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Archive pour septembre 2010

Franz Hessel, le flâneur de Berlin. (1/3)

Dimanche 26 septembre 2010

Promenades dans Berlin de Franz Hessel, traduit de l’allemand par Jean-Michel Beloeil fut publié aux Presses Universitaires de Grenoble en 1989. La Préface « Franz Hessel, le flâneur de Berlin » a été écrite par par Jean-Michel PALMIER.
L’ouvrage est épuisé et ne peut être consulté que dans de rares bibliothèques (Ex: Médiathèque F. Mitterrand à Saintes)

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 Photo extraite de « Jules et Jim »  de Françaois Truffaut, 1961

Comme Ernst Weiss et tant d’autres, Franz Hessel appartient à une période tragique de la littérature allemande, celle des auteurs condamnés à l’exil ou au silence par le national-socialisme. La redécouverte de leurs oeuvres tient souvent au hasard ou à l’acharnement de quelques-uns.(1) Pratiquement inconnu en France, le nom de Franz Hessel fut longtemps oublié en Allemagne ou seulement mentionné par quelques historiens de la littérature de l’exil. Aujourd’hui réédités, principalement aux éditions Suhrkamp, les écrits de Hessel – romans et essais – ont conquis un nouveau public. L’intérêt qu’éveille son oeuvre, outre-Rhin (2), s’explique d’abord par la beauté de son style, l’originalité de son écriture intimiste, qui mêle si étroitement ses souvenirs d’enfance à la découverte de la grande ville moderne, unissant Paris et Berlin dans un même amour. L’intérêt qu’il a suscité auprès des critiques, germanistes et philosophes, est aussi indissociable de l’audience rencontrée par l’oeuvre de Walter Benjamin dont il fut l’ami et sur lequel il exerça sans doute une influence profonde. C’est Hessel qu’évoque l’auteur d’Enfance berlinoise dans le premier fragment consacré au Tiergarten :

 » Je découvris plus tard des recoins nouveaux; j’ai complété ma con-
naissance des autres. Pourtant aucune jeune fille, aucun événement et
aucun livre ne purent me dire rien de nouveau à son sujet. C’est pour
cette raison que trente ans plus tard, lorsqu’un géographe, un paysan
de Berlin se joignit à moi pour revenir après une longue absence com-
-mune loin de la ville, ses pas sillonnèrent ce jardin dans lequel il
semait la graine du silence (3). »

Hessel fut l’un des premiers à voir dans la grande ville une énigme, un univers de signes à déchiffrer. Avant Benjamin ou Siegfried Kracauer, il sut faire de la flânerie philosophique un véritable genre littéraire. Ses plus beaux textes sont intimement liès à cette fréquentation quotidienne des rues, à la capacité de lire les enseignes et les affiches comme les pages d’un livre, à entrevoir dans les détails architecturaux des monuments, les visages et les propos des passants, autant de symboles et d’allégories, encore que, contrairement à Benjamin, il s’attache plus à leur réalité qu’à leur pouvoir de remémoration.

Comme Aragon dans Le Paysan de Paris et sa fantastique évocation du passage de l’Opéra, il sait mieux que tout autre traquer « la lumière moderne de l’insolite « . Et les matériaux qu’il collecte ont aussi des « images dialectiques » au sens  que Benjamin donne à ce terme dans son essai sur Baudelaire .

« Ne pas trouver son chemin dans une ville, ça ne signifie pas grand
chose. Mais s’égarer dans une ville comme on s’égare dans une forêt
demande toute une éducation. Il faut alors que les noms des rues par-
-lent à celui qui s’égare le langage des rameaux secs qui craquent, et
des petites rues au coeur de la ville doivent lui refléter les heures
du jour aussi nettement qu’un vallon de montagne. Cet art, je l’ai
tardivement appris : il a exaucé le rêve dont les premières traces furent
des labyrinthes sur les buvards de mes cahiers (4). »

Ces paroles de Benjamin pourraient être mises en exergue à tous les écrits de Hessel. On retrouve ici l’illustration de l’interaction qui s’exerçait sur les deux écrivains, comme le montre aussi le beau texte qu’il écrivit sur l’Art difficile de la promenade.

L’admiration que Benjamin éprouvait pour l’oeuvre et la personne de Franz Hessel est encore attestée par l’essai qu’il écrivit à l’occasion de la parution de Spazieren in Berlin (1929), intitulé Le Retour du flâneur, essai qu’il qualifie lui-même de fragment attaché au bloc des Passages parisiens, la grande étude qu’il projetait d’écrire sur le Paris du second Empire, à partir du thème des passages couverts, qui devait introduire à une archéologie de la modernité.

Toute l’oeuvre de Franz Hessel présente une grande unité où l’on retrouve toujours le même sens de la langue, la même beauté, la même sensibilité derrière laquelle se cache l’étrangeté de son personnage.

