Lettre parue dans : Dominique de Roux – Les Dossiers H – l’Age d’homme -Jean-Luc Moreau – 1997-
Cher Dominique,
Je suis heureux que l’on ait enfin réédité tes romans. Tu étais toujours si triste que trop peu de tes amis ne les connaissent. Et j’ai honte moi-même de ne les avoir lus qu’après ta mort, pour t’y retrouver. J’ai par contre été très embarrassé quand on m’a demandé d’écrire ce texte pour un volume qui t’est consacré. Au fond je t’ai connu si peu et si mal. Et vois-tu, j’ai un peu l’impression d’avoir été invité par erreur, de ne pas appartenir à la famille. Bien sûr, je pourrais m’en aller sur la pointe des pieds, avec une vague excuse … Mais je te dois beaucoup et quand je vois un Cahier de l’Herne, je ne peux m’empêcher de penser à toi. Ton sourire, ta voix me reviennent en mémoire, non sans tristesse. Nous n’avons jamais été des amis intimes, mais ta fréquentation reste l’un des meilleurs épisodes de ma vie d’étudiant. Comme la plupart de ceux qui t’ont rencontré, je ne sais plus très bien pourquoi nous nous sommes brouillés. Toi non plus sans doute. Et comme tu es moins rancunier que moi, tu m’avais téléphoné peu de temps avant ta mort pour qu’on se réconcilie. Tu voulais me parler de l’Angola, de ta vie, de tes voyages…Ta disparition brutale ne nous en a pas laissé le temps. Alors j’ai essayé de rassembler pieusement mes souvenir sur l’Herne et sur toi. J’ai relu tes lettres et tes cartes postales, plusieurs de tes livres. Mais cela n’aurait guère eu de sens, à côté des autres. Finalement j’ai tout déchiré et j’ai décidé de t’écrire ce que j’aurais aimé te dire au moins une fois, sans trop savoir si ma lettre trouvera place parmi les couronnes dont on te couvrira. J’espère au moins qu’elle te fera sourire.
Dominique de Roux dans son bureau de la rue Garancière
Je me souviens encore très bien de notre première rencontre. Directeur des Classiques du XX° siècle, aux Éditions Universitaires, tu m’avais invité à te rendre visite à ton bureau chez Julliard. C’est la première fois que je franchissais le porche de la rue Garancière. Venant juste de terminer des études de philosophie, le milieu de l’édition m’était complètement inconnu. De tout l’univers dans lequel tu évoluais, je ne connaissais rien. Pas un visage. Les éditeurs étaient pour moi des noms sur les couvertures des livres et rien de plus. Une fois gravies les quelques marches qui conduisaient chez Julliard, on pénétrait dans ton royaume.
Deux jeunes secrétaires devant leurs machines occupaient la pièce principale. C’était la véritable antichambre de ton bureau. il régnait entre elles et toi un climat de complicité et d’espièglerie qui surprenait toujours le visiteur. La première fois, je dus attendre quelques instants avant d’être introduit. Par la suite, même lorsque tu étais débordé de travail, jamais tu n’as refusé de bavarder ou de prendre un café avec moi et je rentrais sans me faire annoncer.
Je te revois assis derrière ton bureau encombré de livres, dans une pièce minuscule. L’air sérieux, tu m’invitas à m’asseoir et me regardas fixement pendant plusieurs minutes. J’en éprouvais un certain malaise et détaillais la pièce. Cela ressemblait un peu à ma chambre d’étudiant avec les livres entassés, mais il y avait aux murs d’étranges photographies agrandies d’un auteur qui m’étais complètement inconnu : Ezra Pound. Tu me questionnas longuement sur ce que je faisais, quelles études j’avais poursuivies, dans quel but et ce qui m’intéressait dans la littérature contemporaine, dans la philosophie. Je te parlais longuement de Heidegger et ton visage s’éclaira. Tu affirmais bien le connaître, l’avoir personnellement rencontré et quand je t’ai dit que je m’intéressais spécialement à ses relations avec Ernst Jünger et à son rectorat de 1933, tu m’assuras que tous ces thèmes te passionnaient, que je ne devais pas seulement consacrer à ce sujet une maîtrise mais un essai pour l’Herne et tu t’es lancé dans une violente diatribe contre l’université, cimetière de l’esprit, qui me laissa pantois. J’aimais l’université. J’aimais Nanterre. pour toi, il n’y avait de salut que dans la littérature.
