JEAN-MICHEL PALMIER : ARTICLES REDECOUVERTS

JEAN-MICHEL PALMIER : ARTICLES REDECOUVERTS dans SOCIETE 88r176a

 jeanmichelpalmier2 dans SOCIETE

Jean-Michel PALMIER

Étudiant dans les années 70 à Amiens, j’ai eu la chance, pendant une année, de participer aux cours de sociologie dispensés par Jean-Michel Palmier. J’ai gardé un souvenir toujours admiratif de ce véritable “montreur d’ombres”. Au fil du temps, j’ai suivi sa carrière et cherché à toujours mieux le comprendre au travers de ses nombreuses publications. Jean-Michel Palmier à toujours su faire partager son immense culture au travers de la rédaction de notes de lecture parues dans d’innombrables journaux et revues.

jeanmichelpalmier1

C’est la trace de ce “passeur, de cet “éveilleur des consciences” que je souhaite partager avec ceux qui l’ont connu ou qui le découvrirons au travers de la publication d’articles nombreux que j’ai accumulés. Ce blog vise à rendre hommage à ce grand homme passionné et passionnant qui m’a toujours fasciné par son érudition et sa grande modestie.  J’espère également en faire un lieu d’échanges rassemblant la “communauté imaginaire” liée par les mêmes passions.

Biographie de Jean-Michel Palmier (1944-1998) (extraite de l’ouvrage posthume “Rêveries d’un montreur d’ombres” paru chez C. Bourgois en 2007 coll Titre N° 67) était professeur d’Esthétique et des sciences de l’art à l’université de Paris 1. Spécialiste de la République de Weimar, il a travaillé sur les écrits politiques de Martin Heidegger et publié une thèse sur le poète Georg Trakl avant de s’attacher à faire connaître les pensées de Jacques Lacan, de Wilhelm Reich ou encore de Herbert Marcuse. Ses travaux sur l’expressionnisme, sur la ville de Berlin, sur le théâtre d’Erwin Piscator ou le cinéma de Bela Balazs, sur Dada, sur Ernst Bloch ou Georg Lukacs ont ensuite largement contribué à faire connaître le foisonnement intellectuel et artistique de cette période. Il a consacré ses derniers travaux à Walter Benjamin.

 

Eléments bibliographiques sur Jean-Michel Palmier par Sébastien Rongier -13 novembre 2005 -Site Remue.net

https ://remue.net/spip.php?article 1945

https ://remue.net/spip.php?rubrique 207 

 

jeanmichelpalmier.vignette

Le dernier exil de Jean-Michel Palmier,  par Jean Duvignaud

Article paru dans le Nouvel Observateur – Semaine du 13 août 1998

Passionné par la culture allemande du XXème siècle, il n’a cessé d’en sonder les arcanes. Avec ferveur et pertinence. Il nous a quitté, le 20 juillet, à l’âge de 53 ans.

Qu’est-ce qui donne à certaines rencontres, l’intuition d’une attente commune ? Choses non dites encore, échanges d’utopies…Quand j’ai connu Jean-Michel Palmier, alors aux alentours d’Henri Lefebvre, il portait avec lui le souci de comprendre la grande affaire du siècle : la fulgurante révolte imaginaire qui répond aux violentes convulsions des guerres, d’une révolution et des “putschs” totalitaires.

Vers 1968, c’est à travers une critique d’Heidegger, une analyse de Marcuse et de Reich qu’il tente de comprendre la réfraction des mouvements sociaux sur la conscience philosophique. Il en discute avec Lucien Goldmann, Kostas Axelos, dont il est proche. Une philosophie, oui, dont le moteur chez le jeune Marx est le désir infini, la liberté créatrice de formes et de relations neuves. Mais Palmier n’a rien “trouvé”, il soupçonne.

En 1974-1975, nous  sommes réunis, Georges Pérec, Paul Virilio, pour un numéro de la revue “Cause commune” qui doit reparaître en 10/18 : est-ce que depuis près d’un siècle, au lieu de se “conserver” comme disent les “biens-pensants”, les sociétés ne se détruisent-elles pas elles-mêmes, fût-ce les trouvailles de leurs “progrès”, de leurs nouvelles techniques ? Nous avons beaucoup débattu du “pourrissement des sociétés ” actuelles…

Pérec s’installe au Café de la Mairie, place Saint-Sulpice, pour examiner la dérisoire déambulation des passants affairés; Virilio évoque les “espaces sociaux” contrôlés par la haute surveillance étatique; Palmier, lui, décrit son pèlerinage sur “les ruines de Weimar sur les ruines de Berlin “, et qui sera l’ébauche de son livre de 1976 : “Berliner Requiem “.

