Article paru dans Le Monde Diplomatique de septembre 1991.
L’historien Jacques Droz
« Dictionnaire du mouvement ouvrier allemand « , de Jacques Droz.
Ceux qui combattirent le nazisme par Jean-Michel PALMIER.
Le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier international doit son impulsion à Jean Maitron. S’il existait déjà des volumes consacrés au mouvement ouvrier en Angleterre, au Japon, en Chine, aucune publication de cette envergure n’avait tenté, avant celle-ci, de présenter de manière objective, précise et érudite la vie des militants ouvriers allemands et des théoriciens qui inspirèrent leur action. Il fallait se reporter aux compléments bibliographiques figurant dans un certain nombre de volumes historiques ou, pour des recherches plus spécialisées, avoir recours aux archives des grands instituts, comme ceux d’Amsterdam, de Munich, de Godesberg ou de Bochum. C’est dire la lacune historique et théorique que comble ce volume (1).
Fruit de dix ans de travail, cette somme est née des éruditions conjuguées des meilleurs spécialistes de l’histoire d’Allemagne. Citons notamment le maître d’oeuvre Jacques Droz, auteur de nombreuses études sur l’histoire du mouvement ouvrier allemand; Pierre Aycoberry, à qui l’on doit la remarquable étude la Question nazie(Seuil, 1979); Gilbert Badia, auteur d’excellents travaux sur Rosa Luxemburg, le spartakisme, mais aussi d’une Histoire de l’Allemagne contemporaine (Messidor, 1987) sans équivalent par son ampleur, et fondateur en France des recherches sur l’exil antifasciste; Alain Boyer, spécialiste de Moses Hess; Pierre Broué, dont les travaux sur Trotski et la révolution allemande sont devenus des classiques; Serge Cosseron, auteur d’une étude sur Max Hölz; Annelise Callede-Spaethe, auteur d’une thèse sur Wilhelm Liebknecht; Jacques Grandjonc, à qui on doit une grande étude sur les émigrés allemands de 1848 à Paris et, plus récemment, des travaux sur les camps du Sud de la France (Zones d’ombres, Alinéa, 1990) où l’on interna, en 1940, les exilés antinazis; Irène Petit, auteur d’études sur Kautsky; Alain Ruiz, auteur d’une thèse sur Karl Friedrich Cramer; Claude Weill, enfin, qui a notamment contribué à explorer les positions des principaux théoriciens marxistes à l’égard de la question nationale.
Le résultat de cette collaboration – d’une grande diversité politique – est sans surprise, étant donné la qualité des participants. Ce volume est un instrument de travail indispensable à quiconque s’intéresse à l’histoire allemande, au mouvement ouvrier, aux événements qui ont décidé du destin de l’Europe moderne. Une présentation historique dense et précise suivie d’une bibliographie très riche ouvre un volume composé des notices qui retracent la vie, l’action, l’oeuvre de théoriciens, de militants qui ont marqué le mouvement ouvrier, de sa naissance jusqu’à son écrasement en 1933. Trop modestement, Jacques Droz voit l’originalité principale de l’ouvrage dans le fait qu’il relègue « dans l’ombre l’étude du national-socialisme au profit de ceux qui l’ont combattu« . Le lecteur sera sensible au souci pédagogique, à la clarté et à la précision des références, au choix minutieux des auteurs, qui permet d’évoquer aussi bien le rôle de Fichte que de militants communistes ou sociaux-démocrates victimes de la terreur hitlérienne, comme Edgar André.
La foi dans un monde meilleur
Bien que le dictionnaire n’évoque les personnalités contemporaines que si elles furent actives avant 1933, les notices ont été soigneusement actualisées, comme en témoigne celle consacrée à Erich Honecker. Fort habilement, les responsables du volume ont intégré à ces biographies celles d’écrivains, de philosophes, de musiciens, d’artistes aux côtés de celles des théoriciens socialistes et des militants. Ainsi Ernst Bloch, Bertolt Brecht, Walter Gropius, Erwin Piscator, Kurt Tucholsky, Gustav Landauer, les frères Herzfelde ou Alfred Döblin ne sont-ils pas oubliés.
Tout choix comporte une part d’arbitraire, et on regrettera, bien sûr, des omissions : citons, au hasard, Georg Benjamin, le frère de Walter, médecin et militant communiste mort en camp de concentration; le peintre Heinrich Zille, qui immortalisa les ouvriers berlinois; le chanteur prolétarien Ernst Busch, militant communiste et antifasciste, interprète des chansons de Brecht; le romancier communiste Ernst Ottwalt, tué en URSS. Et si Herbert Marcuse et Ernst Bloch méritaient une notice, pourquoi pas Theodor Adorno et Max Horkheimer ?
Le chanteur Ernst Busch
C’est là le seul reproche que l’on puisse faire à ce dictionnaire : ne comporter qu’un seul volume. Il serait faux de croire qu’il constitue un simple instrument de travail. Il se lit comme une chronique historique, où les noms, les visages, les oeuvres reprennent vie, et cela à travers les époques et dans un espace, l’Allemagne, où, selon le mot de Marx, on ne voit la liberté que le jour où on la met enterre. A lire toutes ces notices, on réalise que le nombre de ceux qui agirent sur l’histoire en insufflant leurs idées ne dépasse pas celui des hommes qui y versèrent leur sang et payèrent de leur vie cette foi dans un monde meilleur, plus libre et plus humain.
Jean-Michel PALMIER.
(1) Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier international : Allemagne, sous la direction de Jacques Droz, les Éditions ouvrières, Paris, 1990, 543 pages.
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