Inventaire de la culture viennoise.

Vienne au tournant du siècle.
Sous la direction de François Latraverse
et Walter Moser.
Editions Albin Michel.

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     Catalogue de l’exposition Vienne, la joyeuse apocalypse, Centre G. Pompidou

Article paru dans le Magazine Littéraire N° 264 – Avril 1989 

Depuis plus de quinze ans, la vieille monarchie des Habsbourg et sa capitale ne cessent de susciter  ouvrages et expositions. Loin de constituer une mode passagère, il s’agit d’un véritable domaine de recherches, parcouru par des spécialistes de toutes disciplines, soucieux d’en analyser la richesse et d’en inventorier l’héritage culturel. Après le catalogue de l’exposition Vienne  au Centre Georges Pompidou (1985), les ouvrages de Carl E. Schorske Vienne, fin de siècle (éd. Seuil, 1983) et de William M. Johnston L’Esprit viennois (éd P.U.F., 1985), une nouvelle étude collective propose d’autres regards, d’autres points de  vue sur l’époque. L’originalité de ce volume, c’est qu’il ne se limite pas à prolonger le travail de documentation déjà entrepris mais soumet aussi la réception des oeuvres et des mythes viennois à une sévère critique : Vienne n’est pas seulement le « laboratoire de la modernité », mais la fabrique permanente de lieux communs et de nostalgies faciles.

Aborder les créations viennoises exige une vision résolument interdisciplinaire. La prodigieuse richesse de cette culture semble défier les historiens. Comment expliquer une telle concentration, une telle diversité, un niveau aussi élevé des productions culturelles. Nul doute que seule une analyse sociale et politique de cette bourgeoisie autrichienne, de ses formes de vie et de culture, mais aussi de l’Empire tout entier pourrait éclairer le phénomène. A moins d’y consacrer une vie, toute étude de cette culture viennoise suppose une recherche collective. Rien d’étonnant donc, si ce volume Vienne au tournant du siècle est issu d’un colloque organisé à Montréal, par l’université du Québec en 1985.

Fin de siècle ou début de siècle ? Peu de participants osent trancher. La plupart préfèrent, à juste titre, souligner l’ambivalence de la culture autrichienne. Et c’est dans la description de cette ambivalence, de ses mécanismes, que le livre est passionnant. On ne saurait trop souligner en particulier la valeur des réflexions de Michaël Pollak sur les origines de la modernité viennoise, d’André Rezler et de Régine Robin sur le mythe de Vienne, de Marc Angenot sur le drame de Mayerling et la production narrative. Les ombres de cette époque – notamment l’antisémitisme – sont clairement mises en évidence par Jacques Le Rider, spécialiste d’Otto Weininger, qui propose de remarquables analyses du thème de l’identité déchirée chez Karl Kraus, et par Régine Robin. On y trouve aussi des aperçus souvent passionnants sur le rôle des revues littéraires à Vienne, la crise de l’éthique et de l’esthétique, l’épistémologie, les relations entre Vienne et Budapest. Il est si rare de voir s’exprimer en France, à propos de Vienne, des auteurs qui connaissent réellement sa culture, que ce volume, clair, dense et précis, mérite qu’on en salue la parution.

Jean-Michel PALMIER.

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