Aussi familier du Paris d’avant la guerre de 1914 puis des années vingt que de Berlin, Hessel est plus qu’un poète de la grande ville. Ce qu’il en retient, c’est un étrange miroir où chacun est invité à se découvrir. Il y a chez lui quelque chose du Paris vécude Léon Daudet, mais on songe surtout au Piéton de Paris de Léon-Paul Fargue et aux surréalistes dont il fut peut-être, en Allemagne, le premier porte-parole, même si son écriture n’en porte pas la marque.

La plupart de ses écrits présentent un caractère autobiographique. Ainsi Torso, récit datant de 1922, évoque sa rencontre avec la bohème parisienne d’avant 1914, les peintres qui se réunissent au Dôme et au Bateau-Lavoir, autour de Rudolf Levy, Alfred Flechtheim, André Salmon, Paul Fort, mais aussi Marie Laurencin, Picasso, Braque, Jules Pascin. Parizer Romanze (1920), première oeuvre parue chez Rowohlt, écrite sous forme de quatre lettres à un ami, fait revivre la même atmosphère du Paris d’avant la guerre, les souvenirs et les rêves d’un monde qui se croyait préservé de tout danger. Comment ne pas admirer son sens de la flânerie, des détails et des atmosphères ? La proximité avec Proust éclate dans des textes comme Vorschule des Journalismus où Hessel évoque un monde disparu, ses souvenirs de Montparnasse, les hommes qu’il a connus, le mélange de mélancolie, de tristesse, d’inquiétante étrangeté qu’il ressent face à la ville et à ses métamorphoses. Ermunterung zum Genuss (Exhortation au plaisir) élève ce sens de la flânerie et de la rêverie au rang d’une véritable philosophie de l’espace et du temps, qu’il évoque bien sûr le rapport des surréalistes à la ville, les promenades qu’il partagea avec Benjamin dans Paris et Berlin, la méthode de « montage » – au sens où Bloch en parle dans Héritage de ce temps – qu’utilisera Benjamin dans Sens unique .

Heimlisches Berlin (Berlin secret) prolonge cette imbrication du biographique et de la rêverie sur la grande ville. Hessel y apparaît sous le nom de Clemens Kestner, professeur de philologie qui vit comme un locataire dans son appartement, et l’on y retrouve, à peine transposés, de larges épisodes de sa vie. Un certain enracinement à son enfance – qui l’unit aussi bien à Proust qu’à Benjamin – sous-tend les phases les plus décisives de sa vie, comme le révèle si bien dans Der Lasträger von Bagdad (Le Porte-faix de Bagdad) cette belle phrase :

 » [...] cela me paraît significatif pour toute mon existence que je me sois endormi, enfant, au seuil du monde. »

Cela ne résume-t-il pas la beauté mélancolique et rêveuse qui nimbe toute sa prose ?

Promenades dans Berlin conduit au coeur de la sensibilité de Hessel. Le monde qu’il évoque n’est pas, comme dans Enfance berlinoise de Benjamin, limité à un ghetto (5) – l’ouest berlinois, le quartier du Tiergarten – et à une époque, la fin du dix-neuvième siècle. Il n’a ni le côté apocalyptique des évocations expressionnistes de la grande ville moderne ni la dimension de violence et de dérision du Berlin d’Alfred Döblin. Hessel évoque la ville tout entière, avec ses quartiers bourgeois et ses quartiers prolétariens, son luxe et sa misère, sa beauté et sa laideur. Comme s’il s’agissait d’un visage, d’un corps vivant, il l’aborde avec autant d’amour que de respect.

Le flâneur ne s’y égare pas comme dans un labyrinthe mais il acquiert le sentiment de ne faire qu’un avec la ville, à la manière de ce peintre chinois qu’évoque une légende bouddhiste et qui, à force de contempler le paysage qu’il venait de peindre, finit par s’y perdre. Il se distingue de l’homme pressé car il n’a pas de but. Par son oisiveté, il inquiète. Tout l’art de Hessel – comme de Benjamin – tient à cette capacité de retrouver sur les choses un « premier regard ». Ce qu’il retient des rues, ce sont aussi bien les visages des passants, un joueur d’orgue de Barbarie, que l’aspect sinistre d’une arrière-cour. Alors que Benjamin transforme chaque détail d’architecture – ainsi les loggia évoquées dans Enfance berlinoise – en allégories, Hessel s’attache beaucoup plus aux atmosphères, à la réalité matérielle de la ville : vision des ateliers, des ouvriers, du peuple de Berlin dans sa diversité. Loin de rêver seul face aux monuments, il a à coeur de parler à ceux qui témoignent du passé, du présent comme de l’avenir de la ville. Il écoute son souffle, respire le parfum des rues, en sent battre le pouls. Il décrit les lentes métamorphoses de la ville – construction autour de la Postdamerplatz, disparition du Scheunelnviertel, l’ancien quartier juif de Berlin – avec autant de poésie que de mélancolie.

