Article paru dans le Magazine Littéraire N° 284 -Janvier 1991.
Dès leur première rencontre, Benjamin et Bloch éprouvèrent une fascination réciproque. Confrontation de deux pensées philosophiques.
Ecrits autobiographiques, Walter Benjamin. Traduit de l’allemand par Christophe Jouanlanne et Jean-François Poirier. Ed. Christian Bourgois.
Ernst Bloch. Messianisme et Utopie, Arno Münster. Ed. P.U.F.
» Si j’écris un meilleur allemand que la plupart des écrivains de ma génération, je le dois en grande partie à une seule petite règle que j’observe depuis vingt ans. C’est la suivante : ne jamais utiliser le mot « je » sauf dans les lettres. Les exceptions à ce précepte que je me suis autorisées peuvent se compter. » Cet avertissement de Benjamin, extrait de Chronique berlinoise, éclaire tout son style. Usant de l’allemand, selon la remarque d’Alfred Polgar, comme s’il s’agissait d’une langue étrangère, il a systématiquement refoulé une certaine dimension du vécu, ne la retenant que dans des cristallisations littéraires et philosophiques où la forme fait disparaître toute trace de subjectif, même si sa sensibilité y est omniprésente. Par là, il s’écarte de la plupart des écrivains de sa génération, largement marqués par l’expressionnisme et son pathos de la subjectivité. Dans la préface à l’édition de sa correspondance (éd. Aubier, 1979, 2vol.), Theodor Adorno a montré comment sa personnalité n’intervenait qu’ »en tant qu’instrument de son oeuvre ». Il souligne que s’il ne fut jamais porté vers l’ascétisme, ses immenses capacités intellectuelles étaient en conflit avec « l’immédiateté du vécu », ce qui le rendait presque « incorporel », jugement cruel que partagèrent aussi les femmes qui traversèrent sa vie. Soulignant, à tort, nous semble-t-il, un certain aspect pathologique de sa personnalité, Adorno estime qu’à travers son oeuvre, sa névrose est devenue créatrice grâce à son insertion dans l’histoire. Dans son Portrait de Walter Benjamin (Prismes, éd. Payot, 1986), il souligne encore que Benjamin n’accordait de valeur qu’au « soi mystique », que pou lui, « l’intériorité n’est pas seulement le refuge de l’étroitesse d’esprit et de la sombre présomption, mais encore le fantasme qui masque l’image virtuelle de l’homme « . Et il insiste sur une certaine schizoïdie que Benjamin ne peut vaincre que par sa capacité de transformer des fragments en intelligibilité historique.
On possède un assez grand nombre de portraits de Benjamin. Et l’on ne peut s’empêcher de rêver sur eux comme lui-même d’arracher leur secret aux portraits de Kafka enfant. Assis sur une table devant l’imposante figure de son père, tandis que sa mère tient son frère Georg sur les genoux, il surgit comme une image familière de l’ère wilhelminienne. Le kitsch de l’époque a conduit à les représenter en alpinistes sur un décor de vallée. Etudiant, photographié en 1912, il frappe déjà par cette impression de tristesse et de mélancolie qui ne le quittera plus. Les photographies prises à Berlin le montrent, toujours de profil, avec la chevelure embroussaillée, ces lunettes cerclées de fer, l’impressionnante moustache. Que dire de cette photographie prise en 1938, dans la maison de Brecht au Danemark ? A 46 ans, Benjamin apparaît comme un homme précocement vieilli. La tristesse et la mélancolie ont fait place à l’amertume et à la lassitude. Elles se lisent dans les plis du visage et la lourdeur du corps. Le regard est devenu dur, presque hostile. La chevelure abondante a blanchi. Un certain négligé de la tenue contraste avec la chaîne de montre, ultime vestige de l’existence bourgeoise. Ce sont les échecs d’une vie, les souffrances de l’exil qui s’y révèlent.
