Le mouvement Dada – 6 / 7 -

Dada à Paris : Arthur Cravan, Philippe Soupault, Louis Aragon, Georges Ribemont-Dessaignes, Francis Picabia, Tristan Tzara, Paul Eluard, André Breton.

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N° 4-5 de la revue Dada, Zurich, mai 1919, illustrée par Francis Picabia

Comme l’affirme Hans Richter :  » Les idées de Dada avaient atteint Paris bien avant que Tzara n’y fasse son entrée en 1919, en monsieur dada. » Dès juillet 1914, on peut voir, Salle des Sociétés savantes, l’étonnant one man show d’Arthur Cravan, grand jeune homme blond et imberbe, boxant et dansant en escarpins, tout en insultant le public. Depuis Avril 1912, il dirige la revue Maintenant qui publiera jusqu’à la guerre quatre numéros. Par son ironie et sa provocation, elle n’est pas sans annoncer Dada. Lorsqu’un certain nombre de poètes et d’écrivains novateurs, comme Eluard et Apollinaire, partiront au front, Tzara demeurera lié, pendant la guerre, à certaines de ces personnalités prédadaïstes. Ainsi, Pierre Reverdy et sa revue Nord-Sud, Pierre Albert-Birot et sa revue Sic, qui accueillent très vite des personnalités comme Soupault, Aragon, Breton. Sans doute les écrivains français sont-ils d’abord surpris par l’aventure Dada, mais, dès 1919, Breton, Aragon, Soupault, Ribemont-Dessaignes collaborent au numéro 4 – 5 de Dada à Zurich. Après la guerre, Soupault, Aragon et Breton fondent la revue Littérature. Rapidement, certains dadaïstes y participent à partir de 1917. Il existait déjà parmi ces jeunes poètes, un certain esprit dada, comme en témoigne la correspondance entre Breton et Vaché. Dès 1919, dans Littérature paraît un placard publicitaire pour la revue Dada de Zurich. Picabia publie aussi les numéros 9 et 10 de sa revue 391 à Paris. De New York parviennent des nouvelles sur les actions de Marcel Duchamp et de Man Ray. C’est sans doute Picabia qui propagera à Paris l’esprit dada et c’est chez lui qu’habitera Tristan Tzara à son arrivée. Très vite, Tzara va devenir le pôle d’attraction de toute l’avant-garde parisienne. Littérature organise une matinée le 23 janvier 1920 où sont présentées les oeuvres de Juan Gris, Ribemont-Dessaignes, De Chirico, Léger, Picabia et Jacques Lipchitz. On y récite des poèmes de Breton tandis que Tzara lit un article de journal accompagné de clochettes. Les huées s’intensifient avec la présentation des tableaux de Picabia.

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En 192O, Paul Eluard lance la revue Proverbe

Tzara publie ensuite Dada 6. Bulletin dada, suite de la revue zurichoise, auquel collaboreront Breton, Picabia, Ribemont-Dessaignes, Eluard, Duchamp, Cravan. Une seconde manifestation dada a lieu le 5 février 1920 au Salon des Indépendants. Par la suite, elles ne cessent de se multiplier, mais contrairement aux autres villes, Dada à Paris reste surtout littéraire. Ainsi, Picabia a publié en 1919 deux recueils de poèmes, Poésie ron-ron et Pensées sans langage. C’est aussi dans le numéro 12 de la revue 391 que paraît la reproduction de la Joconde à moustache avec l’inscription L.H.O.O.Q. sous titrée  » Tableau dada par Marcel Duchamp « . En 1920, Picabia fonde encore la revue Cannibale qui passera du numéro 2 au numéro 13 en présentant des dessins mécaniques de Picabia, une peinture sur verre brisé de Duchamp, une sculpture de Man Ray. Dans le même esprit, en 1920, Eluard lance la revue Proverbe. Presqu’en même temps, Breton et Soupault publient « Les chants magnétiques« , magnifiques spécimens d’ »écriture automatique ». L’exposition dada de Picabia (avril 1920) au « Au sans pareil » montre ses peintures réalisées à New York. La même année a lieu l’exposition Ribemont-Dessaignes. En fait, l’année 1920 marque le point culminant du mouvement dada en France comme à l’étranger. En mai, un spectacle de pièces dadaïstes (Paul Dermée, Ribemont-Dessaignes, Breton, Soupault, Tzara, etc.) est présenté devant un public déchaîné. Le 26 mai, salle Gaveau, se tient un festival dada. On y trouve Soupault, Eluard, Ribemont-Dessaignes, Picabia, Aragon, Breton (un revolver sur chaque tempe). Tous les dadaïstes portent sur la tête des tubes et des entonnoirs. Habitué aux manifestations dadaïstes, le public a apporté une grande quantité d’oeufs pour saluer le slogan dadaïste « Dada est le bonheur à la coque ».

