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Archive pour novembre 2012

De l’expressionnisme au nazisme; les arts et la contre révolution en Allemagne 1914 -1933. – 7/8 -

Jeudi 22 novembre 2012

De l’expressionnisme au nazisme; les arts et la contre révolution en Allemagne 1914 -1933.

Article paru dans « Eléments pour une analyse du fascisme / 1« . Intervention de Jean-Michel Palmier lors du
Séminaire de M-A. Macciocchi- Paris VIII – Vincennes 1974 -1975. UGE Editions – Collection 10-18 – 1976 -

Quelques exemples et quelques formes d’art nazi

3 / Les arts plastiques

En abordant d’autres formes d’art comme la sculpture ou la peinture, nous retrouvons les mêmes thèmes que ceux précédemment évoqués à propos de l’idéologie de l’art en général ou la littérature. Il s’agissait aussi de donner une forme plastique aux valeurs fondamentales du régime. Aussi l’un des traits fondamentaux des arts plastiques à l’époque hitlérienne, c’est l’absence totale d’originalité.

La sculpture est sans doute l’une des formes les plus caractéristiques de l’écrasement de l’art par la propagande. Particulièrement appréciée d’Hitler, elle connut en Allemagne toute une série de représentants, chacun s’efforçant de concrétiser dans le bronze ou le marbre les idéaux du parti. Nous tenterons d’en dégager quelques caractères à partir de catalogues d’exposition édités à l’époque hitlérienne et les principales revues artistiques alors diffusées.

Union de l’architecture et de la sculpture

La collaboration Breker-Speer n’est pas un simple hasard dans l’histoire de l’art nazi. Elle exprime l’essence de la fonction que les nazis donnaient aux arts plastiques : incarner l’idéal politique du Reich, créer des monuments qui, à l’échelle de la nation toute entière, en affirme les valeurs. C’est dans le  » monument  » que l’architecture et la sculpture étaient appelés à collaborer le plus étroitement. L’une des premières constructions nazies fut un monument : celui qui fut élevé à Munich, sur la Königplatz à la gloire des membres du parti morts au cours des années qui précédaient la prise du pouvoir. Un peu partout, en Allemagne, on construisit de tels monuments qui voulaient unir la sculpture et l’architecture. Des Corps Francs aux commandants de sous-marins, chaque formation voulait son monument. On avait aussi projeté à Berlin, un monument géant – le Siegestor – à la gloire des soldats tombés au cours de la première guerre mondiale. mais à côté des morts, une grande place était accordée aux « héros présents ». Ce qui caractérise la plupart de ce type de réalisations, c’est une sorte de parodie du Moyen-Age – certains monuments ressemblent à de véritables forteresses médiévales – et du classicisme romain.

Les statues n’étaient pas seulement destinées à compléter l’architecture, mais aussi à rendre omniprésents les idéaux du nazisme. Dans la plupart des villes allemandes, elles furent érigées. La production de statues connut à cette époque quelque chose de démentiel. Un numéro de 1939 de la revue « Die Kunst im Dritten Reich » nous donne les chiffres  suivants : en 1937, on a érigé 200 statues; en 1938, 380; en 1939,680, réalisées par 265 sculpteurs.

De l'expressionnisme au nazisme; les arts et la contre révolution en Allemagne 1914 -1933. - 7/8 - dans SOCIETE die-kunst-im-dritten-reich

Il est bien évident qu’il reste peu de choses de cette production. Les œuvres dont je parlerai ne me sont connues que par reproduction où à travers de rares expositions. pour les sculptures, j’insisterai sur celles qui ont été réalisées par Arno Breker, le plus célèbre artiste de l’époque hitlérienne, ayant eu l’occasion de les étudier assez longuement. (10)

La monumentalité

Comme l’architecture, la sculpture se veut « Kolossal ». Les plus grandes statues ont été détruites (souvent par les troupes américaines), comme symboles de l’art nazi, d’autres transformées en matériaux de construction ou transportées dans des collections privées. Si l’on en juge par les descriptions et les photographies, la plupart avaient une taille imposante et s’efforçaient de renouer avec la tradition antique. Certaines n’ont pas disparues ( celles qui ornaient le stade olympique de Berlin sont encore  en partie en place), mais les noms de leurs auteurs supprimés ou cachés. Dans les histoires de l’art éditées après 1945, on omet soigneusement les noms des sculpteurs qui connurent leur apogée sous le troisième Reich. Pourtant, ils connurent une grande célébrité. Parmi les plus représentatifs auteurs de ces statues monumentales, il faut citer : Arno Breker, Josef Thorak, Kolbe, Scheibe et Klimsch. Qu’il s’agisse de porteurs de torche, des athlètes de Breker ou des colosses nus de Thorak, une grande partie de ces statues atteignaient 5 à 6 mètres de haut. Des sommes gigantesques étaient allouées par le régime pour la fonte de ces œuvres. La grandeur de l’idéal nazi, la force de son idéologie voulait s’exprimer par ce monumentalisme des œuvres plastiques.

josef-thorak dans SOCIETE

Imitation de l’antique

La plupart des œuvres plastiques de l’époque hitlérienne sont conçues sur le modèle romain. L’idéal classique qui fascina le romantisme allemand, le modèle de la statuaire grecque que Winkelmann voulait imposer à tous les artistes de son temps, les nazis prétendaient le réaliser dans les faits. Breker était, dans sa jeunesse, un admirateur fervent de Rodin et de Maillol. Après avoir réalisé avant 1930 de nombreux dessins de femmes (sanguines principalement, fusain, encre de chine), Breker est fasciné dès sa jeunesse par les œuvres grecques et romaines. Ses premières œuvres sont fortement marquées par Rodin (Saint-Mathieu); séjournant à Rome, il admire tellement les statues des musées qu’il semble avoir été tenté de les reproduire à l’infini. De retour en Allemagne, il sculpte des bustes dans le plus pur style classique et des statues qui préfigurent ses grandes réalisations ultérieures. Hostile au cubisme, il se veut délibérément le porte-parole de ce retour à l’antique. S’il réalise des bustes de dignitaires nazis (Hitler, Goebbels, Speer, la fille de Göring), il atteint surtout la célébrité par ce néo-classicisme qui plait tant à Hitler. Alors que d’autres sculpteurs s’orienteront vers les œuvres de propagande héroïque, – soldats, généraux, héros à croix gammées - Breker réalise surtout des sculptures d’athlètes (il est l’auteur des célèbres sculptures du stade olympique de Berlin, filmées par Léni Riefenstahl au début de son film Les Dieux du stade ), et l’ »athlète » demeurera avec la « femme-vénus » le thème obsédant de son œuvre.

