Dada à Hanovre : Kurt Schwitters
Kurt Schwitters : invitation à une
soirée Merz à son domicile.
Refusé par Huelsenbeck au club Dada berlinois, Schwitters est le type même d’un « dadaïste indépendant ». Déjà connu de Tzara en 1918, il décide de créer son propre mouvement, le Merz, dont le nom n’est qu’un fragment d’enseigne de la Commerzbank qu’il aperçoit de sa fenêtre. Très tôt, il excelle à assembler des billets de tramway, des papiers à fromage, des limes à ongles et des visages de jeunes filles dans le plus pur style dadaïste. Sa vie elle-même est à l’image de son art et l’on cite volontiers son habitude de se laver les pieds dans la même eau que ses cochons d’Inde, de faire chauffer la colle dans son lit et d’élever des tortues dans sa baignoire. André Breton lui-même éprouvera un certain malaise à le voir entasser dans ses poches toutes sortes de détritus destinés à ses tableaux et à ses collages. A la violence provocante des dadaïstes berlinois, il oppose son humour dévastateur et son rire. Il a autant marqué le mouvement dada comme poète que comme peintre. Il organise chez lui des « soirées Merz ».
Page de titre d’Anna Blume, 1919
En 1919, Kurt Schwitters publie dans la revue Der Sturm un poème « Anna Blume », son chef d’oeuvre. Personnification de le jeune fille allemande sentimentale, Anna Blume(« Anna fleur ») sert de prétexte à la reproduction de coupures de journaux, de chansons, de slogans incompréhensibles et d’évocations absurdes où la syntaxe allemande est joyeusement massacrée. L’influence qui semble d’abord avoir orienté son style est celle d’August Stramm, lui-même marqué par le futurisme mais aussi par l’expressionnisme. Schwitters reste longtemps proche des milieux du Sturm . La revue expressionniste publiera d’ailleurs jusqu’en 1924 des textes de Schwitters. Toutefois, à partir de 1923, il soulignera son indépendance en éditant la revue Merz . Il est difficile d’établir comment il est venu au dadaïsme. Tous les textes qu’il publiera dans Merz sont marqués par les mêmes analogies incompréhensibles, les mêmes rythmes et sa passion pour les onomatopées. Ainsi l’évocation d’ »Anna Blume » commence-t-elle par ces mots :
A Anna Fleur. Poème Merz n°1
O toi, bien aimée de mes vingt-sept sens, je t’aime
A toi ! – Tu, de toi, toi à toi, toi à moi. – Nous ?
Cela (soit dit entre nous) n’a rien à faire ici.
Qui es-tu femme jamais dénombrée ? Tu es – es-tu ?
Les gens disent que tu serais -laisse les dire, ils ne savent pas comment
le clocher se tient debout.
Tu portes ton chapeau sur tes pieds et tu te promènes sur les mains,
Sur les mains, tu te promènes.
Hello, tes robes rouges sciées en plis blancs.
Rouge je t’aime, Anna Fleur, rouge, j’aime, de toi ! – Tu de toi, toi à toi
Je à toi, toi à toi, toi à moi – Nous ?
Cela appartient (entre nous) à l’ardeur froide.
Fleur rouge, rouge Anna Fleur, comment disent les gens ?
Concours :
1. Anna Fleur a un oiseau
2. Anna Fleur est rouge
3. Quelle est la couleur de l’oiseau ? [...]
Couverture de la revue Merz n°1, janvier 1923
Couverture de la revue Merz n°2, avril 1923
Couverture de la revue Merz n°4, juillet 1923
Quant à l’Ursonate (1923-1932), elle ressort du domaine de la parodie des formes traditionnelles de l’art. Hausmann y voit « l’imitation d’une sonate classique d’après les lois de l’harmonie ». Elle est construite comme une sonate, analogue par la rythmique et la mélodie, les moyens phonétiques sont, par contre, au service d’une transformation grotesque et joyeuse de l’orchestration classique d’une sonate. Ses toiles reflètent la même passion pour le non-sens et les rencontres d’objets les plus hétéroclites. Toute sa vie, il a visité les boîtes à ordures et les dépotoirs pour y trouver les matériaux de sa création. Son génie, c’est de transmuer les objets les plus triviaux (fragments de bois ou de métal, bourre à matelas, ressorts de sommier, rouages rouillés, vieux journaux et déchets de toutes sortes) en d’invraisemblables collages, rehaussés de teintes bariolées et délavées.
Page de la Ursonate, scherzo -1932 -
Ce sont les mêmes objets qui lui servent aussi à édifier la Colonne Merz, création inexposable et invendable qui s’identifie plus ou moins à sa propre vie. Détruite au cours des bombardements en 1933, Schwitters la reconstruira en exil, en Norvège, en 1940 puis en Angleterre, décorant une grange de ses fantastiques collages. S’il fut méconnu de son vivant, ignoré des marchands de tableaux, parfois peu estimé des autres dadaïstes, sa revue Merz n’en continuera pas moins d’exister après la disparition des autres publications dadaïstes. Jusqu’en 1932, il y publiera ceux qui furent ses amis.
Jean-Michel PALMIER
Merzbau -original de la maison
de Schwitters à Hanovre 1919 -1933.
Assemblage : morceaux de bois, papiers
divers (journaux, étiquettes) métaux
(pièces de monnaie, gonds….) objets
les plus variés.
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