C’est dans cette attention passionnée aux détails que réside l’art du flâneur. Benjamin l’a admirablement montré dans l’essai qu’il consacra au livre de Hessel, publié dans la Literarische Welt en 1929, Le Retour du flâneur, thème auquel il donne encore de plus amples développements dans son essai sur Baudelaire (6) et surtout dans les matériaux destinés à sa grande étude inachevée sur les Passages parisiens (7). Le flâneur a gardé dans son rapport à la grande ville quelque chose du rapport de l’enfant aux panoramas où défilent les images, comme celui qu’il évoque dans Enfance berlinoise. Son apparition dans la littérature est inséparable des « physiologies » du dix-neuvième siècle, comme la Physiologie du mariage de Balzac, où est évoqué l’art de la flânerie. La nonchalance dont font preuve ces auteurs dans leurs descriptions se retrouve dans le style du flâneur dont Benjamin, à juste titre, fait remonter l’origine au Paris de Napoléon III, à la construction des trottoirs par le préfet Haussmann, car ils modifient radicalement le rapport à l’espace urbain, puis à l’aménagement des passages parisiens,  » nouvelle invention du luxe industriel « . Il est plus difficile de décrire son apparition dans la littérature allemande. Et si Hessel fut le premier à faire de la flânerie un mode nouveau d’appropriation et de découverte de la ville, on ne peut séparer son étrange expérience des êtres et des choses de son enracinement dans l’enfance, d’un sentiment permanent d’attente et d’émerveillement. Alors que Benjamin fut profondément marqué par le surréalisme, même s’il en propose un dépassement critique dans les Passages parisiens, Hessel, qui partage avec nombre d’auteurs surréalistes l’engouement pour la grande ville moderne restera attaché à un style qui unit étroitement une vision intimiste et naturaliste. C’est ce qui donne à ses Promenades dans Berlin cette beauté singulière, tandis qu’avec le recul, les destructions de la guerre, l’obsession des ruines, elles nous apparaissent, avec le Berlin Alexanderplatz de Döblin comme le plus émouvant portrait de ce Berlin des années vingt-trente, qui ne vit plus qu’à travers la littérature, de vieilles photographies, et les souvenirs de ceux qui l’ont connu.

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« Jules et Jim » de François Truffaut, 1961

Tardive, la découverte de l’oeuvre de Hessel en France s’impose donc à plus d’un titre mais il en est un qui, à lui seul, peut attiser la curiosité du public français. En 1920, Hessel avait invité à séjourner chez lui l’écrivain Henri-Pierre Roché qu’il avait rencontré en 1906 à Paris. Un amour violent s’ensuivit entre sa femme Helen et H-P Roché. Helen, après une tentative de divorce, revint ensuite auprès de Hessel. Cet épisode ne mériterait pas d’être mentionné s’il n’avait inspiré à H-P Roché, à l’âge de soixante-quatorze ans, un étonnant roman, publié aux éditions Gallimard en 1953, Jules et Jim, qui fut porté à l’écran par François Truffaut. Bien qu’oeuvre de fiction, on y retrouve, à peine transposés, de larges épisodes de leurs relations à trois, cette amitié (8), si étrange et si profonde, qui unissait envers et contre tout les deux hommes. Et comment ne pas reconnaître, sous les traits de Jules, l’auteur de Promenades dans Berlin, lorsque, dès les premières lignes du roman, H-P Roché évoque leur rencontre ?

 » C’était en 1907. Le petit et rond Jules, étranger à Paris, avait
demandé au grand et mince Jim, qu’il connaissait à peine, de le faire
entrer au bal des Quat-z-’Arts, et Jim  lui avait procuré une carte et
l’avait emmené chez le costumier. C’est pendant que Jules fouillait
doucement parmi les étoffes et choisissait un simple costume d’esclave
que naquit l’amitié de Jim pour Jules. Elle crût pendant le bal, où
Jules fut tranquille, avec des yeux comme des boules, pleins
d’humour et de tendresse (9). »

Jean-Michel PALMIER.

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« Jules et Jim » de François Truffaut, 1961