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Léni Rifensthal

On retrouve dans ses sculptures l’idéalisation de la forme corporelle, de la pureté classique, de la virilité, de la féminité, communes à la plupart des œuvres nazies.

Glorification du corps

La plupart des œuvres nazies ne se contentent pas de produire en chaîne des « Adam », des « Vénus », et de recopier toutes les muses grecques et latines : il s’agit de montrer dans la pierre, le bronze, quel est l’idéal de la race nouvelle. Breker se spécialisera dans la reproduction de porteurs de flambeaux, de glaive, d’athlètes mais aussi dans la représentation de l’idéal de beauté féminine : Grâces, Psyché, muses qui rappellent les statues qui ornent un peu partout les jardins et les parcs. Lui dénier le moindre don serait absurde. Breker, Prix de Rome, était assurément  l’un des sculpteurs les plus « doués » de sa génération. Nier, comme l’on fait certains le caractère idéologique de ses productions est un non-sens: il a glorifié avec le sport, l’idéal physique, une partie essentielle de l’idéologie nazie.

thorak-kamaradschaftJoseph Thorak -Kamaradschaft -

Plus stupides, les sculptures de Josef Thorak frappent par leur laideur et l’impression de brutalité qui s’en dégage. S’agit-il de la reprise de l’ »idéal classique » ? En aucun cas. Peut-on encore appeler « corps » ces paquets des muscles, ces colosses nus, se tenant par la main, véritables athlètes de foire, dont le visage exprime une innommable brutalité? Mais, du lanceur de disque brekerien au colosse de Thorak, c’est toujours la même idéologie qui s’affirme.

Virilité, féminité

Si les nazis admirent si profondément l’art grec, c’est qu’ils y trouvent représenté l’idéal des fonctions masculines et féminines : l’homme est courageux et viril, la femme faite pour la maternité. Breker a idéalisé la forme classique, l’athlète, Thorak glorifie la force et la brutalité. Ce trait de brutalité est sans doute l’un des des traits les plus caractéristiques de la sculpture nazie. Non seulement la musculature est démesurée, mais le visage massif, souvent carré, exprime la haine et la violence. Si cette expression de brutalité satisfaite culmine chez Thorak, Breker donne aux figures de ses « soldats » et de ses « héros » une expression presque analogue en créant non seulement de nombreux bas-reliefs où les hommes ont une musculature gigantesque, lancent des rochers, brandissent des glaives, mais aussi en donnant aux traits du visage un air caractéristique : nez anguleux, lèvres minces et entr’ouvertes, yeux mi-clos, fortes rides barrant le front et le nez.

La femme n’est vue que sous le jour de la « Grâce », de la « Muse », de la « Psyché » et de la « Mère »- créatures aux bras élancés, dans un geste de parade, brandissant un drap, tendant les mains vers le ciel, se prosternant. Les seins et ventre sont développés, les hanches larges. Rappelons que certaines sculptures de Breker ont plus de 10 m de haut.

« Kammeradschaft »

La camaraderie virile et militaire est un thème constant de la plastique nazie. Thorak appelle Kamaradschaft, deux colosses nus, gigantesques, se tenant par la main. Breker nomme Kamaraden un bas-relief montrant deux soldats nus, l’un serrant contre lui son camarade blessé. On ne peut s’empêcher d’être frappé par l’homosexualité qui émane de tant de sculptures nazies glorifiant la « virilité » agressive ou la camaraderie militaire.

Les bustes

Très répandus à l’époque hitlérienne, les bustes étaient destinés à immortaliser les traits des grands dignitaires. Presque tous les sculpteurs ont fait des bustes d’Hitler.Breker a réalisé entre autres les bustes de : Hitler, George de Bavière, Madame Siemens, Isolde von Conta, Comte Luckner, Arthur Kampf, Speer, Goebbels, Wagner, Edda Goering, Madame Bormann.

Les thèmes héroïques et les symboles

Si de nombreuses sculptures sont consacrées aux athlètes, aux soldats (guerrier blessé, camarades, aviateur, soldat de la Wechmacht), il faut aussi accorder une grande importance aux figures allégoriques – la Force, l’assaut, la nation, le Vengeur – mais aussi aux innombrables symboles qui caractérisent l’ère nazie : porteurs de glaive et de croix gammée, aigles, etc.

La symbolique et la thématique picturale sont plus complexes, mais présentent la même monotonie. En feuilletant la revue « Die Kunst im Dritten Reich  » on est frappé par la platitude et la similitude que présentent la plupart des œuvres. Après avoir épuré les musées allemands, exposé les œuvres « dégénérées », on encouragea la « peinture authentiquement allemande ». si on parle habituellement des écrivains « sang et sol « , on pourrait aussi parler des  » peintres-des-champs-de-la-forêt-des-villages-et-des-prairies-allemandes ».

La peinture nazie rompt avec tous les courants modernistes pour revenir vers le réalisme le plus plat. Quels que soient les peintres, on retrouve les mêmes thèmes.

La division par genres

La plupart des peintres nazis pourraient se classer en peintres de paysages allemands, peintres de scènes rustiques, peintres d’Hitler, peintres de S.A., peintres de S.S. peintres d’animaux, tant la monotonie de leurs œuvres est grande. Du néo-classicisme au style rustique et champêtre, en passant par l’exaltation des héros nordiques et des actions du parti nazi : tels sont les principaux courants d’inspiration.