Peu d’écrivains ont autant disparu derrière leur oeuvre. Benjamin ne fait qu’un avec elle, comme avec sa bibliothèque, sa collection de livres d’enfants, ses florilèges de citations. Il ne dit jamais « je » et pourtant, jusque dans les développements les plus théoriques des Passages parisiens(éd. Cerf, 1989) ou de l’Origine du drame baroque allemand (éd. Flammarion, 1985), sa sensibilité la plus personnelle est présente, avec son attachement à l’enfance, son goût du rêve, sa tristesse. sa vie, il faut la reconstituer à travers sa correspondance, son Journal de Moscou (éd. l’Arche, 1983), où il paraît si proche, si vulnérable et les souvenirs de ceux qui l’ont rencontré. Pourtant on se heurte immédiatement à d’innombrables obstacles. Marginal, Benjamin n’était connu que d’un petit groupe d’amis et le seul portrait détaillé qui nous soit parvenu est celui de Gerhard Scholem. Encore, celui-ci, après son départ en Palestine, ne l’a-t-il que très rarement revu et il échoue dans son effort de nous restituer son évolution, après leur éloignement. Werner Kraft, son ami d’enfance, ne rapporte rien d’original sur lui. Asja Lacis, dont il fut l’amant, a banni de ses admirables souvenirs (Profession Révolutionnaire, éd. P.U.F., 1989), l’aspect subjectif et dramatique de leur relation. Et ses relations avec Bloch, Adorno ou Brecht exigent un véritable déchiffrement.
Les lettres éditées par Scholem et Adorno comportent tellement de coupures, parfois non signalées, qu’on se demande quelles furent les critères d’édition qui présidèrent à leur choix et aux suppressions d’éléments personnels. La perspective adornienne qui a présidé à l’édition des oeuvres de Benjamin a parfois conduit à proposer de son oeuvre une vision théorique qui n’échappe pas au schématisme. Aussi intéressant que soit l’essai de Rolf Tiedemann Etudes sur la philosophie de Walter Benjamin (éd. Actes Sud, 1987), on ne peut s’empêcher de trouver sa reconstruction de l’itinéraire de Benjamin quelque peu abstraite. Adorno n’hésita pas à rayer carrément la dédicace de Sens Uniqueà Asja Lacis et à prétendre contre toute évidence que le texte que Benjamin déclarait avoir écrit sur Naples, avec elle, n’était que de lui. Et même dans l’appareil critique de ses Ecrits autobiographiques, on peut s’étonner de trouver ce genre d’affirmation : » De manière générale, on peut douter à bon droit que les détails biographiques soient pertinents pour l’interprétation des textes de Benjamin et même que le lecteur de ceux-ci soit en droit de les connaître ». Le problème, c’est que la genèse de beaucoup de ses textes est inséparable de ses rencontres, de ses lectures, de ses voyages, que peu de choses séparent souvent la forme élaborée qu’il donnera à ses impressions, des « images de pensée » (Denkbilder) qu’il notait spontanément. La manie du secret dont il s’entourait, c’est à ses exégètes de la déconstruire car dans son oeuvre rien n’est insignifiant. Son essai sur les Affinités électives de Goethe est inséparable de la constellation affective qu’il vivait alors. Ses relations personnelles avec Brecht et Adorno sont sans doute d’une grande utilité pour comprendre leurs rapports théoriques. Et c’est en se livrant à ce patient décryptage qu’on peut reconstituer l’évolution de ses idées, la genèse de ses écrits.
La traduction, en tous points remarquable, du volume Ecrits autobiographiques (tome VI des Gesammelte Schriften) est un événement. Car ce sont des pans entiers de la vie de Benjamin qui nous sont ainsi restitués. On ne saurait trop remercier l’éditeur d’avoir conservé l’appareil critique allemand minutieux qui permet de s’orienter dans cet ensemble assez hétéroclite. Tous ces textes sont passionnants, même si l’éclairage qu’ils projettent sur la vie et l’oeuvre de Benjamin est d’inégale importance. Il faut souvent se promener parmi eux comme parmi des ruines, chercher à leur arracher leur poids de vécu et souvent de souffrances, leur secret. C’est d’abord à un inventaire post mortem que le lecteur est convié. Même si les documents les plus importants, Enfance berlinoise (éd. Maurice Nadeau, 1988), la Correspondance, le Journal de Moscou, les notes prises lors des conversations avec Brecht au Danemark, ont déjà été publiés, les textes réunis dans ce volume les éclairent sous de multiples rapports. Les sic curriculum vitae furent rédigés dans des circonstances particulières – le premier accompagnait une demande d’habilitation adressée à l’université de Francfort. Les éditeurs le font suivre du rapport de Hans Cornelius sur la thèse de Benjamin consacrée au Drame baroque, qui justifie sa proposition de lui refuser l’habilitation, et d’intéressantes indications sur le rôle que joua malencontreusement Horkheimer dans cette affaire. Chaque curriculum est un résumé succinct de la formation de Benjamin, de ses intérêts théoriques qu’il reprendra sans grand changement dans les différentes versions. Le second était destiné à obtenir une bourse de l’université de Jérusalem, la destination du troisième est inconnue, le quatrième visait l’obtention d’une aide du gouvernement danois, le cinquième concernait un projet de naturalisation française, le sixième, selon les éditeurs, était destiné sans doute à l’obtention d’une bourse américaine, bien que l’insistance de Benjamin sur ses relations avec les écrivains français, l’exagération de ses rapports avec Rilke, si célèbre en France, fassent plutôt songer à un destinataire français.