(1) On ne saurait trop insister sur le rôle joué par Bernd Witte dans la découverte de Hessel en Allemagne. Ses recherches sur Walter Benjamin l’ont amené à reconstituer sa biographie, grâce notamment à des entretiens avec sa femme, Helen, alors encore en vie (conversations s’échelonnant entre 1970 et 1980). Par la suite, il déploya de nombreux efforts pour que soient rééditées les oeuvres de Hessel, en les accompagnant d’excellentes introductions. Qu’il trouve ici l’expression de notre reconnaissance ainsi que Madame Karin Grund, auteur d’une remarquable étude, encore inédite sur Franz Hessel, Sur les traces de Franz Hessel, poète et écrivain, qu’elle a eu l’obligeance de nous communiquer (D.E.A. d’études germanistiques soutenu à l’université de Paris III, en 1986). Un grand nombre de précisions sur la vie de Hessel, les citations du journal inédit d’Henri-Pierre Roché, les propos de Helen Hessel, qu’elle put questionner longuement, lui sont empruntés. Comme nous n’avons pas eu la chance de connaître Helen Hessel, l’essentiel
 des matériaux biographiques a été fourni par ses fils, Ulrich et Stéphane qui, sans ménager leur temps, nous ont accordé de longs entretiens enregistrés évoquant la vie et l’oeuvre de leur père.
(2) Manfred Flügge a rassemblé dans un volume des documents d’une grande richesse sur Franz Hessel et sa famille, au cours de leur exil à Paris, sous le titre Paris als Schicksal. Franz Hessel und die Seinen à paraître en 1989 aux éditions Das Arsenal à Berlin. Manfred Flügge a également organisé en 1987, à l’occasion du 750ème anniversaire de la ville de Berlin, un séminaire sur Hessel à la Freie Universität, avec la participation des fils de Franz Hessel.
(3) Enfance berlinoise in Sens Unique, p. 22. Les Lettres nouvelles, 1978. Traduit de l’allemand par Jean Lacoste.
(4) Enfance berlinoise, op. cit., p. 31.
(5) Ulrich Hessel, son fils, considère que cette différence de perception de la ville tient en partie à leurs rapports différents au judaïsme. Profondément assimilé à la culture allemande, Hessel ne connut aucune limite dans son rapport à Berlin et se passionna pour les quartiers populaires de la ville. Benjamin, bien que sa famille se soit depuis longtemps engagée dans un processus d’assimilation, resta prisonnier d’un certain ghetto de la bourgeoisie juive, celui du vieil Ouest et du Tiergarten. (Communication orale)
(6) Walter Benjamin, Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, Payot, 1974.
(7) Walter Benjamin, Das Passagen-Werk, B.V.1 er V.2, Suhrkamp, 1982.
(8) L’ amitié entre Franz Hessel et H-P Roché prit fin en 1934 lorsque Helen lui annonça leur rupture. En dépit de l’intensité de leur relation, Hessel ne voulut pas le revoir par respect pour sa femme. Pourtant l’amitié qui unissait les deux hommes était sans doute plus profonde que l’amour entre Helen Hessel et H-P Roché. (Communication orale de Ulrich Hessel)
(9) Henri-Pierre Roché,Jules et Jim, Gallimard, 1953, rééd. Folio, p.11.

A propos de « Rêveries sur un chasseur de cicindèles »; Une ultime chasse aux trésors.

Samedi 25 septembre 2010

Une ultime chasse aux trésors.

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Ernst Jünger. Rêveries sur un chasseur de cicindèles.
Jean-Michel PALMIER. Ed. Hachette, collection Coup double.

Article paru dans Le Magazine Littéraire N° 339 - janvier 1996

Jean-Michel Palmier publie un essai passionné sur Jünger. De la philosophie à l’entomologie, la traversée d’une oeuvre et d’une vie.

On voudrait souhaiter à la collection « Coup double » de ne publier que des livres semblables à celui que Jean-Michel Palmier consacre à Ernst Jünger. Plus encore qu’un livre de charme, c’est en effet un livre d’enthousiasme et de passion qui illustre fort bien la volonté éditoriale de laisser les rédacteurs s’exprimer en toute liberté sur des artistes qu’ils ont choisis en vertu d’affinités profondes. Rappelons à ce titre que Palmier n’est pas seulement l’auteur de nombreuses études sur l’expressionnisme allemand et sur la pensée d’Herbert Marcuse, mais qu’il avait proposé en 1968, aux Editions de l’Herne, dans un ouvrage intitulé Les écrits politiques de Heidegger, une étude de plus de quarante cinq pages sur Le Travailleurd’Ernst Jünger qui constituait une tentative pionnière. Si l’oeuvre de Jünger était déjà largement traduite, elle n’avait alors fait l’objet en France, outre les jolis livres de souvenirs et de témoignages composés par Banine, que d’articles de journaux et de revues, ainsi que d’une médiocre étude de Marcel Decombis, publiée pendant la guerre (Ernst Jünger, éd. Aubier, 1943) et qui, sans être inexacte à proprement parler, présentait la fâcheuse particularité de se situer constamment à côté de la question. Ajoutons que parmi les nombreux lecteurs de Jünger, écrivains, critiques ou simples amoureux de la littérature, Palmier est l’un des rares à pouvoir dialoguer avec lui en matière d’entomologie, ce domaine dont le vieil écrivain avoue, non sans coquetterie, qu’il le juge lieux apte que l’activité littéraire à conférer l’immortalité. La classification de Linné, où s’inscrivent la Trachydora juengeri ou la Gregarina du même nom, lui paraît plus sûre que l’univers fluctuant des tableaux d’honneur critiques.