L’Herne ? Tu semblas t’assombrir quand je t’avouais que j’ignorais ce que c’était. Mais tu voulais savoir d’où venait mon intérêt pour Heidegger et pour cette période. Je t’ai parlé de ma passion pour Nietzsche, Heidegger, Hölderlin et le Romantisme allemand. J’avais la plus grande admiration pour Heidegger et il n’était pas toujours évident d’en parler à l’université. A chaque fois – comme dans tous les polycopiés que l’on trouvait alors – il était fait mention de son rectorat de 1933, de son adhésion au national-socialisme, etc. Je t’ai répondu que j’avais envie de comprendre comment l’auteur de Sein und Zeit avait pu encourager ses étudiants à voter pour Hitler.
Tu m’as proposé de te rencontrer quelques jours plus tard, de déjeuner avec toi et de discuter plus longuement de cela. En attendant, tu m’as offert un exemplaire dédicacé de ton essai sur La Mort de Louis-Ferdinand Céline . Ce fut le début d’une longue suite de rencontres.
Dominique de Roux ? J’ignorais tout de toi avant de pénétrer dans ton bureau quelques instants auparavant. J’ai appris ta mort par hasard. Depuis longtemps nous étions brouillés sans que je parvienne exactement à ma souvenir des raisons objectives de notre éloignement. L’Herne c’était toi, pas seulement l’édition, mais l’hydre. Il flottait autour de ta personne un climat passionnel fait de jalousies, d’affections et de haines. Tu étais si envahissant qu’il me semble difficile d’imaginer que quelqu’un ait pu être ton ami sans se fâcher au moins une fois avec toi. Il y avait dans ton caractère quelque chose d’enfantin qui ne cessait de surprendre, tout comme ta générosité.
Tout en toi déconcertait. Admirateur d’Ernst Jünger, de l’Allemagne, de Céline, de Montherlant, tu prenais plaisir à choquer tes interlocuteurs en développant les idées politiques les plus contradictoires. Ton enthousiasme avait quelque chose de séduisant et de communicatif. J’ai rencontré peu d’hommes qui aient eu, autant que toi, cette passion pour la littérature et l’édition. Ce n’est qu’en connaissant ta vie, que tu évoquais par bribes, que cette passion s’éclairait. Autodidacte génial, tu en tirais un certain orgueil et ne supportais pas qu’on de signalât que telle parole que tu attribuais à Nietzsche était en fait de Hölderlin. Tu avais une prodigieuse habileté à brouiller les cartes et il était souvent presque impossible de sonder ta connaissance réelle d’un sujet. Mais cela n’avait pas d’importance. Les auteurs, les livres que tu lisais étaient autant de pièces que tu ajoutais à ton univers. Quand je fis ta connaissance, j’ignorais tout de tes idées politiques, de ton personnage et aujourd’hui encore je ne parviens pas à le saisir. Par moments, tu semblait t’être trompé d’époque, dans ton style, tes valeurs, tes rêves, tu apparaissais parfois comme un nostalgique de l’Action française, qui n’en aurait gardé que le goût du style, sans programme politique. Ta sensibilité était assurément de droite et ton goût de la provocation, qui frisait parfois le mauvais goût, contribua largement à te faire, auprès de ceux qui te connaissais à peine, une réputation détestable. Combien de fois, après ta mort, me suis-je disputé avec des gens qui m’étaient pourtant infiniment plus proches et qui te qualifiaient de « fasciste ». Fasciste toi ? C’était tout au plus un fascisme d’opérette, une provocation supplémentaire, même si elle faisait grincer les dents. Admirant Pound et idolâtrant Céline, tu ne supportais pas l’antisémitisme et n’avait que mépris pour l’extrême droite. Avec le recul, il me semble retrouver en toi certaines