L’athéisme dans le christianisme
d’Ernst Bloch
Gallimard
356 p.,
Article paru dans Les Nouvelles Littéraires N° 2682 du 1é au 19 avril 1979
Ernst Bloch – silhouette
Dans ses textes de jeunesse, Hegel avait déjà laïcisé le christianisme avant de faire de la mort du Christ un simple « vendredi saint spéculatif « . Figure de l’aliénation et visage de la conscience malheureuse, le Christ nous parle en termes kantiens, avec amour et sans miracles. Ernst Bloch est l’héritier, dans une certaine mesure, de ces textes de Hegel, à tort oubliés.
Ce qu’il propose, c’est moins une philosophie de la religion, qu’une herméneutique de la conscience religieuse et de ses aspirations. Avec sa spécificité, la religion s’inscrit dans le grand rêve de Bloch : rien de ce qui témoigne de la révolte contre l’injustice et l’oppression ne doit être abandonné. Au coeur de la religion, il ne décèle pas simplement l’aliénation, mais une fantastique espérance. Entre le judaïsme et le christianisme, il unit les symboles pour les faire éclater, révéler leur contenu révolutionnaire. Sans doute la religion est-elle considérée depuis Feuerbach comme l’envers d’un monde misérable. Mais on néglige souvent les symboles et les promesses qu’elle nous a laissés en héritage. Et si seul un athée peut comprendre le sens profond de l’Evangile, seul un chrétien peut, d’une certaine façon, comprendre comment le marxisme est l’aboutissement de nos plus vieux rêves de justice.
Déjà dans l’Esprit de l’utopie, Bloch s’interrogeait sur les dialogues des frères Karamazov et voulait réconcilier le Capital, l’Apocalypse et la mort . Son essai sur Thomas Münzer, – le réformateur ennemi de Luther qui voulut construire sur terre le royaume de Dieu, le paradis des paysans et des pauvres, des humiliés et des offensés – prolonge cette vision de la religion comme espoir, comme promesse chiffrée d’une victoire contre l’injustice et la mort. Qu’il mêle les mystiques médiévaux aux légendes hassidiques d’Europe centrale, Bloch ne prétend jamais s’enfermer dans une exégèse. Devenir athée n’a de sens que si nous entrons en possession de l’héritage de la religion : sa capacité d’ouvrir le temps et la mort, d’entrevoir l’espoir là où il n’y a que des ruines. Par delà les églises et les dogmes, Bloch cherche à unir la foi révolutionnaire avec les images naïves que les enfants se font de la justice et du paradis.
Jean-Michel PALMIER.
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