ensemble du projet.

L’axe Nord-Sud devait avoir approximativement la largeur des Champs-Élysées. Il traversait la place Ronde, montait légèrement et se terminait sur le Grand Arc dont les bas-reliefs devaient m’être réservés.

La Place Ronde était étoilée de quatre rues situées à égale distance les unes des autres. Au milieu de cette place devait se trouver un bassin d’un diamètre de 126 mètres et d’une hauteur que j’évaluais de 4 à 5 mètres.

Nous considérâmes la maquette sous tous les angles (…)

- Le Führer, dit Speer, a été tellement enthousiasmé par vos deux statues illustrant les piliers de l’État, qu’il m’a chargé de vous confier en plus la fontaine…

On se représente mon émotion à l’idée d’assumer la réalisation de  cette fontaine ».

hitler-ma-dit

Dans Hitler m’a dit, Hermann Rauschnig a rapporté différents propos d’Hitler sur l’architecture qui précise le sens politique de cet art nouveau: l’architecture monumentale, la rénovation des villes devait être le symbole de la rénovation politique. Le caractère gigantesque des édifices traduisait dans la pierre et l’espace la grandeur des desseins du Reich. Hitler, dans sa mégalomanie habituelle ne songe pas moins aux bâtisseurs de cathédrales et aux édifices antiques : le Reich doit développer une architecture qui renoue avec l’Égypte et Babylone :  » nous créons les monuments sacrés, les symboles de marbre d’une nouvelle civilisation. J’ai dû commencer par là, pour marquer d’un sceau indestructible mon peuple et mon époque. »

Si l’on examine les réalisations de l’architecture nazie, il faut reconnaître qu’elle a été dans son ensemble très médiocre. Faux classicisme, gigantesque, imitation monotone des styles romains, destruction de la beauté et de l’harmonie des vieux quartiers de certaines villes par la construction d’axes destinés aux parades de chars ou de monuments géants : tels en sont les principaux résultats. Les habitations ouvrières ne sont pas loin d’être conçues sur le modèle de la ruche ou de Métropolis de Fritz Lang. Quant aux demeures bourgeoises, elles se veulent, même en ville, posséder quelque chose de rural : l’âtre est toujours le symbole de la maison, les murs sont décorés avec des peintures du « paysage natal », on accorde une grande place à l’artisanat, etc …

Il faut malheureusement reconnaître que l’idéal d’architecture nazie n’est pas sans rappeler par son culte du classicisme et du gigantesque, les pires réalisations de l’architecture stalinienne.

Jean-Michel PALMIER.

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