Le réalisme

Hitler dont les idées inspirent tous les critiques d’art, ne voit dans les courants de peinture moderne -futurisme, cubisme, expressionnisme, art abstrait – qu’un barbouillage culturel indigne du peuple allemand. Aussi le réalisme est-il le caractère dominant de toutes les toiles. A la limite, en regardant tel ou tel portrait d’Hitler, on serait même tenté de parler d’hyperréalisme car on distingue mal la toile de la photographie. On représentera les scènes paysannes, les forêts, les champs, les SA ou les SS à peu près comme on peignait un siècle auparavant. De toutes les innovations de l’art moderne, les nazis n’ont rien retenu. On passe sans transition, ou presque, de Kandinsky et de Marc aux peintures de calendriers.

Parmi les thèmes principaux, on peut signaler :

La glorification de la campagne et des paysans

C’est là, sans aucun doute, l’un des thèmes les plus fréquents de la peinture nazie. Les paysans sont glorifiés comme l’élément sain de la nation. Ils sont restés étrangers aux modes étrangères, ont préservé les valeurs archaïques et la pureté de la race et des mœurs. En contact avec la terre, ils communient sans cesse avec le sol natal et perpétuent la tradition. Les peintres se sont acharnés à représenter avec la même monotonie les travaux des champs en toutes saisons, glorifiant le travail de la terre et la souffrance du paysan. Sepp Hilz peint de vielles paysannes assises devant la ferme; Eduard Thöny, des paysans moissonnant avec, rouillé au milieu du champ, un vieux tank français.

adolf-wissel-famille-paysanneAdolf Wissel – famille paysanne -

Adolf Wissel exalte la famille paysanne : une petite fille aux lourdes tresses blondes écrit, une vieille femme tricote. Le père et la mère, pensifs, vêtus de noir, serrent leurs enfants dans leurs bras. Au loin, la campagne, Werner Peiner peint l’automne dans l’Eifel,

werner-peiner-campagne-300x221Werner Peiner – Campagne -

Erich Erler affectionne les tableaux où l’on voit des paysans labourer l’étendue immense et monotone des champs, Oskar Martin-Amorbach peint les moissons : un groupe de paysans s’avancent sur un sentier, devant de lourdes gerbes, portant des faux; Johann Vincenz Cissarz peint aussi des moissonneurs. On ne compte pas les toiles consacrées aux travaux des champs : même monotonie, mêmes stéréotypes dans la plupart des toiles : les saisons, la ferme, les vendanges, la moisson, les labours, le semeur, les bucherons, les bergers, la famille paysanne.

oskar-martin-amorbach-le-semeur-1937-196x300Oskar Martin Amorbach – Le semeur -

Une place particulière est accordée à la ferme. Les peintres nazis peignent des fermes sous tous leurs aspects, nous montrent les différentes activités qui s’y rattachent et accumulent les tableaux d’animaux. Aux chevaux bleus de Franz Marc, succèdent les chevaux de labour de Franz Xaver Stahl. On nous les montre dans l’écurie, chez le forgeron, tirant la charrue. Tout aussi fréquentes et prisées, les peintures de vaches, de moutons, de bœufs sont un leitmotiv de la peinture nazie.

A cette mythologie de la campagne s’ajoute la glorification du travail manuel – paysans et artisans -, de la proximité de la terre, de la nature, la simplicité des mœurs, l’exaltation des femmes de la campagne – étrangères au luxe et à la légèreté de mœurs des filles de la ville. Filles assez fortes, aux hanches larges, à la poitrine développée et parées du nom de « Vénus paysannes » ou « Vénus bavaroises » . Parfois la toile se veut plus politique et aux paysans s’ajoutent d’autres figures : ainsi le thème classique « Ouvriers, paysans, soldats » se rencontre-il fréquemment dans la peinture.

Les paysages

Les villages, la campagne, les montagnes dont on rappelle le caractère profondément allemand constituent aussi un thème important de la peinture nazie.Théo Champion peint un jour de fête au bord du Rhin, Wilhelm Wilke, le Templiner Kanal. Il s’agit tantôt d’une région, tantôt d’un monument mais aussi de tous les clichés traditionnels : la forêt de sapins , les chênes allemands, la campagne allemande, les montagnes et les glaciers. Peu de toiles – c’est assez remarquable – nous montrent des paysages industriels ou urbains – en dehors d’édifices nazis – même lorsqu’il s’agit de représenter la Ruhr, c’est sous la forme d’un champ labouré. Il faudrait citer aussi à côté de l’artisanat, les paysages champêtres, la monotonie avec laquelle les peintres nazis ont représentés des fleurs : soleil, bouquet de fleurs, gerbes de fleurs.

L’homme et la femme

C’est peu dire que la peinture nazie fut figurative. L’homme et la femme y occupent une place essentielle. Et pourtant, ce qui frappe, c’est l’extrême schématisme que présente la plupart de ces représentations. Ainsi, la sphère du travail : on chercherait vainement ces grandes fresques prolétariennes dans lesquelles excellent les peintres soviétiques ou des démocraties populaires. Le travail occupe une place importante dans l’idéologie nazie, mais l’abstraction extrême de cette notion – que l’on songe par exemple à l’anticapitalisme romantique pré-fasciste ou au livre de Jünger Der Arbeiter – se reflète aussi dans la peinture nazie. Il est remarquable que les peintres nazis empruntent rarement, lorsqu’ils veulent représenter le travail ou les travailleurs, aux activités contemporaines : ce n’est pas le travail industriel qui est montré, mais le travail du paysan. encore faut-il souligner que le paysan n’utilise jamais un tracteur, mais une charrue tirée par un cheval qui semble tout droit sorti d’une gravure d’Holbein. L’impression d’irréalité que l’on ressent devant tant de toiles nazies représentant la campagne et ce qui les sépare des toiles soviétiques ou chinoises souvent consacrées à des thèmes analogues, est lié sans aucun doute à l’archaïsme des moyens qui sont montrés. Eisenstein montre dans La Ligne Générale le bouleversement apporté dans un village avec l’achat d’une trayeuse mécanique, d’un tracteur, la création d’une coopérative. Les peintures chinoises contemporaines nous montrent des usines-fermes. Les peintres nazis, au contraire, désignent la campagne allemande comme si elle sortait du moyen-âge : le semeur, le faucheur ont les mêmes traits anguleux, que sur les gravures médiévales. L’archaïsme des techniques y est aussi respecté.