contradictions présentes chez Drieu la Rochelle. Tu exaltais Montherlant et tirais une fierté enfantine d’avoir rencontré tel ou tel ancien amiral ou général allemand de la Seconde Guerre mondiale. Tu t’enthousiasmais pour « l’héroïsme viril » d’Orages d’acier d’Ernst Jünger et il y avait en toi quelque chose de timide et de féminin, voire de craintif qui contrastait avec la violence verbale dont tu faisais souvent preuve. Gaulliste mystique, tu fus atterré par mai 1968 et, alors que nous occupions la Sorbonne, tu avouais ne pas oser t’y rendre par peur d’être reconnu et agressé. Ton rapport à l’action était des plus étranges. Tu évoquais souvent Malraux et raillais ses tics. Un jour tu m’écoeuras en affirmant avoir fêté au champagne l’assassinat de « Che » Guevara avec W. Gombrowicz et tu me déclaras le lendemain que tu admirais le Che. Après un long discours sur Lawrence d’Arabie, tu concluais mélancoliquement : encore un homosexuel qui aimait les Arabes ! Il me semble que jusque dans ton aventure en Angola, tu as continué à vivre ces contradictions, mêlant sans cesse les idées de droite et de gauche, recherchant chez Céline ou Pound une espèce d’authenticité, de révolte contre cette décadence qui prenait chez toi, au gré des conversations, les colorations les plus déroutantes. Au fond, l’histoire n’existait réellement à tes yeux que dans les livres. Autoritaire, tu ne cessais de jouer, et tes colères se terminaient dans des éclats de rire. Avant même de pénétrer dans ton univers, de te suivre dans tous les espaces que tu hantais, de connaître ton monde, je fus séduit par ta chaleur. L’amitié était pour toi quelque chose d’aussi important que la littérature, une véritable drogue. Tu te noyais dans les discussions, les déjeuners, les soirées. Pendant plusieurs années je t’ai rencontré chaque semaine, sans jamais parvenir à te connaître.
A peu près tout nous opposait. Personnage à multiples facettes, admiré ou détesté, qu’avais-tu à perdre ton temps à déjeuner ou à passer de longues soirées avec un étudiant ? Tandis que mai 1968 approchait, que toute notre génération se passionnait pour Rudi Dutschke, la F.U. de Berlin, la guerre du Vietnam ou Cuba, tu ne cessais par provocation d’affirmer les idées les plus réactionnaires. Pourtant, sans savoir pourquoi, je fus admis comme membre du « clan ». Je ne compris jamais ce que j’avais fait pour mériter ton amitié.
Chaque semaine tu m’invitais à déjeuner pour parler de tout, de rien. Tu voulais savoir ce que je lisais, ce que je faisais, qui je fréquentais, comment je vivais. Les livres étaient chers : tu m’offris de puiser largement dans tes services de presse, me proposais de rédiger des rapports de lecture dont tu n’avais que faire. Comme tu te voulais toujours le centre d’une véritable constellation affective, tu avais à coeur de faire rencontrer tous ceux que tu connaissais. Et c’est par ton intermédiaire que je découvris une série de personnalités hétéroclites à travers ces soirées, ces dîners où j’étais régulièrement présenté comme « travaillant sur Heidegger « , » collaborateur de l’Herne « ou ton ami.
C’est à toi que je dois d’avoir découvert, lié amitié avec les êtres les plus divers en l’espace de ces deux années. Le seul fait de t’accompagner suffisait à justifier ma présence. Le problème, c’est qu’il n’y avait souvent rien en commun entre tous tes « amis », en dehors d’une certaine appartenance au monde de l’édition, du journalisme, de la critique littéraire et que les relations personnelles que tu créais autour de toi ne cessaient de rendre ces rapports problématiques.
