Brecht ou le soldat mort.
de Guy Scarpeta
Grasset – 313 p.
le pauvre Bertolt
Article paru dans Les Nouvelles Littéraires N°2680 du 29 mars au 5 avril 1979.
La Légende du soldat mort, qui conte comment le Kaiser fit déterrer l’un de ses soldats tué à la guerre pour l’envoyer mourir une seconde fois, valut à Brecht l’honneur d’être inscrit dès les années 20 sur la » Liste noire » d’Hitler. Guy Scarpeta reprend l’image de ce soldat pour l’appliquer à Brecht : c’est lui le « cadavre embaumé » qui repose dans un cercueil d’acier à Berlin-Est, empestant la culture de son parfum stalinien.
Après Marx, c’est donc au tour du pauvre Bertolt d’être mangé à la sauce « nouveaux philosophes « . Mais l’auteur s’y casse les dents. Il tente de montrer que chez Brecht, le marxiste et le pervers ne font qu’un. Hanté par le fantasme de la castration-révolution, Bertolt ne serait à l’en croire qu’un imbécile stalinien, aussi dangereux et aussi vivant que le marxisme lui-même. L’auteur s’attaque non seulement à ses théories esthétiques des années 20, dogmatiques et stérilisantes et à sa conception du réalisme, mais il lui reproche aussi de ne pas avoir été attentif pendant son exil aux courants les plus novateurs de la peinture américaine. Il est vrai qu’occupé à ne pas mourir de faim à Hollywood, Brecht n’a guère eu le temps de fréquenter les expositions avant-gardistes new-yorkaises…
Il y a plus grave : Scarpeta entend nous révéler chez Brecht, derrière le discours officiel, le refoulé qui s’y manifeste. Anti-fasciste, Brecht ? Sans doute peut-on difficilement le considérer comme un auteur nazi. Mais l’auteur estime que sa vision économique du fascisme est limitative : il n’a pas compris que le fascisme était une émanation du Mal radical. Par ailleurs, il décèle un « feeling fasciste » dans plusieurs des ses pièces, une sorte d’indifférence à l’égard des femmes honnêtes et une sympathie suspecte pour les prostituées, les maquereaux et les bordels, comme l’atteste l’Opéra de Quat’sous .
Guy Scarpeta prétend trouver aussi chez Brecht de l’antisémitisme et même du racisme, à partir d’interprétations fallacieuses, de citations tronquées. L’exemple le plus révélateur de sa méthode nous est donné par l’identification du jeune Brecht à Céline, sous prétexte qu’il s’indigne de ce que la population allemande ne réagisse pas aux exactions commises « par des nègres » qui ont « engrossé » des femmes… L’auteur néglige de préciser qu’il s’agit de tirailleurs sénégalais qui occupaient la Rhénanie et avaient violé des filles !
Par-delà les erreurs historiques et les erreurs d’interprétation, cette méthode a quelque chose de déplaisant. Cette accumulation d’insultes, ces procès d’intentions, cet assemblage de citations tronquées destinées à étayer un verdict déjà prononcé, illustrent ce que l’auteur prétend justement dénoncer chez Brecht : le plus pur esprit stalinien.
Jean-Michel PALMIER.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.