arthr-kampf-laminoir--300x191Arthur Kampf -Laminoir -

De même préfère-t-on l’artisan au travail industriel : si les ouvriers sont absents des tableaux, on y trouve abondamment représentés des forgerons, des serruriers, des bûcherons. Même lorsque des peintres comme Arthur Kampf ou Lothar Sperl se risquent à représenter des ouvriers (ex : Im Waldwerk de Kampf), c’est la musculature qui est mise au premier plan et non la technique, ce qui donne par exemple aux représentations d’ouvriers des usines sidérurgiques quelque chose de mystique : des hommes torse nus, muscles tendus brandissant des tenailles et qui semblent danser dans les flammes. Kampf est un peintre originaire de Düsseldorf à qui les paysages de la Ruhr étaient familiers, mais c’est l’usine du XIXème siècle qu’il peint et non celle qu’il a sous les yeux. Le travail est une notion, un symbole, jamais une réalité. Lorsque l’on tente de montrer le travail en acte, c’est le travail archaïque des paysans qui n’existait plus en Allemagne déjà à l’époque des nazis -ainsi Le semeur de Oskar Martin Amorbach dans un costume moyenâgeux ou du moins, dans un style typique de la période antérieure à la Renaissance – ou bien le travail effectué sur l’ordre du Führer : carriers abattant le marbre destiné à la chancellerie du Reich (Der Steinbruch de Albert Janesch), Marnor für die Reichkanzlei d’Erich Mercker etc…)

arthur-kampf-david-et-goliath-207x300Arthur Kampf – David et Goliath -

Lorsqu’il s’agit de représenter des hommes et des femmes, les peintres nazis n’hésitent pas à passer de l’archaïsme à la mythologie. Nous avons déjà mentionner l’idéal brekerien du néo-classicisme romain, de la femme-muse. Le peintre développe exactement le même thème. L’homme est représenté en Adam, en héros antique, en guerrier, en soldat. La femme n’est qu’une déesse mythologique ou une vénus paysanne. On glorifie en elle le principe féminin éternel, l’incarnation du sol natal, la fécondité de la terre, la Mère. Elle est présente avec l’enfant qui dort, à côte des soldats et des paysans, elle veille sur le foyer, elle regarde les blés. Toute cette imagerie nazie mériterait une étude particulière.

La femme n’existe chez les nazis qu’en tant que principe : elle est la maternité, la fécondité de la race et de la terre. Elle porte sur elle l’avenir de la nation, de la race, et demeure aussi le symbole des saisons, des récoltes, de l’éternel jaillissement. Si l’homme est anobli par le travail et la guerre, la femme est anoblie par l’enfant. Elle n’appartient pas à la société active: c’est la vestale, la prêtresse du foyer, la gardienne des traditions. Aussi est-ce la mythologie qui permet le mieux de la représenter. Étendue nue, offerte aux regards de l’homme, elle est endormie ou l’attend. Son corps se veut d’une beauté parfaite. Sans parure, les seins ronds, les hanches larges, elle est faite pour la maternité : c’est la Grâce, la baigneuse aux bains, sa soumission à l’homme se trouve elle-même exprimée par le choix des sujets mythologiques : ainsi le célèbre thème de Cranach Le jugement de Pâris est-il abondamment développé : c’est l’homme qui désigne la plus belle. Parfois le tableau s’appelle seulement « Féminité » ou « Attente ». On ne compte pas les Dianes (Georg Egming) : Diane se reposant, Hans List : Diane après le bain). Un autre thème abondamment développé est celui des Léda violée par un cygne.

amorbach-leda-230x300Oskar Martin Amorbach

Il faut aussi souligner l’importance de l’inspiration  » nu paysan » : la fille, le corsage ouvert, la tête renversée, est allongée dans un champ de blé, entourée d’épis (Hempfing : Été ), une paysanne blonde, nus pieds, traverse un champ de blé (Bénédiction de la terre par Willri) elle porte des fruits dans une large corbeille posée sur son ventre (Fruits mûrs de Heymann); dans un intérieur modeste, s’appuyant sur une chaise de bois, une jeune fille aux cheveux blonds et noués se déshabille et enlève de grosses chaussettes (Vénus paysanne de Sepp Hilz)

sepp-hilz-venus-223x300Vénus paysanne de Sepp Hilz

Torse nu, tenant dans ses mains des épis de blé, elle s’avance avec son mari qui  la tient par les épaules et qui porte une faux (Maturité de Beutner) , assise en plein champ, une jeune fille blonde – une sorte de Sainte Vierge aryenne – donne le sein à un bébé (Mère de Diebitsch). On remarque comme la fécondité de la terre, la maternité et la féminité sont étroitement associées dans presque toutes ces toiles. Souvent, le thème se colore de paganisme. La femme-paysanne porte son enfant comme la terre porte les moissons. Ses seins et son ventre sont le signe de sa fécondité comme ses cheveux se confondent avec les épis dorés du blé.

