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Archive pour février 2011

« Weimar en exil » de Jean-Michel Palmier.

Samedi 26 février 2011

« Weimar en Exil » de Jean-Michel PALMIER

Par Yves Florenne

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Aricle paru dans « Le Monde Diplomatique » de décembre 1987

En 1933, l’Allemagne se vida du « meilleur de l’Allemagne ». ceux qui se retiraient d’elle, c’était non seulement avec l’espoir mais aussi avec la certitude de la rendre elle-même, et toute entière, meilleure qu’elle n’avait jamais été. Une certitude qu’ils puisaient dans une autre, non moins absolue : la culture ne pouvait que triompher de la barbarie.

Le démenti apporté par la réalité fut particulièrement tragique pour les exilés. Ils trouvèrent l’Europe sourde à leurs témoignages, à leurs cris d’alarme ; puis agacée, bientôt soupçonneuse. L’échec qu’ils subirent du fait de leur propre pays les atteignit plus encore: Ils ne l’ébranlèrent jamais. Pas trace tangible de résistance dans la masse du peuple; la guerre venue, elle montra peu de répugnance à y entrer; puis beaucoup d’élan à la faire dans l’écrasante victoire; enfin, pis encore, le même acharnement frénétique à la poursuivre jusque sous les décombres. Toute l’Allemagne se comporta comme Hitler en personne.  Le désastre enfin consommé, quand les exilés rentrèrent, dans leur patrie dont ils avaient cru au moins sauver l’âme, ils furent reçus dans les ruines, au mieux dans l’embarras ou l’hypocrisie, au pis par un mépris ou une haine à peine dissimulée: comme des « traitres « . La foi, la force de l’esprit, le courage, la misère, des souffrances indicibles, reçurent pour prix le rejet et l’oubli. Leur mémoire fut enterrée. Quand on l’exhumera, ce ne sera qu’une mémoire embaumée. Leur façon d’avoir  » payé  » n’avait plus cours dans un monde mercantilisé.

L’histoire écrite par Jean-Michel Palmier est essentiellement celle de cette tragédie. Mais nourrie, étayée par une masse de faits et d’événements qu’éclaire une réflexion à la fois passionnée et s’efforçant à l’impartialité de l’historien. Il évoque d’abord dans un raccourci saisissant les débuts combien éclatants, du nazisme au pouvoir, les « nuits de cristal  » et les  « nuits des couteaux « , les flammes de livres jetés au bûcher et qui annonçaient à toute l’Europe l’ »assassinat de la culture« . Elle manifesta devant ces « excès » une réprobation prudente. On n’en était pas encore à se rappeler le vieille prophétie d’Henri Heine :  » Là où l’on brûle des livres, on finira par brûler des hommes. « 

L’auteur suivra dans toutes ses étapes cet exil de Weimar. La multitude de réfugiés qui suivra plus tard n’améliorera pas la situation des premiers. Elle rendit les pays d’accueil plus défiants et rigoureux. Il en dénombre quarante et un, et examine les principaux. La palme est donnée à la Suisse :  » la dureté avec laquelle elle traita les réfugiés a laissé une cicatrice que rien n’a encore pu effacer. » Peu de choses, certes, auprès de  » la liquidation massive des antifascistes allemands réfugiés en URSS « .

La foi candide des intellectuels et artistes de gauche à Weimar reste attendrissante, ou consternante, comme on voudra. Les grands créateurs de ce que les nazis vomissaient sous le nom d’« art dégénéré »  n’avaient-ils pas entendu les mêmes mots à l’Est ? Comment ne réagissaient-ils pas, ne rugissaient-ils pas devant les produits du  » réalisme socialiste » obligatoire ? C’est sans doute qu’ils ne les voyaient pas. Le même temps où Brecht, dans un poème idyllique, Eloge du communisme, proclamait : «  il est la fin des crimes. » Aucun d’eux ne savait que depuis dix ans le communisme avait changé de nom et s’appelait stalinisme.