On suit Palmier découvrant Le Travailleur à travers son intérêt pour Heidegger et le séminaire que celui-ci avait consacré à cette oeuvre pendant l’hiver 1939-1940. Les analyses des textes alternent avec les portraits: les premières rencontres avec Heidegger et Jünger font l’objet de récits émus, mais l’on appréciera tout autant l’évocation de Frédéric de Towarnicki qui fut l’introducteur de Palmier auprès de Heidegger, Towarnicki « avec sa fantastique passion pour l’instant et l’éphémère », héritée sans doute, à travers sa mère autrichienne, de la sensibilité de Vienne fin de siècle; ou encore celle de Banine, croquée au vif dans l’austérité enjouée de son petit studio parisien, fidèle malgré son âge aux valeurs de l’enfance et toute recueillie dans la vénération de son grand homme. Irai-je contester ensuite la vision un peu expéditive mais pittoresque du Travailleur, « comme un édifice en ruines qu’il faut visiter à la manière d’un labyrinthe ? » Même s’il est vrai que l’ouvrage est historiquement marqué par les plans soviétiques et par un monde industriel encore dominé par la prépondérance de l’ouvrier, je ne pense pas que l’on puisse dire que le Travailleur s’oppose au « technicien, son pire ennemi ». Le technicien est bien plutôt le Travailleur par excellence, et Jünger qui avait très tôt perçu le caractère technique des loisirs (sport, tourisme,etc.) ou les risques de véritable cannibalisme médical que comportent de nos jours les transplantations d’organes – ainsi que le rappelle Palmier – a ajouté désormais à son ancienne analyse les dangers de la mise en chiffres, multipliée par l’informatique, et les manipulations génétiques.

Mais pour le profane, c’est dans le domaine de l’entomologie que la passion de l’auteur se révèle la plus contagieuse. Dans un monde désenchanté, elle permet la survivance d’une ultime chasse aux trésors qui s’étend au monde entier et dont les joyaux sont le Polybotris sumptuosa « aux éclats d’or, d’azur et de feu » ou l’Eupatorus gracillicornis qui « paraît sculpté dans le coeur d’un bois exotique ». Lorsqu’on se sent bien sot de ne pouvoir distinguer le minuscule détail qui caractérise une variété d’insecte parmi tant d’autres désespérément semblables en apparence, on ne peut que s’incliner devant tant de compétence et d’esprit d’aventure : à la limite, on ne sait plus si Palmier parle de lui, de Jünger ou du monde – et cela n’a, au fond, aucune importance, tant ce monde est vivant.

                                          

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   Polybothris sumptuosa

Après une année – celle du centenaire de l’auteur – où la malveillance et la désinformation ont tenté de suggérer insidieusement l’image d’un Jünger nazi ou du moins sympathisant de Hitler, il n’était pas non plus inutile que Palmier rappelât un certain nombre de vérités : malgré ses débuts de héros guerrier et d’activiste nationaliste, Jünger a toujours opposé une fin de non recevoir aux tentatives de récupération nazies, et son comportement comme ses livres le mettaient à la fin de la guerre dans une position « infiniment périlleuse ». En dehors de toute passion, l’énoncé des faits a aussi ses mérites.

Julien HERVIER.

jungerethervier.jpg Ernst Jünger et Julien Hervier

A propos de Lénine , l’art et la révolution de J-M Palmier.

Dimanche 12 septembre 2010

Lénine et la littérature

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Article paru dans Politique Hebdo N° 194 du 23 au 19 octobre 1975

Staline perçait-il, déjà, sous Lénine, était-il préparé par lui, ou bien le stalinisme n’est-il qu’une monstrueuse déviation du léninisme ? Cette question n’a guère trouvé de réponse, d’autant moins que le fait même de la poser est, pour certains, sacrilège : la pensée révolutionnaire a, elle aussi, ses tabous… Il est pourtant un point sur lequel les choses sont, de ce point de vue, plus claires : celui de la littérature, du rapport théorique (et étatique, hélas) à la production littéraire. Un récent livre de Jean-Michel Palmier nous permet de reposer ce problème (1).

Tout le monde connaît aujourd’hui au moins le nom de Jdanov, dont les traductions en français étaient naguère préfacées par Aragon, Jdanov le procureur, le Béria des lettres et des arts, le bras littéraire de Staline. Mais sait-on que Lénine n’était pas loin d’avoir, avec quarante ans d’avance, les mêmes positions ? Dès 1902, l’Iskra condamne en effet l’art abstrait en des termes que N. Krouchtchev retrouvera en 1963, et, en 1905, Lénine publie L’Organisation du parti et la littérature de parti, texte qui sera maintes fois invoqué, en particulier par Jdanov (lorsqu’il condamnera par exemple Anna Akhmatova). Certes, ce texte est parmi les plus discutés de Lénine, les plus interprétés. Mais peut-on vraiment soutenir comme l’a fait V. Pozner, sous prétexte que le mot russe « Literatoura  » signifie aussi bien « littérature » que « texte », que Lénine ne visait pas la littérature mais la presse du parti ? Il est en effet difficile d’admettre, même si cette ambiguïté sémantique existe, que les lecteurs russes, qui lisaient Lénine en russe et pas en traduction française aient pu s’y tromper … Puis, en 1908, Lénine entame la lutte contre Bogdanov, lutte politique, idéologique, philosophique, qui trouvera un débouché esthétique au début des années vingt, Lénine s’opposant farouchement au Proletkult, la culture prolétarienne.

