Allemands
de Walter Benjamin
Trad. de G.-A. Goldschmidt
Hachette
125 p.,
Article paru dans les Nouvelles Littéraires N° 2682 du 12 au 19 avril 1979.
Ce livre, affirme le grand philosophe allemand, Theodor Adorno est comme un recours contre l’accélération catastrophique de l’Histoire. Walter Benjamin le fit paraître sous un pseudonyme, pendant son exil, en espérant qu’il serait lu par des allemands et signifierait quelque chose pour eux. Comme beaucoup d’émigrés, il continuait à croire dans la force de l’écrit contre la barbarie nazie. Il resta bien sûr sans effet, mais ces lettres que Benjamin voulait faire lire à ses compatriotes – pour leur montrer que l’esprit, la culture allemande ne sauraient s’identifier à cette bouillie sanglante de mythes creux, d’exaltation du sang, du sol et de la race – nous interpellent toujours. Leurs auteurs sont d’une étonnante diversité : Goethe, Hölderlin, Nietzsche et Büchner voisinent avec des inconnus, et c’est à travers ce montage de lettres et de commentaires que Benjamin essaye de nous faire apercevoir sa propre philosophie. Ses interlocuteurs ont en commun d’incarner souvent des types sociaux, des styles, des sensibilités et d’avoir le goût d’écrire des lettres, ce qui, pour Adorno, est devenu à notre époque à peu près impossible. Aussi doit-on les lire » comme une critique du cours du monde « . Benjamin a éliminé l’anecdotique pour ne garder que la densité dramatique, même lorsqu’il s’agit d’événements sans importance. Il les présente avec cette profondeur qui, chez lui, est une sorte de naïveté. Qu’il s’agisse de J.-H Kant désirant avoir des nouvelles de son frère Emmanuel avant de mourir, d’Overbeck conseillant à Nietzsche de devenir professeur d’allemand dans un lycée, bien qu’il ait déjà écrit Ainsi parlait Zarathoustra , de D.-F Strauss annonçant à un ami la mort de Hegel, victime de l’épidémie de choléra qui sévit à Berlin, du vieux Goethe, évoquant sa vie intérieure, comme le dit Benjamin, dans le style des » communiqués de chancellerie « , toutes ces lettres sont aussi bouleversantes qu’admirables.
Jean-Michel PALMIER
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