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Photographies de Bertolt Brecht

L’Europe, quand Hitler la submergea, devint une nasse où il n’y aurait plus qu’à puiser pour nourrir tous les Auschwitz. Sans doute, ceux des exilés qui avaient un « nom » et qui formaient la première émigration, celle des opposants irréductibles, purent-ils alors gagner les Etats-Unis, quand ils n’y étaient pas déjà (on en comptera 5 millions en 1940). Les plus célèbres furent reçus avec honneur, surtout quand ils possédaient de solides moyens d’existence. Mais, pas plus qu’en Europe, ils n’eurent d’influence sur la politique américaine. En 1945, beaucoup  s’y fixeront, à commencer par les 400.000 naturalisés; ou ils y reviendront après s’être trouvés plus exilés qu’ailleurs dans leur propre pays. Ce ne sera pas moins à l’ombre symbolique de la Liberté qu’ils allaient se voir ramenés aux années 30. . La dernière partie du livre porte à cet égard un titre éloquent : « De Roosevelt à MacCarthy « .Car si le maccarthisme ne portait pas encore ce nom, il naissait déjà aux approches de la guerre froide. Les premières « sorcières  » désignées pour les nouveaux « bûchers  »  seraient, bien entendu, ces prétendus réfugiés, Cheval de Troie du communisme. Compris les libéraux les plus avérés.

C’est sous le signe de Cassandre que l’auteur a placé sa réflexion finale. Elle nous ramène au commencement.

A l’ échéance des années 30, nous allions apprendre à voir ce qui crevait les yeux (rien de mieux pour rendre aveugle). Vainement, la réalité nous avait été  inlassablement montrée par les exilés qui vivaient au milieu de nous. Le lâche soulagement qui marqua le commencement de la fin n’était que le corollaire d’un plus lâche espoir: apaiser le monstre et même le caresser, laisser faire le temps, avec l’alibi toujours reculé de mettre ce temps à profit pour refaire nos forces; alors qu’un peu plus tôt elles auraient suffi pour renvoyer en quelques heures Hitler à son néant. Cette « politique «  – là s’écrivait tout naturellement en anglais : « Wait and see. » On a vu.

Sur Cassandre, à commencer par Goethe, on se trompe souvent. Elle ne prédit pas la fatalité du malheur, elle avertit et dit sans trêve ce que serait le malheur si l’on n’agissait pas pour le conjurer. Car si Cassandre n’avait pas eu le moindre espoir, elle se serait tu. Ou tuée.

Il ne resta en effet que le suicide aux plus déshérités des exilés quand ils comprirent qu’ils avaient écrit, crié, souffert, vécu, pour rien; que la certitude de Brecht que l’« écriture tue «  n’était qu’illusion et dérision. Pour tuer la force brute, il n’est qu’une force plus brute. Ce qui arriva. Mais à quel prix !

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Caricature de Th. Adorno

Dès lors, les plus pessimistes prononceront que le désastre a bien eu lieu. Que la culture a eu le sort de Troie. Adorno écrit : « Après Auschwitz, toute culture n’est qu’un tas d’ordures. » Pis que les cendres. Sans doute, c’est préjuger d’après un passé ambigu. Si par « culture » on entend ce qu’il y a d’essentiellement humain dans l’homme, et en lui exclusivement, cela oblige à ne pas oublier que c’est pour lui, et pour lui seul, qu’a été créé le mot inhumain . Le tout est de savoir ce qui, en lui, l’emporte ou l’emportera. La fin de Hitler n’a pas tranché la question : elle l’a laissée grande ouverte. D’autant que Hitler n’est pas mort. Et cette question – là en contient une autre : la prétention, l’ambition toutes neuves de l’ »intelligentsia« , autrement dit des philosophes, écrivains, artistes, scientifiques, théologiens, enseignants, cette volonté, ce droit d’agir sur ce qu’on appelle trop bien les « affaires  » du monde, et même la conscience d’en avoir reçu mission, est-ce autre chose, chez ceux-là, que la plus grande de leurs illusions ?

Hitler aura fortement contribué à l’ »engagement  » – contre lui et tout ce qui lui ressemble – des forces de l’esprit et de la conscience. Aurait-il montré du même coup l’impuissance, l’inanité de tout cela et que, au bout du compte, c’est l’inhumain qui finit par l’emporter ?

Le titre seul, et les trois épigraphes des dernières pages, ne laissaient certes pas attendre de l’auteur une conclusion très optimiste. Reste encore, et toujours, à voir.

Yves FLORENNE.

