Heinrich Böll; Une mémoire allemande
Article paru dans Les Nouvelles Littéraires N° 2634 du 4 au 11 mai 1978.
L’ attribution du Prix Nobel de Littérature à Heinrich Böll signifia beaucoup plus que la consécration d’une oeuvre littéraire. A travers lui, c’est une certaine Allemagne qui, brusquement, surgissait des cendres : celle de l’après-guerre, l’Allemagne de l’anéantissement, de la mauvaise conscience, des villes rasées, des esprits en lambeaux. Le succès rencontré par ses romans, son action en faveur des dissidents, ses mises en garde politiques – que l’on songe simplement à sa lutte contre la grande presse à scandales, thème de l’Honneur perdu de Katharina Blum -ont accrédité l’image de Böll comme « écrivain engagé » voire « Sartre allemand » à la seule différence que le premier continue à se réclamer du christianisme même s’il ne se reconnaît plus dans son Eglise, trop proche de la C.D.U.
Mais que signifie être un écrivain engagé en Allemagne ? Comment se développe, avec toutes ces contradictions, la conscience d’un écrivain qui croit à l’humanisme, au christianisme, qui refusa de hurler avec les loups pendant l’^poque hitlérienne, désapprouva l’anticommunisme viscéral de l’après-guerre, et aujourd’hui encore, combat en solitaire pour une certaine idée qu’il a de la vie, de la justice, des rapports à autrui ?
Les entretiens rassemblés par René Witzen sont excellents à plus d’un titre. La qualité de l’interviewé d’abord, son intelligence, sa générosité, sa modestie ne cessent de toucher aussi profondément que sa lucidité. Quant à René Witzen, qui dirige la revue Documents, il est assurément l’un des meilleurs connaisseurs de l’Allemagne contemporaine et ses entretiens avec Böll – d’une richesse exemplaire – sont de véritables dialogues. A travers eux , on découvre non seulement la genèse d’une oeuvre, qui s’est imposée comme l’une des plus grandes de notre époque, mais avant tout un homme, un Allemand. Böll a choisi de l’être et d’assumer toutes les contradictions. Il s’exprime sur les questions fondamentales que sa conscience a rencontrées – le nazisme, la résistance, l’après-guerre, le réarmement, l’évolution politique de l’Allemagne fédérale, le rôle de la religion, les combats dans lesquels il s’est trouvé engagé. Pourtant, il ne prend pas sa plume pour une épée : il lutte au nom d’une certaine éthique, de ce qu’il appelle « la morale du langage » et qui enveloppe aussi bien la vie quotidienne, la littérature, que la politique ou son rapport à ceux qui, comme lui, appartiennent à une nation, à un peuple.
L’écrivain, comme le dit si bien Böll, n’est pas un phare d’une pureté inaltérable qui éclairerait la boue qui l’entoure : c’est un homme qui a les pieds dans la boue, comme les autres, et qui essaye de leur parler, de leur tendre la main, non pour les aider mais pour les comprendre.
Ce volume – un film, une mémoire – est l’un des plus passionnants témoignages que l’on puisse lire sur l’Allemagne d’aujourd’hui et sur un homme qu’on ne peut qu’aimer.
Jean-Michel PALMIER.
- Lire également notre entretien avec Heinrich Böll, dans les Nouvelles Littéraires du 30 mars au 6 avril 1978.
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