Les allégories

Volontiers allégorique, la peinture nazie a cherché à exprimer les valeurs du régime, sa force, sa grandeur en recourant massivement aux symboles les plus traditionnels : les paysans, la famille, le  paysage, toute la mystique du sol natal mais aussi en parodiant de nombreuses œuvres antérieures. De nombreuses gravures et de nombreux tableaux sont une sorte de variation monotone sur Holbein, Dürer et Cranach. Le Moyen-Age a fourni aux peintres les allégories les plus invraisemblables. On utilise abondamment les triptyques pour représenter la famille allemande comme les peintres du Moyen-Age et de la Renaissance. Hitler est représenté en chevalier du Moyen-Age, La préparation au combat (Rudolph Otto) montre une armure tenant un glaive. Werner Peiner reprend le thème de Dürer Les Cavaliers de l’Apocalypse et se plaît à peindre des scènes de batailles moyenâgeuses. On peint aussi les vieilles divinités germaniques -Thor et sa masse d’armes.

La peinture  » politique « 

Non moins importante, la peinture de propagande – la plus médiocre en général – a connu un grand succès dans les expositions. Otto Engelhardt-Kyffhaüser peint les engagés volontaires, sortant des tranchées et se préparant à l’assaut. Ferdinand Stager nous montre des défilés de SS, Hitler est représenté de multiples fois, mais aussi les processions nazies, la foule acclamant le Führer, les S.A. défilant dans Berlin, Hitler inspectant les troupes. On montre des marins, des aviateurs, des fantassins, en exaltant le courage, l’héroïsme, la discipline et la camaraderie. On ne compte pas les œuvres qui nous montrent deux soldats en portant un troisième blessé: Ces « Kameraden » sont un leitmotiv de la peinture nazie. Il faut mentionner aussi les innombrables portraits de SS ou d’officiers qui furent réalisés au cours du Troisième Reich.

Il nous est impossible d’analyser ici toutes ces œuvres, mais ce que nous en avons dit suffit à en montrer le schématisme extrême et l’écrasement par la fonction de propagande.

Jean-Michel PALMIER.

De l’expressionnisme au nazisme; les arts et la contre révolution en Allemagne 1914 -1933. 6/7

Samedi 17 novembre 2012

De l’expressionnisme au nazisme; les arts et la contre révolution en Allemagne 1914 -1933.

Article paru dans « Eléments pour une analyse du fascisme / 1« . Intervention de Jean-Michel Palmier lors du
Séminaire de M-A. Macciocchi- Paris VIII – Vincennes 1974 -1975. UGE Editions – Collection 10-18 – 1976 -

Quelques exemples et quelques formes d’art nazi

1 / La littérature

On a tendance à affirmer que la littérature nazie a été médiocre dans son ensemble et qu’aucun des écrivains célèbres et glorifiés à l’époque du troisième Reich ne mérite de retenir l’attention sinon comme exemple idéologique. En fait, le problème est plus complexe car il est difficile de tracer les limites de cette –  » littérature nazie ». D’une part la transition entre la vieille littérature de droite et la littérature nazie, n’est pas toujours très nette. D’autre part, de grands écrivains ont été marqués par l’idéologie nazie ou s’y sont ralliés. A côté d’exemples particuliers comme Hanns Einz Ewers, il faut citer le cas d’un Gottfried Benn qui a apporté son soutien incontestable au mouvement. Hans Fallada et ceux qui ont continué d’écrire et de publier sous Hitler mériteraient un examen particulier. Enfin, il faut souligner la difficulté de tracer une frontière entre la littérature Blut und Boden et la simple littérature du terroir. Je me souviens avoir feuilleté dans une librairie de Freiburg une série d’ouvrages écrits par des poètes paysans de la Forêt Noire, rédigés en dialecte alémanique, édités par un éditeur local et qui ne présentaient pas la moindre différence avec la littérature völkich de l’époque hitlérienne. Bien plus, certains poèmes étaient dédiés à des figures « historiques » de la Forêt Noire qui avaient joué un rôle dans le mouvement nazi. Par ailleurs, si on lit les anthologies de poésie, les histoires de la littérature, les préfaces aux traductions d’ouvrages allemands parus à partir de 1933, en France, on constate que de nombreux germanistes français ont admiré  la « nouvelle poésie » ou attendaient du Reich hitlérien une source d’exaltation poétique.

De l'expressionnisme au nazisme; les arts et la contre révolution en Allemagne 1914 -1933. 6/7 dans SOCIETE hans-falladaHans Fallada

Par opposition aux courants qui ont dominé l’époque de Weimar, la littérature et la poésie de l’époque  hitlérienne affirment leur volonté de revenir vers le passé, de renouer avec les vieilles traditions germaniques, les valeurs ancestrales, le sol natal. La plupart des poètes et des écrivains accordent une place particulière à la langue, entité mystique, qui est l’expression de la communauté raciale, la Volkgemeinschaft. Hanns Johst – auteur expressionniste converti au nationalisme mystique puis au nazisme auteur de la pièce Der Einsame (Le Solitaire) contre laquelle Brecht écrira la réplique de Baal, et auteur réel de la phrase bizarrement prêtée à Göring  » Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver » – est sans doute celui qui a le plus développé sur le plan « théorique » cette conception du langage.

hanns-johst dans SOCIETEHanns Johst

La littérature se doit de puiser son inspiration dans le sol natal, dans la tradition. La langue allemande – dont on tente à cette époque d’expurger les mots étrangers, Karl Jaspers lui-même sera accusé d’écrire un « mauvais allemand » – oscille entre deux paradigmes, l’un archaïque et l’autre moderne. La perfection de la langue se trouve incarnée par les discours du Führer - on a même pu établir que son type physique correspondait à la synthèse des plus purs courants de la race aryenne – maître incontesté de la langue, artiste du verbe, comme on le nomme alors, et elle puise sa source dans la langue des paysans, seul élément sain de la nation. La langue n’est pas un simple moyen de communication : c’est en elle que vit l’âme profonde du peuple. Aussi on ne cesse d’exalter le culte des ancêtres, le dialecte paysan – qui n’a pas été abâtardi par l’internationalisme, les vocables étrangers et qui reste fidèle aux valeurs fondamentales du sang et du sol. Parallèlement, on exalte les mythes germaniques qui sont l’histoire allégorique du peuple allemand, le sang qui les anime est aussi le sang allemand. Ce thème du sang est associé à toute une série de Valeurs irrationnelles qui se sont développées tout au long des années de Weimar (Ewers). A partir de ces remarques préliminaires, on peut distinguer au moins quatre courants qui ont constitué la littérature nazie(7).