Jean-Michel Palmier, Weimar en exil, Payot, Paris, 1987, deux volumes, 528 pages et 486 pages.

Maïakovski : l’homme de marbre de la révolution russe

Mardi 15 février 2011

50 ans après la mort de Maïakovski, « La punaise  » est montée par le Théâtre Populaire de Lorraine

Article paru dans Les Nouvelles Littéraires N° 2735 du 1er mai au 8 mai 1980.

L’Homme de Marbre de la révolution russe et entretien avec Lili Brik par Jean-Michel PALMIER.

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Lili Brik et Vladimir Maïakovski

Jamais peut-être, la fragilité la plus extrême et la force ne furent, dans un homme, aussi étroitement unies. Maïakovski lui-même ne cesse de se demander pourquoi il fut conçu, « sigrand et tellement inutile « . Aujourd’hui encore, on ne peut le voir apparaître dans le film la Demoiselle et le Voyou sans un serrement de coeur. C’est lui, Maïakovski ce géant à la machoire carrée, au crâne immense embrassé de son corps, agressif et timide.

Fils d’un garde-forestier, il naquit le 7 juillet 1893 à Bagdavi, en Géorgie. Après la mort de son père, la famille s’installe à Moscou, dans la misère. Au lycée, il s’initie à la philosophie et au marxisme, s’enthousiasme pour la révolution de 1905 et adhère en 1908 au Parti social-démocrate: son activité de propagande lui vaudra la prison. Ensuite, il lit les symbolistes, Balmont, décide d’étudier la peinture, se lie avec les frères Bourliouk et les premiers futuristes. Par plaisanterie, ils le présentent comme le plus grand poète de la Russie, bien qu’il n’ait jamais écrit de poèmes. Poussé par ses amis, il commencera à en écrire, devient la vedette des soirées poétiques organisées par les Bourliouk, aux côtés de Kroutchonikh et Klebnikov. C’est de cette effervescence, de cette passion pour la provocation antibourgeoise que naîtra, en 1913 la Gifle augoût public. Il récite, désormais, ses poèmes devant une foule déchaînée, hurlant de rage ou d’enthousiasme. En 1914, il aborde des thèmes révolutionnaires dans Le nuage en pantalon : derrière le clown futuriste, en blouse jaune canari, il y a un coeur immense…

Lorsque la révolution d’Octobre éclate, il n’hésita pas : cette révolution, c’est la sienne. La Révolution pour lui, c’est une manière de vivre. Sans doute ses Mystères-bouffe s’attireront-ils la colère de certains bolcheviks, sans doute Lénine n’aima-t-il jamais vraiment les poèmes de Maïakovski. Mais la jeunesse se reconnaissait en eux. Sa tragédie, c’est non pas le désespoir mais l’impatience : il veut tout et tout de suite. De la révolution doit naître un homme différent, avec des sentiments nouveaux. Jamais Maïakovski ne renoncera à son intransigeance et il attaquera avec la même férocité le bourgeois et l’homme de la NEP, le profiteur ou le bureaucrate. A travers le cubo-futurisme, le constructivisme, le réalisme, il cherche à exprimer un même idéal. Il y a une forme de pauvreté d’esprit, de mesquinerie, d’égoïsme qui lui fait horreur et qu’il dénoncera avec la même violence chez les bourgeois, les profiteurs, les bureaucrates et les ouvriers enrichis.

Il écrit la Punaise en octobre et décembre 1928 au cours d’un voyage à Berlin et à Paris. C’est une oeuvre qui exprime comme beaucoup de romans de l’époque – ainsi ceux d’Ehrenburg – le climat de la NEP. L’ouvrier Prissipkine renie la guerre civile et les privations pour goûter enfin les charmes d’une vie bourgeoise. Il trahit ses camarades pour épouser la fille d’un coiffeur. Un incendie va transformer le repas de noces en tragédie. Congelé par les lances des pompiers, il survit dans la glace et sera ranimé … le 12 mai 1979. Dans le monde propre et métallique où on le ressuscite, le seul souvenir du passé, c’est sa grossièreté, sa crasse et une punaise. Inguérissable, incapable de s’adapter au monde nouveau, il souhaiterait être à nouveau congelé. Enfermé dans une cage, il devient une attraction. On l’expose, espèce rarissime de petit-bourgeois vulgaris , à côté de la non moins célèbre punaise. Deux parasites du matelas moisi du temps. En 1929, il frappera aussi fort en envoyant à terre les bureaucrates, comme  » inutiles au communisme « .