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L’Iskra (l’Etincelle)

Ce qui précède ne constitue jamais que quelques rapides idées, notations en vrac. Et l’on aurait pu espérer, au vu de son titre, Lénine, l’art et la révolution, que Palmier aborderait ces problèmes de front. Vaine espérance car, bien qu’il présente lui-même son travail (550 pages !) comme « la première partie d’une trilogie consacrée à la formation et à l’évolution de l’esthétique soviétique « , l’auteur ne nous offre pas un travail théorique mais une sorte de manuel universitaire bien documenté où tout est résumé, mais bien rarement mis en perspective. Des biographies de Gorki, Bogdanov ou Gogol se succèdent, dans le genre articles d’encyclopédie, puis laissent place à de longs résumés de textes de Lénine, à de longues citations, bref, le livre apparaît comme une dizaine de Que sais-je ? mis bout à bout : travail utile, certes, mais décevant. D’autant que Palmier, qui semble ne pas lire le russe, utilise le plus souvent des oeuvres de seconde main dont bon nombre représentent le point de vue officiel du PCUS ou du PCF sur l’histoire de l’URSS….

Cela est d’autant plus regrettable que l’on trouve dans chaque chapitre ou presque les éléments objectifs, les bases d’une possible théorisation. Pour ne prendre qu’un exemple, Palmier résume longuement l’ouvrage de Kroupskaïa, la compagne de Lénine, les goûts d’Illitch en littérature. Or, on se rend très vite compte que Lénine utilise curieusement les oeuvres littéraires : il les cite fréquemment comme preuves à l’appui de ses analyses économiques et politiques. Il aime par dessus tout Tchernychevski, Ouspenski, c’est à dire les populistes de la fin du XIXème siècle, et on a même l’impression qu’il décèle chez Gorki des traces de ce populisme et qu’il le porte aux nues pour cette raison. Et l’on retrouve alors la fameuse brochure Organisation du parti et littérature de parti : Lénine recherche dans les livres un témoignage sur la société et sur les luttes, ce qu’on ne  saurait lui reprocher, mais on a l’impression que cette exigence le pousse à négliger par trop l’aspect proprement littéraire de ces livres.

De là à penser qu’il y a en germe dans ces goûts qu’il n’a jamais cachés et que d’autres ont largement divulgués, la théorie du réalisme socialiste il n’y a qu’un tout petit pas à franchir. Au fond, Lénine a beaucoup pardonné à Gorki parce qu’il respectait sa stature, au moment même où il attaquait sans concession Lounatcharski et Bogdanov qui défendaient presque les mêmes positions. Palmier qui semble professer une large sympathie pour le centralisme léniniste, pour la mystique du parti, ne va pas ainsi jusqu’au bout d’un itinéraire que sa documentation lui ouvrait pourtant, et son approche de « la formation de l’esthétique soviétique » reste très formelle, anecdotique presque. Peut-être les tomes suivants rectifieront-ils le tir, mais l’ensemble pourtant volumineux ne constitue pour l’instant qu’une oeuvre d’érudition, un ouvrage de référence. Ce qui est beaucoup et bien peu.

Louis-Jean CALVET.

(1) Jean-Michel PALMIER, Lénine, l’art et la révolution, éd. Payot, 550 pages.

Ceci

Futurisme :L’archer à un oeil et demi, de Benedikt Livchits

Dimanche 12 septembre 2010

Article paru dans Politique Hebdo , N° 76,  du 26 avril 1973

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Gontcharova, train

Voici un livre (1) qui est passé presque inaperçu. Il s’agit pourtant d’un témoignage bouleversant tant par sa qualité poétique que par le monde qu’il ressuscite : celui du futurisme russe, de l’effervescence intellectuelle et artistique qui précède la Révolution d’Octobre, et cette génération de Maiakovski et de Khlebnikov qui voit se réaliser l’une des plus grandes révolutions artistiques européennes, qui décida de toute l’évolution de l’art moderne.