Le courant nationaliste

ernst-jnger-300x212Ernst Jünger et Arno Breker

Ce sont des écrivains dont les œuvres sont en général antérieures à 1933, mais que les nazis considéreront comme leurs précurseurs. Aux vieux thèmes nationalistes et pangermanistes s’ajoute à partir de 1914 la glorification de la guerre et de l’héroïsme. A l’opposé des œuvres pacifistes - Le Feu de Barbusse, à l’Ouest rien de nouveau de Remarque, toute une série d’écrivains allemands parmi lesquels nous avons déjà cité Ernst Jünger exaltent – « la guerre, notre mère  » et développent cette Kriegsliteratur qui connaîtra une seconde vie à l’époque hitlérienne. Les thèmes de cette littérature sont en général très monotone : exaltation des valeurs militaires, du sacrifice, de la violence, de la guerre comme éthique nationale qui réveille l’esprit du peuple endormi dans le confort bourgeois. Loin de voir dans la guerre, comme des Expressionnistes, une boucherie sanguinaire, ces auteurs y voient une sorte d’orage spirituel qui rajeunit le sang de la nation. Si l’ouvrage de Jünger Orages d’acier peut être considéré comme le plus parfait représentant de cette inspiration, c’est aussi l’une des œuvres les plus belles littérairement (du genre, cela s’entend). En général cette littérature médiocre ne présente guère d’intérêt. Les nazis la reprendront à leur compte, cultivant l’anti-communisme qui l’anime déjà. De nombreux films nazis s’inspireront aussi de ce courant.

Le néo-romantisme

Le néo-romantisme a été aussi une composante de la littérature nationaliste. Les premières œuvres d’un Hanns Johst illustrent bien ce second courant. Sans doute la tradition romantique a-t-elle toujours subsisté en Allemagne comme en témoignent par exemple les nombreux thèmes romantiques et post-romantiques, qui jalonnent les premiers films expressionnistes, mais ce néo-romantisme aux alentours de la guerre de 1914 prend une teinte de plus en plus réactionnaire. Glorifiant l’irrationnel, célébrant le mysticisme, le rêve, la fuite hors du réel, il s’achemine vers une glorification de la terre, du sang, du sol natal, des instincts. De nombreux écrivains néo-romantiques accepteront le mouvement nazi, certains s’y rallieront avec emphase. Il faut aussi souligner que ce néo-romantisme constituera une dimension importante de la littérature et de la poésie nazie. Ce néo-romantisme enveloppera aussi bien les forces vitales, les instincts, la patrie, le sol natal, la mère, la fécondité, la communauté nationale, les paysans. C’est surtout autour des thèmes paysans, agraires, la glorification de la communauté nationale, de la race qu’il s’illustrera sous le IIIème Reich. Souvent, il se teinte de paganisme et de religiosité diffuse.

Le courant régionaliste

Le troisième courant que l’on peut mentionner, c’est le courant régionaliste. Sans doute, par de nombreux aspects, se rapproche-t-il du précédent. Comme le néo-romantisme, il se tourne vers le passé. On exalte la campagne, les mœurs saines des paysans, l’art populaire, provincial, la terre. Mais il ne s’agit pas seulement d’exalter la Terre allemande comme une entité mystique le plus souvent, c’est la réalité du travail manuel, celui du paysan en particulier, qui fait l’objet d’ une glorification particulière. Sans doute, toute littérature qui parle de la campagne n’est-elle pas nazie, même à cette époque, mais il faut bien reconnaître qu’il est difficile d’établir une ligne de partage très rigoureuse entre cette littérature qui chante le travail du paysan et certains aspects de la littérature nazie.Le retour à la terre, la glorification de la pureté des mœurs au village, la haine de l’industrialisation, l’anti-capitalisme romantique sont devenus aussi des comportements de la littérature fasciste.

La littérature de propagande

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Un certain nombre d’écrivains enfin, acceptèrent de mettre leur plume au service du parti nazi. Ewers rédigea une biographie de Horst Wessel, Hanns Johst écrivit une tragédie sur l’étudiant nationaliste, combattant des corps francs, Albert Léo Schlageter, fusillé par les Français à la suite d’un attentat. D’autres écrivains ne firent qu’illustrer purement et simplement les valeurs du nouveau régime. Sans mysticisme et sans illusion, ils acceptèrent la barbarie et le servirent de leur mieux. Lionel Richard cite cette phrase du poète Gerhard Schumann :  » Nous sommes le poing du Führer « . Ces écrivains se firent les porte-paroles du racisme, de l’anti-sémitisme, de l’anti-communisme. Littérature médiocre, sanguinaire, qui tentait de transformer en œuvres littéraires les slogans du parti, les discours les plus criminels de ses dirigeants. Non seulement, elle ne présente aucune originalité, mais ne cesse de se vautrer dans la servilité.En dehors de ceux qui se compromirent avec le nazisme, mais dont l’œuvre connaissait déjà une certaine célébrité, tel Benn, les « écrivains nazis » frappent surtout par leur médiocrité. Mais cela ne signifie pas que le nazisme n’ait pas eu de postérité littéraire ! Une analyse de la presse allemande, des publications des éditions Axel Springer par exemple, l’analyse des quotidiens, montre au contraire à quel point les thèmes fondamentaux du Reich hitlérien ne sont pas mort avec lui.

Jean-Michel PALMIER.

 

De l’expressionnisme au nazisme; les arts et la contre révolution en Allemagne 1914 -1933. 5/7

Samedi 17 novembre 2012

De l’expressionnisme au nazisme; les arts et la contre révolution en Allemagne 1914 -1933.