Quelle lucidité ! Quel rire prophétique ! Pourtant sa vie débouche sur la tragédie. Des esprits bornés lui firent payer cher son insolence en accumulant les obstacles, les tracasseries, les mesquineries. Maïakovski en souffrit. Il organisera la célèbre exposition qui montrait ses recueils de poèmes et ses affiches. Une vie, une vie de travail. Quand on lui reproche de ne pas être compris des masses, il rétorque que personne n’a le droit de dire quel art les ouvriers comprendront plus tard. Au fond de lui-même, il est sûr que c’est le sien. Le 14 avril 1930, il se tirera une balle en plein coeur. Après Essénine, le second terrible suicide. Il est facile d’y voir la preuve de la déception de Maïakovski à l’égard du communisme et du régime

Il est vrai que ce communisme radical et splendide qu’il attendait n’avait que peu de rapports avec l’époque qu’il vivait. Mais il est faux de voir dans la mort de Maïakovski un acte politique. Lui-même a écrit :  » Je meurs, n’en accusez personne. Et pas de cancans. Le défunt avait ça en horreur.  » Marx dit quelque part que els poètes ont besoin de beaucoup d’amour. Comme Essénine, il s’est tué parce qu’il pensait qu’on ne l’aimait plus, qu’on ne l’aimait pas assez. Ce géant hypersensible fut toujours hanté par la mort et le suicide. Défi permanent, Maïakovski, cet ennemi juré de la bêtise, ne sut jamais vieillir. C’est pourquoi il nous bouleverse toujours.

Jean-Michel PALMIER.

Entretien avec Lili Brik

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Lili Brik

Meyerhold créa le nouveau théâtre, Maïakowski la nouvelle poésie….

Lili Brik, la compagne de Maïakovski, mourut en 1978. Les éditions du Sorbier publient aujourd’hui une série d’entretiens où elle évoque, avec Carlo Benedetti, le poète et l’homme de spectacle. En voici un passage.

Les premières expériences de Maïakovski dans le domaine cinématographique datent des mots qui suivirent la révolution d’octobre…

Au printemps 1918, Volodia interprétera à Moscou trois films dont il avait écrit le scénario et qui avaient tous plus ou moins un caractère autobiographique.
Au moment du tournage du premier film, j’étais à Pétrograd, alitée, avec une fièvre de cheval. On le termina donc sans moi. Le film, qui s’appelle Pas né pour l’argent, est tiré du Martin Eden de Jack London dont on a transporté l’action en Russie. Martin Eden devient le poète futuriste Ivan Nov – joué par Maïakovski. dans une note que publia une revue de cinéma, et qui semble avoir été rédigée par Maïakovski lui-même, on peut lire :  » Dans son roman Martin Eden, Jack London nous montre pour la première fois un écrivain de génie à travers sa vie extraordinaire. Il est dommage que la force et la grandeur d’Eden soient gâtées par une fin larmoyante. Dans son ciné-roman Pas né pour l’argent, Maïakovski nous donne à voir Ivan Nov, c’est à dire Eden, qui réussit à ne pas succomber sous le poids de l’or dont on le couvre. « 

Le second film se déroule lui aussi dans un décor russe. Son sujet est tiré d’une nouvelle d’Edmondo de Amicis, la Maîtresse d’école des ouvriers, et il s’intitule la Demoiselle et le Voyou. C’est surtout le jeu extraordinaire de Maïakovski qui fait l’intérêt du film. Il y joue son propre rôle d’une manière à la fois moderne, véridique et poétique. Ce film, qui avait été presque entièrement conservé (sauf les sous-titres) a été restauré avec le plus grand soin il y a quelque années par Sergueï Ioutkevitch. Outre ses beaux plans fixes, il était accompagné d’une très belle musique de Iouri Boutsko.

Vous-même vous avez participé au troisième film.