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   Affiche du Festival Dada du 26 mai 1920, salle Gaveau à Paris

En mai 1920, la revue Littérature consacre encore un numéro entier au mouvement dada et publie vingt-trois de ses manifestes. Philippe Soupault est alors une des personnalités les plus étonnantes du dadaïsme parisien, par sa capacité à mêler le rêve et la vie. Il demande sa propre adresse aux passants, arrête un bus entre deux stations pour s’enquérir de la date de naissance des passagers, propose aux consommateurs d’échanger leurs boissons, se rend à un dîner où il n’est pas invité, etc.

Pourtant le groupe ne va pas tarder à se dissoudre. Considérant que l’esprit dada est mort, Picabia s’en sépare en 1921, craignant qu’il ne dégénère en système. Breton présente encore Max Ernst au public français le 2 mai 1921. Il expose ses collages, ses dessins et ses peintures. Au cours de cette manifestation, un dadaïste caché dans une armoire insulte les invités, Breton croque des allumettes, Ribemont-Dessaignes ne cesse de crier  » Il pleut sur sur un crâne ». Aragon miaule tandis que Soupault et Tzara jouent à cache-cache.

Bientôt Breton décide de s’en prendre aux personnalités les plus marquantes de l’esprit bourgeois, en organisant le 13 mai 1921, à la salle des Sociétés savantes une « mise en accusation et jugement de Maurice Barrès », ce dernier étant représenté par un mannequin.

En juin 1921 est encore monté un Salon Dada à la galerie Montaigne. Le catalogue reproduit des oeuvres de Arp, Ernst, Duchamp, Ribemont-Dessaignes et des poèmes des principaux dadaïstes. Breton, toutefois, s’est abstenu de même que Picabia et Duchamp. A partir de 1921, les amitiés qui ont été le ciment du mouvement ne vont pas tarder à se rompre, celle de Picabia et de Breton; de Picabia et de Tzara.

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     Invitation au Salon Dada,
galerie Montaigne, Paris, – 1921 -

Dada va lentement s’éteindre vers 1922. C’est à ce moment qu’André Breton décide d’organiser un congrès pour défendre l’esprit moderne. Les mesures assez autoritaires qu’il envisage pour éviter le sabotage du congrès par certains dadaïstes vont entraîner le refus de participer de Tzara. Le comité formé, assez vaste, qui est censé représenter différentes tendances de l’art moderne, publie un texte le 7 février 1922, attaquant notamment Tzara, qualifié d’ »imposteur avide de réclame », en des termes que certains jugeront xénophobes. Tzara est défendu par Ribemont-Dessaignes tandis qu’Aragon soutient Breton. Une rencontre a lieu à la Closerie des lilas et le congrès de Paris est annulé. Les participants sont désormais trop divisés. Quand, après mars 1922, Littérature va reparaître (Breton, Soupault), on n’y trouve plus le nom de Tzara mais ceux de Jacques Baron, René Crevel, Robert Desnos. Lentement la revue en s’éloignant de Dada annonce le surréalisme dont Breton publiera le premier manifeste en 1924.

Jean-Michel PALMIER

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