Ses journaux intimes sont d’un intérêt très inégal, lié à l’époque de sa vie où il les rédigea, à leur brièveté plus ou moins grande. Le Journal de Pentecôte 1911, le Journal de Wengen, écrits lorsqu’il était élève de l’Haubinda en Thuringe, témoignent déjà d’une étonnante maîtrise du style, d’un goût pour les paysages et les voyages, en dépit de sa faible constitution physique. En lisant ces brèves évocations de la fatigue qui l’assaille après une marche en montagne, comment ne pas songer à son ultime voyage en 1940, pour franchir les Pyrénées, à la description que Lisa Fitko, qui tenta de le sauver, fait de cet homme précocement vieilli, aux lèvres violacées, miné par cette maladie de coeur dont témoignent déjà ses journaux d’enfant. Le récit du voyage qu’il effectua en 1911 dans les Alpes avec ses parents frappe par cette volonté d’associer étroitement les états d’âme et les paysages. Le Journal de 1912 contient d’admirables évocations de l’Italie, de Venise, qui préfigurent ses futurs portraits de Naples et de Capri. Celui de 1927, avec ses évocations des villes de la Loire et des cathédrales, est un témoignage sur sa solitude et sa volonté d’éviter une rencontre avec Scholem. Si les notes de Juillet-Août 1928 ne comptent que quelques pages, celles de 1930 à 1938 contiennent des informations passionnantes sur ses discussions avec Brecht au Lavandou et en Finlande, notamment sur Kafka. Quant à ses notes de Marseille, elles permettent d’entrevoir la décision du suicide qui lentement mûrit en lui.
Le plus souvent, dans tous ses textes, les personnages s’effacent devant les paysages. Et c’est dans les évocations de lieux, de monuments, d’expériences infimes qu’apparaît tout le génie de Benjamin. Ainsi les portraits qu’il fait d’Ibiza, de l’Espagne en 1932, des villages de Finlande égalent par leur beauté les descriptions des jouets et des confiseries en sucre du Journal de Moscou. Associant étroitement ses propres rêves aux paysages, il crée une véritable mosaïque où sa sensibilité rayonne d’un éclat insolite. Non moins insolites sont les deux esquisses Agesilaus Santander, étrange réflexion sur les Anges de la Kabbale et l’Angelus Novus de Paul Klee, à partir de ses prénoms et d’événements biographiques aussi indéchiffrables que le titre lui-même. Scholem, à juste titre y voyait un anagramme, peut-être de Der Angelus Satanas. Plus prudents, les éditeurs évoquent scrupuleusement la vie d’Agesilaus II, roi de Sparte, d’après l’historiographie antique – de Plutarque à Xénophon – pour conclure qu’il n’y a pas le moindre rapport avec ce qu’on sait de ce roi et le caractère de Benjamin, supposant toutefois que son cargo a pu faire escale dans la ville de Santander, mais qu’il n’existe aucun lien entre la ville et le texte.