Ce troisième film devait être le plus sérieux, le plus imaginatif, le plus intéressant. Dès la fin mars 1918, à Pétrograd, Volodia m’avait écrit :  » Cet été je voudrais tourner un film avec toi. J’écrirai un scénario pour toi.n  » Volodia travailla au scénario de Enchaînée par le film avec acharnement, comme pour ses meilleurs poèmes.  » Après avoir assimilé la technique cinématographique – déclara-t-il par la suite à propos de son travail – j’écrivis un scénario qui s’inspire étroitement de notre travail littéraire d’avant-garde. « 

Quelle était la méthode de travail de Maïakovski ?

Tout le monde sait que Maïakovski travaillai sans arrêt. Même en présence d’inconnus, dans la rue, au restaurant, en jouant aux cartes ou au billard, il continuait à travailler. Il aimait pourtant beaucoup le silence. Malheureusement il ne put en jouir que très rarement. A Lévachovo par exemple, puis à Pouchkino où il restait des heures durant dans les bois, à se promener. On y travaillait mieux, on s’y fatiguait moins qu’au milieu des  » bruits et des grands bruits  » de la ville.

Quand avez-vous quitté Lévatchovo ?

Nous aurions dû rentrer en ville à l’automne mais nous manquions d’argent pour payer la pension. Nous avons donc vendu à Isaac Brodski un portrait de moi par Boris Grigoriev (de 1916). C’était un tableau immense : on m’y voyait couchée dans l’herbe, dans le fond il y avait un coucher de soleil. Volodia l’avait appelé : Lilia en crue. Mais nous avons perdu toute trace de ce tableau à présent. une fois rentrés à Pétrograd, Maïakovski loua un petit appartement qui ressemblait beaucoup à notre maison de la rue Joukovski. Pour faire de la place, on mit la baignoire dans le couloir. La chambre à coucher, c’est à dire un divan et un miroir encadré de velours rose, Volodia se la fit prêter par un ami à lui.

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                          Le dramaturge Meyerhold

Entre la fin septembre et le 15 octobre 1918 Maïakovski lut plusieurs fois en public sa  » représentation héroïque, épique et satirique de notre époque. »

Peu après il la mit en scène sous la direction de Meyerhold. Volodia jouait lui-même le rôle de  » l’homme du commun  » et comme plusieurs acteurs se trouvèrent malades ce jour de la première, il les remplaça. On m’engagea moi aussi comme assistant-metteur en scène pour faire répéter les choristes. Mais de ces représentations de Mystère-bouffe on a déjà tant parlé et tant écrit que cela ne vaut pas la peine que j’en parle.
Je dirai seulement que pendant les réprésentations Maïakovski rayaonnait de joie en entendant les acteurs réciter son texte. Il les trouvait tous très bons. Il leur était infiniment reconnaissant de s’intéresser à son texte.
On pense d’habitude que Maïakovski était très sûr de lui En fait ses interventions en public n’étaient si tranchées et péremptoires que parce qu’il était très conscient du but qu’il s’était fixé, pas du tout parce qu’il se serait cru infaillible.

Comment Maïakovski s’entendait-il avec Meyerhold ?

Au moment où ils montait Mystère-bouffe ils s’adoraient. Maïakovski faisait un accueil enthousiaste aux moindres propositions de Meyerhold qui le lui rendait bien. C’est peut être cela même qui faisait qu’ils se gênaient l’un l’autre. J’anticipe un peu mais je voudrais citer ici un passage de la dernière lettre que Volodia m’ait écrite (le 19 mars 1930) :  » Il y a trois jours qu’a eu lieu la première des Bains. A part quelques détails, j’ai été très content; c’est la première fois qu’on met en scène une pièce de moi comme je le souhaite. « 

Je ne pus assister à ce spectacle qu’après sa mort et il ne me plut pas du tout. Le texte ne passait pas. Ce qu’il y avait de mieux c’étaient justement les détails. A mon avis les Bains furent beaucoup moins bien représentés que le Mystère ou la Punaise. Mais le génie de Meyerhold aveuglait Maïakovski. Et le génie de Maïakovski empêchait Meyerhold de s’exprimer en toute liberté. Ils avaient l’un dans l’autre une confiance aveugle. Ils servaient tous deux une cause commune, celle de l’art : Meyerhold créa le nouveau théâtre, Maïakovski la nouvelle poésie.