Weimar, oui, un rêve perdu : les semences d’une nouvelle vision de l’homme, des arts, de la vie collective. Brecht, bien sûr, mais aussi Finck “le cabaretier des années 30 “, Marlène Dietrich, Döblin, les philosophes Adorno, Walter Benjamin, qui ne sont pas encore des exilés, comme le sera Piscator, réfugié à New York et dont Palmier fut un fidèle ami. Voilà une question sans réponse : la défaite des empires centraux, en 1918, a-t-elle provoqué à l’Est plus de création effervescente que la victoire à l’Ouest, où le surréalisme, malgré Cendrars et Breton, s’est enlisé en idéologie ?

La défaite, oui, mais en Russie, la révolution. L’idée d’un changement radical de l’ordre social ne se réduit pas au passage d’un gouvernement à l’autre. Plus tard Reich écrira, cité par Palmier : “Qu’est-ce qu’une révolution qui ne donne pas à l’amour et à la sexualité les mêmes chances qu’à l’économie” ?

Il y eut, peut-être, une intuition esthétique de Lénine sur les arts et la culture, vite récupérée, effacée par le réalisme socialiste stalinien. Mais le choc s’est répercuté et, malgré le poids doctrinal, émergera, là aussi, l’expressionnisme – au cinéma, en poésie. L’expressionnisme est-il l’effet des cassures dans l’histoire ? Comme le furent le baroque ou le romantisme et ses suites ? Dès 1920, le flux anime toutes les formes de la création, comme une victoire de l’homme contre son asservissement. Les grands essais de Palmier naissent de la – ” L’Expressionnisme comme révolte” et “l’Expressionnisme et les arts”.

Et là se situe la cassure: Lukacs encore empêtré dans un stalinisme qu’il admettait du bout des lèvres, voit dans l’expressionnisme une résurgence “petite-bourgeoise”, une forme d’irrationalisme conduisant au fascisme ou le reproduisant. Son contemporain, Ernst Bloch, philosophe venu lui aussi d’un marxisme libertaire non stalinisé, y voit au contraire l’émergence d’une nouvelle vision de l’homme et du monde. Palmier a fréquenté Bloch, réfugié de l’Est en Ouest. Peut-être a-t-il trouvé des arguments pour sa réflexion, assurément pas la passion intellectuelle qui l’animait – et dont se souviennent ses étudiants et ses  amis. L’esthétique n’est pas seulement une discipline universitaire, mais une vocation.

D’autres parleront mieux que moi de son animation et de sa générosité; on cherche ici seulement à suivre une pensée qui s’est nourrie d’une métaphysique vivante, bien au-delà des textes et des commentaires. Une anticipation inquiète qu’il partageait avec son ami Axelos. Durant deux ans et demi d’une longue agonie, il a trouvé la force d’écrire un long manuscrit sur Walter Benjamin : il se collette avec un autre pour y chercher sa propre substance. Comme pour Pérec, la mort était là : l’inachèvement est le souci des amis.

Jean DUVIGNAUD.

 jeanmichel1973parjeandasilva2.jpg
Jean-Michel PALMIER – 1973 -

 Jean-Michel PALMIER, un essayiste érudit et fervent. (Le Monde, juillet 1998)

 Le philosophe et essayiste Jean-Michel PALMIER est mort des  suites d’un cancer, lundi 20 juillet, à l’hopital de Garches. Il était âgé de 53 ans.

Jean-Michel PALMIER s’était trompé d’époque : ce n’est pas dans le Paris des années quarante qu’il aurait du naître – le 19 novembre 1944 -, mais à Berlin, au début du siècle. Il aurait pu suivre le poète Gottfried Benn à la morgue, assister au tournage de Loulou en compagnie de Lotte Eisner et guider Louise Brooks dans les cafés berlinois. Il aurait pris des leçons de cynisme auprès de Bertolt Brecht; il se serait promené à Alexanderplatz avec Alfred Döblin et aurait parlé de Lénine avec Rosa Luxemburg. Puis, quand Berlin,  » La Grande Prostituée  » , serait mise au pas par Goebbels, qui rasera au bulldozer les derniers cabarets pour anéantir l’humour berlinois, il aurait suivi Weimar en exil.

D’une certaine manière cependant, Jean-Michel PALMIER a fait tout cela et nous l’a restitué dans des livres impressionnants d’érudition et de ferveur. Personne n’a oublié ses deux volumes sur L’Expressionnisme comme révolte (Payot, 1980), ni son testament : Berliner Requiem (Galilée, 1976) repris par les éditions Payot sous le titre : Retour à Berlin (1989). Il y distillait sa mythologie, sa détresse, ses regrets et son angoisse. Il demandait à son lecteur d’être pour lui un frère de sang et de rêve.