Article paru dans « Eléments pour une analyse du fascisme / 1« . Intervention de Jean-Michel Palmier lors du
Séminaire de M-A. Macciocchi- Paris VIII – Vincennes 1974 -1975. UGE Editions – Collection 10-18 – 1976 -

Quelques exemples et quelques formes d’art nazi

2 / L’ Architecture

Pour comprendre l’importance de l’architecture dans la pensée d’Hitler, il convient de rappeler quelques traits de l’évolution de l’architecture allemande depuis la première guerre mondiale. A partir de 1914, les thèses les plus discutées sont celles de Gropius. L’utilisation massive du béton, du verre, de l’acier s’accompagne de la recherche d’une nouvelle plasticité. En 1915, Van de Velde, attaqué en tant que citoyen belge, a du démissionner de l’ École des arts décoratifs de Weimar et il a recommandé comme successeur Walter Gropius. Le Bauhaus est né de ces premières recherches de Van de Velde. En réunissant en une seule école, les arts décoratifs, les beaux-arts et l’architecture, Gropius se proposait d’unir la peinture, la sculpture, la musique, l’architecture, d’abolir la division entre artiste et artisan, théoricien et plasticien, montrer la nécessité du travail d’équipe en architecture. Le Bauhaus devint rapidement un véritable foyer de création artistique qui effectuait une synthèse vivante entre les courants avant-gardistes de toute l’Europe : du futurisme italien au constructivisme russe en passant par l’art abstrait. Sans doute l’architecture de l’époque de Weimar malgré le génie de ceux qui enseignent au BauhausKlee, Kandinsky par exemple – n’est sans doute pas aussi novatrice que l’architecture soviétique et ses expérimentations utopistes (Tatline, Lissitsky) , la crise économique la frappe durement, mais elle connait un réel épanouissement qui ne sera stoppé qu’ avec la montée des nazis au pouvoir. Si Klee et Kandinsky, en tant que peintres, représentent peu l’esprit du Bauhaus, il est certain que par son activité, cette école connait un rayonnement international. L’histoire du Bauhaus est trop connue pour qu’on la rappelle, mais on peut aussi mentionner d’autres courants qui, à la même époque, témoignent de l’immense effort de recherche qui s’accomplit dans l’architecture.

Walter Gropius

Walter Gropius

L’expressionnisme, qui a manifesté son originalité architecturale dans de nombreux décors de films – l’exemple le plus célèbre est sans doute le cabaret du Docteur Caligari et ses paysages en obliques  – a aussi influencé l’architecture en un sens plus romantique, fantastique. Le Bauhaus acceptait volontiers comme Tatline et Rodchenko l’idée d’une « mort de l’art ».

De l'expressionnisme au nazisme; les arts et la contre révolution en Allemagne 1914 -1933. 5/7 dans SOCIETE alexander-rodchenko-1924--225x300Alexander Rodchenko – 1924 -

L’architecture devait être l’art dans lequel se fondaient tous les autres et les premières réalisations firent sensation (atelier du meuble, atelier de luminaires dirigé par Moholy-Nagy , atelier de tissage d’Anni Albers, invention de nouveaux caractères d’imprimeries avec Herbert Bayer).

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Vladimir Tatline – 1920 -

Le Bauhaus ne voulait pas seulement effectuer une synthèse vivante des arts et de l’architecture, mais aussi donner une réponse concrète à tous les problèmes de l’environnement quotidien. Le « théâtre total » imaginé pour Piscator par Gropius et  les constructions qu’il effectua à Berlin après sa démission du Bauhaus montrent l’audace des projets de cette époque. De son côté l’Expressionnisme fut à l’origine de projets utopiques assez étranges. Alors que le Bauhaus allait vers une rationalité parfaite, une harmonie des matériaux et de l’habitat, l’expressionnisme imaginait des édifices qui semblaient tout droit sortis des écrans de cinéma : salles de concert avec stalactites et stalagmites, architecture émotionnelle, symbolique, fantastique. Ce désir de concrétiser dans la pierre, l’idée, le symbole est un aspect particulièrement étrange de l’architecture expressionniste des années de Weimar. Non moins étrange fut la tentative du Goethenaum de Rudolph Steiner. Le théosophe bâtit avec ses disciples un édifice à coupoles, soutenu par une charpente en bois, qui devait concrétiser leur élan mystique et leur vision du spirituel.Une attention extrême fut apportée aux moindres détails : les vitraux étaient obtenus, non par encadrements de plomb mais les lumières différentes étaient  provoquées par le verre lui-même, plus ou moins creusé, les murs étaient colorés avec des pétales de roses broyées, recouvertes d’une fine pellicule de cire vierge afin d’obtenir de dégradés étranges. Toute cette fantasmagorie architecturale, aussi étrange que belle, fut la proie des flammes à la suite, semble-t-il, d’un incendie criminel. Le second Goethenaum n’atteint jamais la beauté du précédent. Il n’y a pas d’œuvres plus éloignées l’une de l’autre que le Bauhaus de Gropius et le Goethenaum de Steiner : Ces deux extrêmes permettent de mieux saisir la variété et la richesse des courants qui se sont succédés à l’époque de Weimar.

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Affiche du Bauhaus 1923

Le nazisme s’acharna avec la même violence contre ces deux courants : l’expressionnisme lui semblait une forme d’art dégénéré. Si Goebbels manifesta au départ une certaine sympathie pour Nolde et certaines toiles expressionnistes qu’il collectionnait lui même, dès 1935, Hitler avec la sûreté de goût qui le caractérise exigeait que l’ont mette fin « au bafouillis culturel des cubistes, futuristes et dadaïstes ». Le Bauhaus de Gropius apparaissait aux nazis comme une pépinière d’idées socialistes, anarchistes et révolutionnaires et il fut fermé. La plupart des grands architectes allemands furent condamnés à l’exil. Ceux qui demeurèrent en Allemagne n’étaient ni les plus brillants, ni les plus novateurs. Assez rapidement, ils perdirent toute personnalité et édifièrent des monuments sans intérêt, anonymes, comme Peter Beherens ou Hans Scharoun. Certains continuèrent des recherches esthétiques clandestines comme Finsterlin. Mais à partir de 1937, c’est un seul architecte, favori d’Hitler, qui semble prendre en mains le destin de l’architecture allemande : Albert Speer.