L’écrit autobiographique le plus important du volume demeure la Chronique berlinoise. Ce récit linéaire que Benjamin fit de son enfance trouve son origine dans un projet de publication régulière d’impressions sur Berlin, pour la Literarische Welt. Benjamin en abandonna l’idée et composa ce récit, sans doute par blocs, en 1931 et 1932. A partir de novembre, il allait en dégager des fragments qui constitueront la matière d’Enfance berlinoise. La comparaison des deux textes est essentielle. Benjamin a retenu dans la seconde version moins de la moitié du précédent. Son travail littéraire s’élabore ici en pleine lumière. Eliminant le subjectif, il n’a conservé que la trame de Chronique berlinoiseque des images, des fragments, qui constituent d’étonnantes cristallisations. Au caractère proustien d’Enfance berlinoise, même si leur conception du temps, du déjà-vu, de la mémoire sont très différentes, s’oppose la relative linéarité de Chronique berlinoisequi évoque de manière assez précise le rapport de Benjamin à Berlin, au mouvement de jeunesse et surtout à son ami Fritz Heinle, dont le suicide en 1914 fut vécu comme une prémonition de la catastrophe à venir. C’est tout un enracinement sociologique et historique du rapport de Benjamin à Berlin qui nous est ainsi restitué, en particulier les épisodes cruciaux de sa participation au mouvement de jeunesse et son amitié avec Fritz Heinle, dont il comparait les poèmes avec ceux de Hölderlin, jugement qu’il fut le seul à proposer. Etrange Berlin que celui qu’il évoque, limité à un ghetto doré, celui de l’Ouest cossu, symbole de sa propre classe, tandis que le reste de la ville ne lui apparaissait qu’à travers d’étroites interstices – les fêtes de Noël où la séparation des riches et des pauvres devient obsédante, la découverte des gares, des marchés et des prostituées. Avant de devenir une figure centrale de sa vision du Paris de Baudelaire, elle fut dans sa jeunesse la possibilité vivante de transgresser les limites de sa propre classe, rêve qu’il nourrit sans cesse. D’où l’importance qu’il accorda à sa maladresse, au pas en retrait qui le sépare de sa mère, résistance rêveuse qu’il élève au rang d’un acte de sabotage.
Ernst Bloch.
L’ouvrage d’Arno Münster consacré aux rapports qui unissent le messianisme et l’utopie chez Ernst Bloch invite à une confrontation évidente de leurs trajectoires et de leurs personnalités. Ce qui les unit est évident : la référence centrale au messianisme et à une philosophie de l’histoire largement marquée par le judaïsme, une lecture « micrologique » du réel, une problématique philosophique commune qui cherche à surmonter l’opposition du sujet et de l’objet, qui marquera aussi bien les efforts du néo-kantisme, de la phénoménologie (Husserl, Heidegger) et de Lukacs dans Histoire et conscience de classe. Dès leur rencontre en Suisse, pendant la guerre de 1914, par l’intermédiaire du dadaïste Hugo Ball, Bloch et Benjamin éprouvèrent une fascination réciproque. Benjamin, à cette époque est essentiellement marqué par Kant, point de départ pour lui de toute philosophie, ses lectures sur le romantisme – des frères Schlegel à Hölderlin – et s’efforce d’élaborer une philosophie du langage en rapport étroit avec ses préoccupations littéraires et religieuses. L’importance qu’il accordait déjà au messianisme et à la catégorie de l’utopie ne pouvait qu’attiser son intérêt pour l’audace théorique dont fait preuve Bloch dans son Esprit de l’utopie(éd. Gallimard, 1977). En même temps, il se sent agacé par certains aspects du livre. Aussi audacieuse qu’elle soit, la théorie de la connaissance de Bloch lui semble parfois peu rigoureuse. Le climat expressionniste dans lequel baigne l’ouvrage hérisse sa sensibilité tout autant que les innombrables références aux Evangiles et à la christologie paulinienne. Aussi admire-t-il beaucoup plus la personnalité de Bloch que ses écrits. Il se montrera aussi sévère à l’égard de son essai sur Thomas Münzer (éd. Julliard, 1964) et Héritage de ce temps ‘éd. Payot, 1978), qui contenait à la fois un vibrant éloge de son oeuvre Sens unique, et une distance critique. Marqué en permanence par l’angoisse du plagiat, la personne de Bloch lui paraissait souvent d’autant plus redoutable que leurs positions philosophiques étaient proches, comme l’attestent les Hiéroglyphes du XIXème siècle de Bloch et le projet de Benjamin des Passages parisiens.