A peine sorti de Nanterre où il avait été étudiant en 1968, puis assistant, Jean-Michel PALMIER multipliait les champs de recherche. La psychanalyse avec ses essais sur Lacan et Marcuse (Belfond, 1977). Le cinéma avec Bela Balazs (Payot, 1977) et Pabst. La poésie, bien sûr, avec sa thèse bouleversante sur le poète autrichien Georg Trakl (Belfond, 1972). La politique, avec son ouvrage sur Lénine, l’art et la révolution (Payot, 1975). La philosophie, aussi, avec Heidegger, dont il fut si douloureusement proche. Sur tous ces sujets il intervint également dans « Le Monde des Livres« , dans Le Monde Diplomatique, ainsi qu’au Magazine Littéraire.

Enfin, ce qui est plus surprenant, il s’intéressa à l’entomologie dont Ernst Jünger lui avait inoculé le virus. Dans son dernier livre, Ernst Jünger, rêveries sur un chasseur de cicindèles (Hachette, coll.  » Coup double « , 1996), il écrivait qu’il avait l’impression que Jünger n’avait parcouru le monde que pour observer les insectes.

PALMIER, aussi, parcourait le monde, mais autant pour partager ses connaissances que pour être ému par sa fugitive beauté. Il mettait beaucoup d’ardeur à explorer les continents cachés de la conscience, de l’art et de la politique pour se persuader et pour nous convaincre que l’utopie marxiste et le principe Espérance, chers au philosophe Ernst Bloch, n’était pas de vains mots. En dépit de sa grande souffrance, il travaillait depuis plusieurs années sur un livre consacré à Walter Benjamin.  

La vie qu’il aimait tant ne lui a pas rendu. Ses dernières années furent transformées en un véritable calvaire. Il se souvenait alors de cette affiche qu’il avait ramenée de Berlin et qui s’intitulait : «  Berlin, ton danseur est la mort « . Et comme Kafka, atteint lui aussi d’un cancer, il disait à son médecin :  » Donnez-moi la mort, sinon vous êtes un assassin. »

Roland JACCARD.

 Roland Jaccard : Fragments autobiographiques

rolandjaccard1995byerlingmandelmann.jpg
Quels sont parmi les morts ceux qui me manquent ?  Réponse : c’est toujours à Jean-Michel Palmier, ce vieux complice de ma jeunesse que je pense. Lui, c’était Berliner Requiem. Moi, c’était l’apocalypse viennoise. Lui, c’était la passion. Moi, c’était le dégout de l’existence. Lui, c’était la révolte. Moi, c’était la résignation. Lui, c’était Eisenstein. Moi, c’était Pabst. Je suis inconsolable de cette part de moi-même qu’il incarnait. Il est mort trop jeune et moi je mourrai trop vieux. 

 Les livres de Jean-Michel Palmier :

Berliner Requiem” (1976) Galilée. “Piscator et le théâtre politique”, “l’ Expressionnisme comme révolte (1983), Payot. “Klimt, Kokoschka, Schiele ” (1986), Solin. “Weimar en exil” (1987), Payot. “Peinture, cinéma, théâtre” (1988), “Ernst Jünger” (1995), Hachette. “Retour à Berlin” (réédition 1997), Payot.

  jmpalmier21.jpg

Une Réponse à “Jean-Michel Palmier : articles redécouverts”

  1. 391374

17071968unblogfr écrit:
27 décembre, 2008 à 14:14 e

Bonjour, j’ai suivi également les cours de Jean-Michel PALMIER de 1986 à 1989 à Paris VIII Saint-Denis. Je relis avec plaisir vos “articles redécouverts” car j’y retrouve bien Jean-Michel PALMIER et son esprit. J’ai moi-même commencé un blog (en construction et loin d’être aussi perfectionné que le vôtre !) dont le but est de promouvoir les livres de Jean-Michel PALMIER et de les rendre accessibles à un plus large public. Ses écrits étaient tellement truffés de références que je dois m’y reprendre à deux fois avant de réellement saisir le fond de sa pensée (!). De plus j’ai peu de temps à y consacrer. Mais l’effort est toujours largement récompensé et le fait de l’avoir connu me permet d’accéder plus facilement à la profondeur de ses textes. Je regrette qu’il ait disparu si tôt et dans de telles circonstances, après avoir tellement souffert. Je garde l’image d’une personne questionnant tout ce qu’il y a de plus banal et arrivant à nous faire entrevoir la vie d’une façon complètement différente de la vision initiale que l’on aurait pu en avoir. Rien n’échappait à ses questionnements. Le côtoyer était un enrichissement constant. L’idée de l’éphémère, du temps qui passe était source d’angoisse pour lui. Sa passion pour la philo était originellement liée à cette sourde angoisse et au besoin de l’apaiser en cherchant à comprendre ce qu’était la vie. Je me souviens de ce jour où il m’a dit : “la vie est absolument effrayante”. Vous avez donc ici une lectrice attentive… Merci encore. Nathalie

Laisser un commentaire