Tu vivais au milieu de cercles concentriques dont il était difficile de préciser les limites idéologiques, la géographie et la réalité affective. Ton métier d’éditeur t’amenait à rencontrer les personnalités les plus opposées. Le fait que Julliard, Plon, Les Presses de la Cité, 10/18 soient hébergés sous le même toit favorisait les interférences les plus étranges. Telle personnalité « historique » que tu présentais comme une vieille connaissance n’était apparue dans ton univers qu’à l’occasion d’une publication d’autobiographie aux Presses de la Cité. Comme une rencontre devenait facilement légendaire ! C’est ainsi que tu évoquais, en baissant la voix, une soirée avec l’amiral Dönitz (dont les Mémoires venaient d’être traduits). Certains de ces » monstres historiques » étaient intégrés au cercle familial. A un déjeuner, chez toi rue de Bourgogne, je fis la connaissance de l’ »oncle Arno », Arno Breker, le plus célèbre sculpteur du IIIème Reich, désolé que l’on ait traduit ses Mémoires sous le titre Paris, Hitler et moi et non comme il le voulait Les Mains pures. Le fait que Breker ait connu Hitler, Goebbels et Goering te fascinait et tu l’interrogeais avec la même naïveté qu’un enfant qui désire savoir si le grand méchant loup avait effectivement d’immenses dents. Breker aurait souhaité qu’on lui consacrât un Cahier de l’Herne comme Céline et Pound. Avec autant de prudence que de tact, tu changeais de sujet. Un jour tu me présentas l’énigmatique Thomas Harlan avec lequel tu entretenais à l’époque une tumultueuse amitié. Ce qui te fascinait, c’est le fait que son père, Veit Harlan, ait tourné Le Juif Süss , l’un des films antisémites les plus abjects.
Un second cercle était constitué de personnalités de l’édition et du monde littéraire. C’est par toi que je fis la connaissance de Jean-Jacques Brochier, directeur du Magazine littéraire dans un café de Saint-Germain-des-Prés, de l’éditeur Pierre Belfond, de Jean Edern Hallier, de Vladimir Dimitrijevic, qui avait lancé la fantastique aventure de l’Age d’homme et enfin Christian Bourgois. Certains d’entre eux sont devenus mes amis. Mais je me souviens aussi de plusieurs autres personnes gravitant dans ton univers, pour lesquelles je ressentais une vive répulsion. Personnages médiocres, arrivistes en tout genre que tu méprisais autant qu’ils t’amusaient.
Le troisième cercle, c’était la famille. ceux que tu réunissais autour de l’Herne ou chez toi. Avec ces souvenirs, ce sont d’autres images qui m’interpellent. Je te revois parmi tes livres, rue de Bourgogne, avec une lettre de Jean Paulhan sur ton essai La Mort de L.-F. Céline , que tu avais encadrée au mur, jouant avec ton fils Pierre-Guillaume que tu adorais, ta femme Jacqueline, souriante, indulgente qui semblait accueillir tous tes excès comme ceux d’un enfant qu’on aime trop pour le punir. C’est à toi que je dois d’avoir découvert des personnalités avec lesquelles je suis resté lié à travers les années. Christian Bourgois tout d’abord. Tu étais directeur littéraire chez Julliard et vous travailliez en étroite collaboration. Pourtant on ne pouvait imaginer personnages plus dissemblables, même si vous sembliez des amis intimes. Christian était réservé, calme, pondéré dans ses jugements. Il ne se livrait jamais aux confidences. Sa sensibilité me semblait aussi progressiste que la tienne s’affichait réactionnaire. En toutes circonstances, Christian ne semblait jamais se départir d’une certaine distance. Je lui trouvais alors quelque chose de lointain et d’intimidant. A travers les années, je n’ai cessé de mieux le connaître et d’admirer son travail d’éditeur. Je ne suis pas certain de l’avoir personnellement mieux connu. Toi, tu ne communiquais qu’au niveau du secret, de la confidence, de la complicité.
L’éditeur Christian Bourgois
Il y avait chez Christian la même passion pour la littérature mais avec quelque chose de méthodique, d’ironique qui contrastait avec ton esprit brouillon et passionné. Aujourd’hui encore, j’imagine aussi difficilement qu’une seule de tes amitiés ne puisse prendre rapidement un tour tragique et passionnel, qu’il me semble impossible de ne pas être sensible à l’intelligence, à le sensibilité, à l’immense gentillesse de Christian. Votre travail semblait souvent se compléter. Tel ou tel auteur, auquel un Cahier de l’Herne était consacré était publié dans la collection d’avant-garde que Christian éditait sous son nom, qu’il s’agisse de la Beat Generation, de Pound, de Gombrowicz ou de Borges. Les auteurs de Christian étaient tes amis; Frédérick Tristan, un étrange romancier qui semblait renouer avec le romantisme noir allemand, Michel Bernard, un jeune homme timide et souriant auteur de romans érotiques. Tu avais autant le goût des provocations et des affrontements que Christian cultivait la politesse, l’ironie et l’élégance.