albert-speerAlbert Speer

Albert Speer a longuement raconté ce que fut sa vie sous le troisième Reich. Très vite il devint l’ami personnel d’Hitler et le constructeur officiel du régime. Il construisit entre autre le pavillon allemand à l’Exposition universelle de 1937, les bâtiments du congrès de Nuremberg et la nouvelle chancellerie du Reich. L’ingénieur Todt fut chargé de la construction d’un réseau impressionnant d’autoroutes et des bunkers de l’Atlantique. Speer fut sans doute l’un des hommes les plus éminents du régime SS et l’un des plus compromis. Lors de la débâcle allemande, il avoua à son ami Arno Breker, dont il avait à partir de 1938 utilisé la compétence en tant que sculpteur, que « même  un chien refuserait dorénavant de manger dans nos mains ». Breker nous a laissé d’intéressants souvenirs sur sa rencontre avec Speer en novembre 1938 :

arno-breker-annees-30-204x300Arno Breker – années 30 -

« C’était la première fois que je rencontrais Albert Speer. Il était de taille imposante – environ 1 mètre 90 – il avait les yeux marron foncé et un crane qui s’élargissait à partir des tempes.

Les salutations furent brèves.

Nous entrâmes immédiatement dans une grande salle où s’élevait la maquette d’une cour. J’appris qu’il s’agissait de la cour intérieure de la Nouvelle Chancellerie.

L’architecture en était classique, appropriée aux dimensions; elle était rigoureuse et solennelle.

Ce fut sans doute, je m’en aperçu par la suite, l’une des plus grandes réussites d’architecture extérieure au sein du complexe.

L’entrée principale devait être mise en relief grâce à des statues. Le grand escalier de quelque douze degrés était enserré à gauche et à droite par deux blocs de pierre, destinés à devenir les socles des statues.

J’appris qu’une série de concours internes de sculpteurs n’avait donné aucun résultat. C’est pour cette raison qu’ont s’était soudain intéressé à moi. Je reçu un dessin de cour intérieure et des détails de l’escalier.

… Vous pouvez choisir librement le thème. Nous nous revoyons dans huit jours.

L’entretien avait duré cinq minutes. « 

Speer avait reçu comme mission la rénovation de toutes les grandes villes allemandes. Il devait élaborer un style monumental qui soit propre au régime. Connaissant la passion d’Hitler pour l’architecture, Speer fit tout son possible  pour le satisfaire et s’efforça de développer un peu partout une sorte de néo-classicisme colossal. Il est remarquable que la plupart des édifices nazis reprennent finalement les premières esquisses délirantes élaborées par Hitler dans les années de jeunesse passées à Vienne : même goût pour l’imitation romaine, même passion pour les arcs de triomphe gigantesques. Speer se vit non seulement chargé de l’urbanisme, mais de la rénovation de Berlin. Lorsque Speer propose à Breker d’y collaborer, celui-ci ne cache pas, même dans ses Mémoires, son enthousiasme et son émotion :

 » Je fus accueilli avec la plus grande cordialité  par Speer  qui m’annonça qu’il allait me montrer des maquettes gardées encore rigoureusement secrète de la place Ronde de l’axe Nord-Sud un des éléments du gigantesque  programme de rénovation de Berlin.

Speer m’expliqua l’ensemble du projet.

L’axe Nord-Sud devait avoir approximativement la largeur des Champs-Élysées. Il traversait la place Ronde, montait légèrement et se terminait sur le Grand Arc dont les bas-reliefs devaient m’être réservés.

La Place Ronde était étoilée de quatre rues situées à égale distance les unes des autres. Au milieu de cette place devait se trouver un bassin d’un diamètre de 126 mètres et d’une hauteur que j’évaluais de 4 à 5 mètres.

Nous considérâmes la maquette sous tous les angles (…)

- Le Führer, dit Speer, a été tellement enthousiasmé par vos deux statues illustrant les piliers de l’État, qu’il m’a chargé de vous confier en plus la fontaine…

On se représente mon émotion à l’idée d’assumer la réalisation de  cette fontaine ».

hitler-ma-dit

Dans Hitler m’a dit, Hermann Rauschnig a rapporté différents propos d’Hitler sur l’architecture qui précise le sens politique de cet art nouveau: l’architecture monumentale, la rénovation des villes devait être le symbole de la rénovation politique. Le caractère gigantesque des édifices traduisait dans la pierre et l’espace la grandeur des desseins du Reich. Hitler, dans sa mégalomanie habituelle ne songe pas moins aux bâtisseurs de cathédrales et aux édifices antiques : le Reich doit développer une architecture qui renoue avec l’Égypte et Babylone :  » nous créons les monuments sacrés, les symboles de marbre d’une nouvelle civilisation. J’ai dû commencer par là, pour marquer d’un sceau indestructible mon peuple et mon époque. »

Si l’on examine les réalisations de l’architecture nazie, il faut reconnaître qu’elle a été dans son ensemble très médiocre. Faux classicisme, gigantesque, imitation monotone des styles romains, destruction de la beauté et de l’harmonie des vieux quartiers de certaines villes par la construction d’axes destinés aux parades de chars ou de monuments géants : tels en sont les principaux résultats. Les habitations ouvrières ne sont pas loin d’être conçues sur le modèle de la ruche ou de Métropolis de Fritz Lang. Quant aux demeures bourgeoises, elles se veulent, même en ville, posséder quelque chose de rural : l’âtre est toujours le symbole de la maison, les murs sont décorés avec des peintures du « paysage natal », on accorde une grande place à l’artisanat, etc …

Il faut malheureusement reconnaître que l’idéal d’architecture nazie n’est pas sans rappeler par son culte du classicisme et du gigantesque, les pires réalisations de l’architecture stalinienne.

Jean-Michel PALMIER.