Dorn ou le musée de l’enfance, de Martin Walser, traduit de l’allemand par Hélène Belletto, Robert Laffont, Paris, 1992, 384 pages.
Martin Walser
Article publié dans Le Monde Diplomatique N° 464 de novembre 1992
Dorn est né à Dresde. Il a gardé au plus profond de son âme le souvenir de sa ville, de sa beauté passée, mais aussi des bombardements de mai 1945 qui semèrent la mort et les ruines. Déchiré entre des parents désunis, étudiant à Leipzig, il avance dans la vie en regardant derrière lui. Sa famille, banale entre toutes, a accepté les régimes politiques du bout des lèvres. Un jour, comme représentant du consistoire des Eglises, il s’est rendu à Berlin-Ouest. Et c’est dans les rues de la ville, face à ceux qu’il rencontre, qu’il s’enfoncera dans ses rêves et son étrange folie, tentant de sauver son enfance, à jamais blessée par l’histoire.
Dans ce nouveau roman, qui a rencontré en Allemagne une large audience, Martin Walser renoue avec les thèmes qui lui sont les plus chers. D’abord la passion pour les êtres humbles,, ordinaires, dont on ne parle jamais. Emergeant à peine de l’ombre, ils n’ont rien fait de très précis.Emportés dans le tourbillon des événements, ils se sont réveillés sans comprendre, écartelés entre les deux Etats allemands. cette confrontation du présent avec le passé, caractéristique d’une génération, est à l’origine, dans des visions politiques bien différentes, de certaines des plus belles oeuvres de la littérature allemande contemporaine, de Günter Grass à Christa Wolf. L’originalité de Martin Walser, c’est sa fidélité -jadis très critiqué par beaucoup d’écrivains orogressistes de RFA – à une Allemagne unique, qu’on ne peut séparer en deux sans en briser la sensibilité et l’histoire. Aujourd’hui, il triomphe, mais avec modestie. Ce qu’il nous offre, c’est une rêverie sur ce que des millions d’hommes ont pu vivre de contradictoire et d’absurde, face à une histoire dans laquelle ils ne pouvaient se reconnaître. La frontière qui séparait la ville et les hommes mutila aussi leurs souvenirs. Contraints de se solidariser avec des entités idéologiques qui les séparaient, ils parlaient la même langue, avaient vécu des expériences ponctuées d’espoirs et de désillusions semblables.
Dorn n’est qu’un allemand parmi les autres. Mais son obsession des albums de famille, des vieilles photos jaunies, l’amène à transformer le style proustien en moyen d’investigation historique. Le passé qu’il veut retrouver gît là-bas, quelque part sous les ruines calcinées des bombardements inutiles dont Dresde fut victime. Cette ville, c’est le payasage de son enfance, le souvenir de l’amour pour sa mère. L’histoire els a piétinés. Elevé à l’Est, devenu juriste à Berlin-Ouest, il a connu la vie des deux Allemagnes. Mais aucune frontière ne surait briser ce qu’il y a en lui de plus intime.
Aussi conçoit-il le projet insensé de sauver ces pauvres reliques. Il se fait l’historien de son enfance, met sa mémoire au service des autres. il s’attache à chaque détail de ce vécu blessé, sans que l’on sache exactement si c’est une quête éperdue de sa mère ou de sa ville, le désir de sauver son passé ou la révolte contre le présent qui le poussent à déchirer le linceul où ils gisent ensevelis.
Jean-Michel PALMIER.
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