Assurément, l’épopée futuriste est l’une des étapes les moins connues, les plus fondamentales, de l’art moderne. Eisenstein, Maïakovski, Meyerhold, c’est à dire le jeune cinéma soviétique, la poésie d’Octobre, le nouveau théâtre sont impensables sans la révolution futuriste. Mais que sait-on au juste du futurisme ? Comment ce mouvement apolitique en Russie a-t-il pu conduire à Maiakovski et à la revue lef? Comment l’avant-garde artistique a-t-elle pu rencontrer l’avant-garde politique ? Quels rapports unissent le futurisme russe et le futurisme italien ? Comment un mouvement artistique qui a fécondé tous les domaines – de l’architecture au cinéma – a-t-il pu rencontrer en Russie la révolution et s’y unir alors qu’en Italie, le fascisme l’absorba ? Marinetti et Maiakovski sont-ils des frères jumeaux ou des ennemis ?Toutes ces questions, on ne cesse de se les poser en lisant n’importe quel poème de Maiakovski, en regardant les reproductions des tableaux de Larionov ou de Gontcharova, mais il nous manque les éléments pour y répondre.

Les documents qui permettent d’écrire l’histoire de cette période sont peu nombreux. Aussi le libre de Benedikt Livchits publié en URSS en 1933 a-t-il une valeur inestimable : il  est le seul ouvrage écrit par un témoin et un futuriste qui a participé à tous les combats du mouvement.

Le premier mérite de Livchits est de nous restituer la vie intense des avant-gardes russes au début du XXème siècle, l’incroyable enthousiasme qui règne parmi les artistes au lendemain de la révolution, l’étonnante rencontre des avant-gardes politiques et esthétiques, rencontre qui n’alla pas sans heurts. Si le gouvernement soviétique – à travers le Commissaire à l’ Education Lounatcharski – accepta la collaboration massive des futuristes, il s’efforça de ne jamais prendre parti dans les querelles qui opposaient alors les groupes et les écoles et de ne permettre à aucun – futuristes, imagistes, constructivistes, Proletkult (2) – de s’affirmer seul art révolutionnaire.

Lorsqu’Essénine écrira ses poèmes sur les murs d’un cloître et remplacera les plaques des rues par d’autres plaques portant le nom de ses amis, ce qui lui vaudra d’être interpellé et conduit au Kremlin, Lénine éclatera de rire. Quant à Maiakovski, s’il eut à souffrir – comme l’a si souvent rappelé Elsa Triolet – des vexations des bureaucrates qui freinaient la diffusion de ses oeuvres, faisaient tout pour l’enterrer vivant, il fut toujours estimé par Lénine – qui jugeait ses poèmes parfois peu compréhensibles – et Staline lui-même interdira que l’on souille la mémoire de Maiakovski. Grâce à Livchits, nous voyons vivre Khlebnikov, « le père du futurisme russe », qui ressemble à un grand oiseau malade, traînant ses poèmes et sa légende, ses manuscrits dans une taie d’oreiller. Nous suivons les frères Bourliouk, avec leurs visages peints, leur étrange générosité qui leur fait prendre Maiakovski, ce jeune homme encore complètement inconnu, à la mâchoire proéminente, gigantesque, à la voix tonitruante, qui se fait bannir de l’école de peinture, se pavanant dans les rues de Moscou vêtu de son inoubliable blouse jaune serein, de sa cravate Lavallière noire et de son haut de forme. Nous apprenons aussi à connaître Koulbine, Kamenski – grand rival de Maiakovski dans le coeur de la jeune Elsa triolet – et Kroutchonyck. Enfin, nous suivons les premières expositions décisives – Le Valet de Carreau et la Queue d’âne- qui opposent les Bourliouk à Larionov et Gontcharova. Livchits n’a pas seulement été un témoin de toute cette épopée, mais un acteur. Il prit part dès 1911 au mouvement, comme poète et comme théoricien.

C’est à partir d’expositions de peinture que naquit « l’art de gauche « . terme ambigu qui désigne l’avant-garde picturale et qu’il faut bien se garder de comprendre en un sens politique. C’est là, en effet, une des thèses fondamentale développées par Livchits : le futurisme russe fut apolitique, contrairement à son homologue italien. Ce que les futuristes russes reprocheront le plus à Marinetti, c’est d’avoir asservi l’art à l’idéologie politique la plus réactionnaire. L’art de gauche, c’est l’avant-garde qui se bat pour développer un art inspiré du cubisme, de l’art populaire russe, de Cézanne et de Picasso, contre la stérilité de l’académisme qui, en poésie, culmine dans l’esthétique symboliste (Balmont, Brioussov, Sologoub) et dans la peinture avec Benoît, le futur adversaire de Malevich, auteur du fameux Carré noir sur fond blanc. Cet art de gauche est loin de présenter une unité. Les Bourliouk se querellent avec Larionov et Gontcharova. Les critiques les rejettent ensemble, estimant que le cubisme peut servir à la rigueur à peindre des maisons, mais surtout pas des personnages. Ou encore, on exalte la peinture française pour montrer que les jeunes peintres soviétiques sont des imitateurs sans originalité. Alors, pour défendre leurs conceptions, les peintres organisent expositions et débats avec le public. Soirées orageuses, débats passionnés, projections, insultes, bagarres. Tout est bon pour faire reconnaître ses droits.