C’est un univers fait de proximité et de différences qu’explore admirablement Arno Münster, le meilleur spécialiste en France et en Allemagne d’Ernst Bloch. Dans une première partie, il montre comment s’est formée la conception blochienne de l’utopie dans l’horizon de la rencontre entre la pensée juive et la modernité. La seconde partie s’attache à l’articulation complexe entre l’utopie et le marxisme, étudie minutieusement les liens contradictoires qui unirent Bloch et Lukacs, amis de jeunesse, qui devaient à la fin des années 20 s’opposer sur les questions esthétiques, en particulier sur le sens politique de l’expressionnisme. Si l’on peut regretter qu’Arno Münster n’ait pas repris dans sa thèse les riches analyses qu’il consacre à la formation de la pensée philosophique d’Ernst Bloch dans son essai Utopie, Messianismus and Apokalypse im Frühwerk von Ernst Bloch (éd. Surkhamp, 1982), la confrontation qu’il tente entre la pensée de Bloch et les conceptions de l’Ecole de Francfort est en tous points remarquable et complète ses études antérieures, en particulier celle de son essai Figures de l’utopie dans la pensée d’Ernst Bloch (Aubier, 1985).
Bloch comme Adorno, dans les entretiens où il évoque Benjamin, insiste plus sur les affinités qui existaient entre leurs styles philosophiques que sur les oppositions. C’est tout le mérite d’Arno Münster, d’avoir si patiemment dans les différents écrits qu’il a consacrés à Bloch, mis en relief leur proximité et leurs différences. Et c’est aussi à une confrontation de leurs enfances respectives – telle que Bloch l’évoque dans Traces ( éd. Gallimard, 1968) que ce volume d’Ecrits autobiographiquesde Benjamin nous convie. Aux impressions si fortes qu’il reçut de la réalité sociale de son époque, de sa misère, à ses rêves d’aventures nés des romans de Karl May s’oppose cette aura de tristesse et de mélancolie qui plane sur les souvenirs de Benjamin. Brassée d’images que le Petit Bossu a conservées de son univers d’enfant, pénombre de l’instant vécu, ces lambeaux de rêve, où le bonheur est si rare, la solitude si profonde, donnent de la vie de benjamin un portrait saisissant à qui veut les déchiffrer.
Jean-Michel PALMIER.
Lectures de Benjamin
La réédition du numéro « historique » de la Revue d’Esthétique sur Walter Benjamin est un événement. Initialement publié en 1981, c’était le premier travail d’envergure consacré à Benjamin en France qui, à travers la diversité des collaborateurs, proposait un éclairage nuancé et d’une grande richesse sur une oeuvre aux dimensions multiples. Délaissant l’approche historique, ce recueil d’études se situait au coeur même de sa problématique et tentait de préciser son rapport à la théorie critique de l’Ecole de Francfort. Peter Bürger analysait quelques aspects de la réception de Benjamin en RFA, Rainer Rochlitz, la conception de la critique littéraire chez Lukacs et Benjamin, Marc Jimenez, le meilleur spécialiste de Th. Adorno en France, les liens qui les unirent. Si l’on ajoute les contributions d’I. Wohlfarth sur le rapport de Benjamin au judaïsme, les textes de Benjamin lui-même, les contributions de J. Habermas, H. Marcuse, on aura une idée de l’importance du volume. Sa nouvelle édition a été actualisée et enrichie de nouveaux textes, dont celui de Marc Jimenez sur le retour de l’aura. La qualité des contributions font de ce recueil un instrument de travail indispensable. L’essai de Daniel Bensaïd se situe dans une toute autre dimension. L’expression de « sentinelle messianique », sous-titre du volume, ne rend pas exactement compte de son contenu. Lecture politique de Benjamin, étayée par l’analyse de ses Thèses sur la philosophie de l’histoire et surtout Les Passages parisiens, c’est une tentative pour souligner l’actualité de Benjamin à une époque où l’on proclame la fin de l’histoire et l’effondrement des idéologies. Loin de se limiter à l’oeuvre de Benjamin, D. Bensaïd s’efforce de réaffirmer la primauté du politique. Sa lecture ne se veut pas un exercice d’érudition, même si son essai témoigne d’une connaissance approfondie des écrits de Benjamin. C’est une tentative au moment où certains semblent désireux d’intégrer ce personnage inclassable au panthéon de la culture, de reprendre une exigence fondamentale de son oeuvre : éclairer de manière radicale la signification politique de l’instant et ce qui le menace.
Jean-Michel PALMIER.
Walter Benjamin, Revue d’Esthétique, éd. Jean-Michel Place.
Walter Benjamin, sentinelle messianique, Daniel Bensaïd, éd. Plon.
Signalons aussi la réédition de l’essai de Benjamin, Charles Baudelaire (éd. Payot)
dont la lecture rend seule possible la compréhension du grand livre sur les Passages.
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