Dada à Berlin : Richard Huelsenbeck, Raoul Hausmann, George Grosz, Wieland Herzfelde, John Hartfield, Walter Mehring, Johannes Baader
Affiche-programme pour la première foire internationale Dada de 1920 à Berlin
Le caractère profondément politisé du mouvement dada à Berlin s’explique tout d’abord par le contexte historique dans lequel prennent naissance ses premières manifestations : celui de l’hécatombe laissée par la guerre, de la crise économique, de l’insurrection spartakiste et de son écrasement. Si, à Zurich, les dadaïstes ne peuvent qu’assister, impuissants, aux ravages de la guerre, à Berlin, ils rêvent d’intervenir dans l’histoire. Dada ne propose plus seulement de choquer la bourgeoisie, mais de rejoindre les rangs des révolutionnaires.
Johannes Baader, tract Le Cadavre vert, distribué le 16 juillet 1919
à l’Assemblée nationale de Weimar.
Avant l’apparition officielle de Dada, son esprit s’annonce déjà à travers les actions d’un certain nombre de jeunes écrivains et artistes aux idées radicales. La censure, interdisant toute revue pacifiste, les contraint à l’exil (Die Weissen Blätter de Schickele) où à une extrême prudence (Die Aktion de Pfemfert). Pourtant, dès 1916, les frères Herzfelde (Wieland, le futur fondateur du Malik Verlag, l’une des plus célèbres maisons d’édition d’extrême gauche des années 1920-1930, et Helmut qui américanise son nom en John Heartfield) publient l’hebdomadaire Neue Jugend (« nouvelle jeunesse ») qui, à partir de thèmes politiques et littéraires, appellent au rassemblement des artistes allemands hostiles à la guerre. Presque en même temps Franz Jung et le peintre Raoul Hausmann dirigent la revue Die Freie Strasse (« La rue libre « ) de tendance anarchisante, à laquelle collaborera aussi Johannes Baader, l’une des figures les plus étonnantes du dadaïsme berlinois.
La revue Club Dada – Berlin -1918
Aussi, lorsque Huelsenbeck se rend à Berlin au début des années 1917, il y trouve un contexte tout à fait réceptif à ses idées. Il publie en mai 1917 dans Neue Jugend » L’homme nouveau » sans toutefois mentionner Dada. Mais dans sa conférence, prononcée en février 1918 à la salle de la Nouvelle Sécession, il relate l’histoire du mouvement zurichois, attaque violemment les différentes tendances de l’art moderne, y compris l’expressionnisme, le futurisme, le cubisme, toutes dépassées selon lui par Dada. La soirée se termine par la lecture de ses Prières fantastiques . En 1918, il organise une autre soirée au cours de laquelle, il lit un manifeste signé de Tzara, Franz Jung, Grosz, Marcel Janco, Huelsenbeck, Gerhard Preiss, Hausmannn, Mehring, pour ne citer que les principaux. Bientôt se crée la revue Club Dada dont les représentants sont scrupuleusement choisis. Le dadaïste de Hanovre Kurt Schwitters, en est écarté à cause de « son côté petit bourgeois ». Parmi les fondateurs du club, on retrouve l’architecte et écrivain Johannes Baader qui se décernera le titre d’Oberdada. Il est vrai qu’il sera à l’origine de certaines des actions les plus spectaculaires du mouvement : il réussit à s’introduire à Weimar dans l’enceinte où l’on s’apprête à proclamer la république, s’affirmant le seul président possible et jetant sur les parlementaires son tract Grüne Leiche (« le cadavre vert »). Il prétend aussi présider le globe terrestre. Par la suite, avec une barbe postiche il se prendra pour Dieu et affirmera volontiers être la réincarnation du Christ. Club Dada sera dirigé par Franz Jung, Hausmann et Huelsenbeck. Grosz n’y participera pas, mais son nom y sera cité. L’essentiel de la typographie et de la présentation est emprunté au style zurichois. En même temps, Dada se voudra politique.