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                   V. Maiakovski

Bientôt, c’est la rencontre avec Maiakovski. rencontre fascinante. C’est un géant romantique, qui a déjà travaillé pour le parti bolchevik. A sa sortie de prison, il se met à étudier la peinture et rencontre Bourliouk. Une amitié profonde les unit et Bourliouk présente à tous son ami « le génial poète Maiakovski » assurant à celui-ci qu’il est grand temps qu’il se mette à écrire des vers pour ne pas le ridiculiser. L’épopée futuriste sera l’épopée de la jeunesse. Leur rire et leur insolence traversent la Russie. Ils organisent des soirées littéraires qui – comme le dira Elsa Triolet – ressemblaient plus à des combats de boxe qu’à des récitals poétiques. Devant un public déchaîné, ils crient leurs poèmes, proclament leur haine du monde bourgeois et des anciennes valeurs, veulent jeter par dessus bord Pouchkine, Tolstoï et les classiques, affirment leur passion pour le cubisme, la vitesse et les machines. Khlebnikov était déjà enveloppé d’une véritable légende. Les autres futuristes vont théâtraliser leur vie : ils se proclament tous des génies, déambulent dans les rues avec des accoutrements insensés.

Pourtant lorsque Marinetti vint à Moscou, il fut loin d’être acclamé. Les futuristes avaient longuement hésité entre ne pas venir à ses conférences ou bien s’y rendre avec des provisions d’oeufs pourris. Venu comme un général inspectant ses troupes, Marinetti dut bien vite se rendre compte de l’indépendance des futuristes russes. Sans doute y-a-t-il de nombreuses analogies entre les Manifestes – La gifle au goût public- des futuristes russes et les manifestes italiens, mais si les deux groupes se rencontrent dans une même haine du passé, des classiques, un même culte de la vitesse, de la ville, de la lumière, des machines, de tout ce que chantait Apollinaire, il y a aussi de nombreuses thèses qui les séparent. Les futuristes russes opposent l’Orient à l’Occident, affirment la neutralité de leur mouvement, Marinetti lui l’engage violemment aux côtés des défenseurs de la guerre, il exalte le mépris de la femme, l’héroïsme viril. Les descriptions que Livchits brosse des rencontres avec Marinetti – en smoking noir – parlant avec ses mains, faisant craquer sans cesse son pantalon au beau milieu des envolées lyriques sur l’héroïsme, hué par ces futuristes russes qui refusent sa paternité, est sans doute l’un des moments les plus importants de l’histoire du mouvement, et des plus pittoresques.

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                                            Marinetti

Puis c’est la guerre. La fin du futurisme. La révolution. Alors que le mouvement italien sombre dans la réaction, les futuristes russes se rallient à la révolution. Comme le dira Maiakowski dans son autobiographie : « Faut-il y adhérer ou pas ? cette question ne se pose pas pour moi (ni pour les autres futuristes moscovites). C’était ma révolution à moi. J’allai à Smolny. J’ai travaillé à tout ce qui se présentait. »

Après 1917, le futurisme est mort comme école et comme mouvement. Mais il va féconder tous les arts. Alors que la plupart des artistes russes refusent toute collaboration avec le pouvoir des Soviets, les futuristes participeront à la propagande artistique. Maiakovski chantera la Révolution, il lira ses poèmes devant l’Armée Rouge et les ouvriers, mais il dessinera aussi des affiches pour les armées et les fameuses « fenêtres » de l’Agence télégraphique soviétique (Rosta) qui présentent, avec des couleurs éclatantes, une étonnante satire du capitalisme, de l’ancienne vie, avec des légendes composées par Maiakovski. Il fera plus de 300 slogans-réclames pour les magasins d’État:  » Je suis avant tout un homme qui a mis sa plume au service (je vous prie de bien noter ce mot), au service de la minute présente, de la réalité présente et de son conducteur : le gouvernement soviétique et le parti « . Mais Goethe lui-même ne dit-il pas que toute poésie est poésie de circonstance. ?

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                                           Okna-Rosta

C’est cette épopée futuriste et son déclin que nous fait revivre Livchits dans ses Mémoires. Comme il le dit lui même, il ne s’agit pas de redonner vie au futurisme, mais de raconter son histoire. On devine qu’il est loin d’avoir entièrement renié cette époque. D’ailleurs, l’épilogue brutal le confirme : le compagnon de l’archer à un oeil et demi, l’ami de Bourliouk et de Maiakovski a été victime des assassinats staliniens. On ne sait pas très bien pourquoi et comment il disparut, en 1939. Comme tant d’autres figures des années 20 – l’extraordinaire Isaac Babel dont on vient de rééditer la Cavalerie Rouge (3) – il fut victime du stalinisme.

Jean-Michel PALMIER.

(1) Éditions l’Âge d’Homme.
(2) Organisation liée à Bogdanov qui lança le mouvement de la « culture prolétarienne ».
(3) Dans une excellente traduction de Jacques Catteau. L’Âge d’Homme.