Tout au long de ces années, nous nous sommes souvent rencontrés, parfois presque quotidiennement sans que je sache ce qui te poussait à m’inviter chaque semaine alors que je ne partageais aucune de tes passions. Mais les oppositions idéologiques tenaient finalement peu de place dans tes relations. En même temps que tu clamais à tous ta haine pour la « chienlit », tu éditais à l’Herne les poème de Mao-Tsé-toung et fréquentait André Glucksmann alors maoïste et » révolutionnaire » intransigeant. Je suis presque certain que si Régis Debray, dont tu raillais l’admiration pour » Che « , t’avais proposé un » Cahier Guevara « , tu l’aurais accepté.
Il m’arrivait souvent de recevoir des télégrammes ou quelques lignes griffonnées de ton écriture bleue à peine lisible que tu m’envoyais pour me fixer un rendez-vous dans un lieu toujours aussi mythique. tu jouais à te faire détester. A certains égards, tu me fais penser au Baudelaire que décrit sartre, qui se teignait les cheveux en vert, s’habillait en faux dandy pour faire rire de lui et qui, au moment où il rentrait dans un café, pensait en lui-même : je savais que tu rirais.
J’ignore si tu as réellement passé un réveillon de Noël avec l’ex-grand amiral Dönitz et si tu as sablé le champagne avec Grombowicz, fêtant l’assassinat du Che, comme tu le racontais si volontiers. L’important pour toi n’étais pas d’être cru, mais de déconcerter. Au gré des rencontres que provoquait ton métier d’éditeur, tu faisais naître et enrichissais tes mythologies.
Les voyages constituaient une dimension essentielle de ton rêve. Quand, à ton retour, je t’en demandais le but, tu souriais, parlais à voix basse, laissant supposer que tu étais investi de mystérieuses missions que tu ne pouvait révéler. Et il était si plaisant de te faire croire qu’on te croyait. Avec le recul, c’est ce côté enfantin qui m’émeut le plus dans ce personnage que tu avais créé.
Alexandre Blok écrivait : » Les hommes vont périr bientôt. seuls quelques-uns subsisteront. Je n’aime que l’art, les enfants et la mort. » Je ne sais pourquoi cette phrase me fait penser à toi. Fasciné par la mort, tu étais animé aussi d’une espèce de rage de vivre jusqu’à l’autodestruction.
A la fin de ta courte vie tu semblait tenter de rejoindre le fantôme de Malraux, avec lequel tu avais en commun, outre la passion de la littérature, une certaine mystique de l’action et de la mort. Seulement, ton corps, ton affectivité te trahissaient. Il était aussi facile de t’imaginer sur un champ de bataille parmi les guérilleros ou les soldats de Jünger que Proust dans les brigades internationales. L’action, c’était encore un rêve, une figure d’adolescent.
Devant les événements politiques ou la littérature, tu rêvais toujours. Affectivement, tu me semblais extraordinairement fragile. La moindre brouille devenait un drame, le moindre malentendu donnait naissance à des dizaines de lettres d’explication. Ton besoin de séduire perpétuellement ton entourage, de faire croire à chacun qu’il était ton seul véritable ami et ton confident, témoignait si évidemment de ton immense peur de ne pas être aimé. Et ceux-là même qui éprouvaient à ton égard une véritable affection, tu ne cessais de les mettre à l’épreuve, de les provoquer jusqu’à la rupture. Tout ton univers était fait de rivalités, de jalousies, chacun craignait de déchoir dans ton estime, d’être effacé de ton souvenir par un autre.
Là encore, je retrouve Le Grand Meaulnes et la cour de récréation. Don Quichotte sans cause, adolescent précocement mûri, mal à l’aise dans ton personnage ou jouant trop bien avec lui, combien s’en sont éloignés finalement un peu tristes et déçus ?
J’ai appris ta mort par les journaux. Elle m’a profondément émue. J’spère seulement que tu as fini par rejoindre ton rêve, par trouver ta maison jaune. Au-delà des relations conflictuelles qu’on pouvait nouer avec toi, on se sentirait plus pauvre de ne pas t’avoir connu.
Affections
Jean-Michel PALMIER.
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