Article publié dans Les Nouvelles Littéraires N° 2775 du 19 au 26 février 1981
Ce n’est pas tous les jours qu’on peut voir (ou revoir) quatre films de Pabst d’un coup. Une raison de plus pour s’y précipiter…
Étrange destin que celui de Georg Wilhelm Pabst. Lorsqu’il mourut en 1967, c’est à peine si on le remarqua. Lui qui avait incarné l’un des sommets du cinéma allemand des années 1920 – 1930, que l’on considérait comme l’un des plus ardents partisans du rapprochement franco-allemand, dont le réalisme poétique avait été salué par des écrivains français tels Philippe Soupault, n »avait pu dans l’après-guerre faire le moindre film intéressant. Si les cinémathèques redonnaient toujours avec le même succès, devant le public de fanatiques, Lulu, l’Opéra de quat’sous, le Journal d’une fille perdue, on ne pouvait lui pardonner son attitude ambiguë sous le IIIème Reich. Même s’il avait révélé Asta Nielsen, Greta Garbo, Brigitte Helm et Louise Brooks, l’admiration qu’on lui avait jadis portée inclinait à présent à la sévérité. Pourtant, après Lulu, reconstituée avec succès par Françoise Gaborit l’an passé, quatre films : la Rue sans joie (1925), Quatre de l’infanterie (1930), la Tragédie de la mine (1931), Salonique, nid d’espions (1936) nous invitent aujourd’hui à le redécouvrir.
Né en Bohème, le 27 août 1885, de parents viennois, Pabst se destina d’abord à la carrière d’ingénieur avant de s’orienter vers les Arts décoratifs puis le théâtre. Il interpréta les rôles les plus divers et, après la guerre de 1914, travailla comme directeur artistique à Vienne, mettant en scène des pièces expressionnistes. Seize ans, passés au théâtre, s’écouleront avant qu’il ne réalisât son premier film. Ce fut en fait Karl Fröhlich qui le détourna de sa vocation initiale en l’engageant comme assistant. Sa passion pour le théâtre et sa traversée de l’Expressionnisme imprègnent profondément son premier film, le Trésor (1923) qui n’est pas sans analogie avec le Golem de Wegener, même si l’invention est moins riche. On y trouve déjà ces éclairages contrastés, cette magie des clairs-obscurs, qui caractérisera son style ultérieur. Le même symbolisme, assez touffu se retrouvera encore dans Les Mystères d’une âme (1926), l’un des premiers films consacrés à la psychanalyse.
C’est toutefois avec la Rue sans joie (1925) que s’affirme son style : un réalisme qui sait si étrangement mêler la violence et la poésie, la cruauté et la tendresse. Bien que moins prédominant, le contexte social est encore important dans l’Amour de Jeanne Ney (1927), inspiré d’un roman d’Ehrenburg, mais c’est avec Lulu (1928) qui révèle l’admirable Louise Brooks que Pabst atteint le génie. Loin de se limiter à la critique de la morale bourgeoise, ses films prendront désormais l’aspect d’un appel à la fraternité. Quatre de l’infanterie (1930), à travers la solidarité des mineurs français et allemands, développent la même intention. Ces films lui vaudront à la fois la haine de la presse de droite qui le qualifie de « Pabst le rouge » et la Légion d’honneur française…qu’il renverra plus tard, sous Hitler, au gouvernement qui la lui avait remise.
Non moins admirable, l’Opéra de quat’sous, qu’il tire en 1931 de la pièce de brecht est, en dépit des critiques de ce dernier, l’un des chefs-d’oeuvre du cinéma allemand des années trente, au même titre que l’Ange bleu ou M. le Maudit. Ici encore le mélange de réalisme poétique, de satire sociale, la magie des éclairages, le jeu d’ombre font merveille.
En 1933, Pabst s’établit en France où il tournera plusieurs films. En 1939, alors que la plupart des metteurs en scène importants avaient choisi l’exil,lui décide de rentrer en Allemagne. S’il ne tourne pas comme Veit Harlan, de films de propagande, il réalise Komodianten, Paracelsus -oeuvres ambiguës – qui constituent autant de compromissions avec le régime.
Il tentera après guerre de justifier maladroitement son attitude par toute une série de hasards qui l’empêchèrent d’émigrer. Sans doute ne fut-il pas le seul. Les cas d’acteurs tels que Gustav Gründgens, Heinrich Georg, Werner Krauss, et surtout Emil Jannings sont là pour en témoigner. Lâcheté et opportunisme ? Sans doute. Et les films qu’il tournera après la guerre – Procès (1947), Duel avec la mort (1949), Profondeurs mystérieuses (1949), la Maison du silence (1952), le Destructeur (1954), la Fin d’Hitler (1955) sont d’une complète indigence.
Du côté de la crise
Mais au fond Pabst le Rouge fut-il réellement un cinéaste animé d’une véritable conscience politique ? Sans doute ne peut-on nier la critique sociale implicite dans beaucoup de ses films, les sentiments humanitaires qui les animent, mais ils sont souvent mêlés à une sentimentalité qui en émousse le tranchant. Les quatre films qui sont actuellement redistribués en sont autant d’exemples.
La Rue sans joie- dont Françoise Gaborit nous propose une superbe version reconstituée (sans la musique et les sous-titres lus) – nous montre la misère des petits épargnants viennois ruinés par la crise. Une jeune fille (Greta Garbo) est amenée à se prostituer pour sauver son père de la prison et faire vivre sa famille. Presque tout dans le film est admirable : la reconstitution d’une ruelle de Vienne, l’intérieur bourgeois, le visage à la fois beau et las de Garbo, celui vieillissant d’Asta Nielsen, le cynisme du boucher (Werner Krauss) qui fait payer bien cher aux femmes la viande qu’il leur donne, ou Valeska Gert, tenancière du bordel, cette autre maison de la rue où l’on débite aussi de la chair. Malheureusement, la fin est pitoyable: la vertu de la jeune fille est sauvée par un soldat américain de la Croix rouge. Quatre de l’infanterie atteint l’un des sommets du réalisme avec la violence des scènes d’offensives. On songe sans cesse au roman D’E.M. Remarque A l’Ouest, rien de nouveau et nul ne peut oublier l’officier fou, regardant sur le champ de bataille ses soldats morts dans la boue, ces deux soldats, français et allemand, agonisant dans une église effondrée, revoyant défiler leur vie et qui meurent en se serrant la main, non en ennemis mais en camarades. La Tragédie de la mine, avec son idéologie humanitaire, internationaliste, est aussi un chef d’oeuvre de réalisme. La confusion qui s’établit dans l’esprit du vieux, entre les galeries de mines et les tranchées est remarquable. Salonique, nid d’espionsparvient à réunir des acteurs prestigieux – Dita Parlo, mais surtout Louis Jouvet, Charles Dullin, Pierre Fresnay, Pierre Blanchar, Jean-Louis Barrault. Malheureusement, le scénario est banal et se réduit à une faible histoire d’espionnage.
On peut sans doute préférer Lang ou Murnau à Pabst. On ne peut ignorer ses faiblesses et son ambiguïté politique. Il n’en fut pas moins l’un des plus prestigieux cinéastes allemands des années 1920 et 1930.
Jean-Michel PALMIER.
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