George Grosz: « A ta santé Noske » dessin
pour Die Pleite (La Faillite) N° 3, avril 1919
Si Richard Huelsenbeck, médecin et poète, est le premier à faire connaître le mouvement dada à Berlin, Raoul Hausmann en incarne déjà l’esprit. Le débat pour savoir lequel de deux est le véritable fondateur du dadaïsme berlinois est vain : la dispute des deux protagonistes ne s’achèvera pourtant … qu’en 1962 ! A Berlin comme à Zurich, Dada se veut un » anti-art » et son anarchisme l’écartera, non sans difficultés, du communisme auquel on l’a parfois assimilé. Admirateurs des spartakistes, tentés par le marxisme, les dadaïstes berlinois restent idéologiquement assez divisés. Si les frères Herzfelde deviennent des communistes orthodoxes, Huelsenbeck, Baader, Grosz salueront la conquête de Fiume par Gabriele d’Annunzio comme « un grand fait dadaïste » sans en réaliser le véritable sens politique. Dans un premier temps, George Grosz qui publiera ses célèbres albums de caricatures Ecce homo (1923) et surtout Das neue Gesicht der herrschenden Klasse(« Le nouveau visage de la classe régnante »), tout comme les frères Herzfelde et Franz Jung défendront la perspective d’une révolution sociale. Mais en dépit des affirmations théoriques, les manifestations dadaïstes berlinoises resteront assez proches de celles de Zurich : oscillation entre l’affirmation de l’anti-art et admiration pour l’art abstrait, provocations diverses à l’aide de poèmes composés uniquement de sons et à la typographie délirante, de collages, de photomontages, de caricatures et de dessins ou de toiles ridiculisant les valeurs traditionnelles. A partir de juin 1919 Der Dada sera l’organe officiel du mouvement berlinois. Créée et dirigée par Raoul Hausmann, la revue ne publiera que trois numéros. On trouve au sommaire les noms de Baader, Hausmann, Huelsenbeck, Tzara, Grosz, Heartfield, Herzfelde, Mehring, Picabia, mais aussi ceux de Chaplin, Duchamp, Satie. On y reproduit des tableaux-objets, les célèbres photomontages de Heartfield et Hausmann et les caricatures de Grosz. Tous essayent de traduire à travers un réalisme de la dérision, la cruauté de leur époque. Nul plus que George Grosz n’a peut-être mieux immortalisé cet esprit avec ses dessins qui montrent Gustav Noske, le « chien sanguinaire » fêtant avec la bourgeoisie l’écrasement de la révolution spartakiste, et surtout ses mendiants, ses victimes de la guerre implorant la charité face aux bourgeois à nuque de taureau qui s’empiffrent sous leurs yeux. Multipliant les manifestations individuelles ou collectives, Dada ouvrira un cabaret, à Berlin, où se dérouleront de mémorables soirées. Le public y sera souvent copieusement rossé et insulté. Le club Dada organisera en tout douze soirées et matinées de conférences, d’août 1918 à mars 1920.
La revue Der Dada N° 2 – Berlin 1920
Si quelques revues comme Der Dada connaissent une certaine célébrité ou encore comme Jedermann sein eigner Fussball, publié avec des photomontages de John Heartfield, bien d’autres revues et publications dadaïstes sont aussi l’expression du mouvement (Die Pleite,Die Rosa Brille, Das Bordell, etc.)
Couverture de » A chacun son ballon « ,
Février 1919 réalisée par les frères Herzfelde
En 1920 apparaît un Dada Almanach et, en 1921, Vorwärts Dada (« En avant Dada « ) publié à Hanovre proposera une sorte d’historique du mouvement. Les matériaux rassemblés pour « Dadaco » à paraître chez Kurt Wolff, seront malheureusement perdus. Si le style dadaïste berlinois s’est exprimé surtout par la caricature (Grosz), les collages et les photomontages (Hanna Höch, Hausmann, Heartfield), son esprit a marqué aussi la littérature à travers la critique d’art (Carl Einstein), la philosophie (Mynona c’est à dire Salomo Friedländer), le cabaret « Schall und Rauch » (Grosz et Heartfield) et la chanson (Walter Mehring).
Première foire internationale Dada, le 5 juin 1920 – Berlin
L’apogée du mouvement est atteint avec la première foire internationale dada [Erste internationale Dada-Messe], qui se tient à Berlin le 5 juin 1920 à la galerie du Dr. Otto Burchard. Cent soixante-seize pièces sont présentées dans une salle décorée de slogans du genre « L’art est mort. Vive l’art des machines de Tatline » (« Die Kunst ist tot. Es lebe die neue Maschinenkunst Tatlins » ou » Dada est politique ». Tous les représentants du mouvement, allemands ou étrangers ont été invités et on y trouve Max Ernst, Rudolf Schlichter, Arp, Picabia, Otto Schmalhausen. Portraits altérés, collages, photomontages, caricatures multiplient les provocations : on y voit même le mannequin d’un officier allemand à tête de porc.
Couverture de Dada Almanach, juin 1920
Peu après la foire Dada, paraît le célèbre Dada Almanach reproduisant en couverture la tête de Beethoven à laquelle Schmalhausen a rajouté une moustache. Réunissant des contributions internationales, l’Almanach propose des thèmes de Ribemont-Dessaignes, Picabia, Soupault traduits par Mehring et des manifestes de Tzara. Pour la première fois y apparaissent aussi les noms d’Aragon, Alexander Archipenko, Breton, Cravan, Ribemont-Dessaignes, Sophie Täuber, Edgar Varèse, Igor Stravinski, etc. Il s’agit de l’ultime effort pour ressaisir le sens, les activités d’un mouvement qui s’effondrera bientôt.
Jean-Michel PALMIER.
Hannah Höch et Raoul Hausmann au vernissage de la
première foire internationale Dada -1920 – Berlin
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