Article publié dans les Nouvelles Littéraires N° 2669 du 11 au 18 janvier 1979
Ödon von Horvath
La revanche de l’apatride
Abondamment commentée depuis quelques années en Allemagne, l’oeuvre théâtrale d’Odon von Horvath, commence à franchir le Rhin.
Pendant longtemps oublié, Odon von Horvath est devenu, depuis une dizaine d’années, l’un des auteurs les plus discutés en Allemagne et en Autriche. Ses pièces, comme les matériaux qui éclairent son étrange personnalité, ont fait l’objet de nouvelles éditions. Dans le sillage de Brecht, Wedekind, Sternheim, Toller, Kaiser, son théâtre est l’un des plus joués sur les scènes allemandes. Jusqu’à présent, seules quelques rares mise en scène ont permis au public français de découvrir cet écrivain qui, pour beaucoup, reste un inconnu.
Un heureux concours de circonstances fait coïncider une nouvelle mise en scène d’une oeuvre d’Horvath – Le Belvédère , par le Théâtre Eclaté d’Annecy – avec la publication de la première étude importante sur son théâtre (1). Au moins deux raisons pour redécouvrir – surtout à travers l’excellent essai de Jean-Claude François – une oeuvre et une vie, qui ne cessent de surprendre.
Né en 1901 au sein de la petite noblesse hongroise, Odon von Horvath se reconnaît lui-même comme un produit typique du vieil Empire: magyar, croate, allemand et tchèque. La droite nationaliste puis les nazis, ne manqueront pas d’attaquer avec la plus extrême violence cet « apatride », étranger aux valeurs nationales, qui se permettait de ridiculiser le patriotisme et le chauvinisme et qui avait l’audace de se prétendre » un écrivain allemand « sous prétexte qu’il parlait et écrivait l’allemand depuis son enfance. Ses débuts littéraires sont obscurs. Lui-même affirme avoir oublié ses souvenirs d’enfance jusqu’en 1914. Il connut une certaine célébrité en 1927 avec la création de sa pièce, Révolte à la cote 3018, mais ce n’est vraiment qu’à Berlin que s’affirme son succès et sa carrière d’écrivain. Jusqu’alors il avait écrit des comédies influencées par le style viennois.
Par la chute d’un arbre…
Entre 1928 et 1930, il s’en prend surtout à la petite bourgeoisie allemande. Son roman l’Eternel Philistin est bien accueilli par la critique et ses pièces les plus importantes comme la Nuit italienne (1931) s’inspirent directement des événements politiques, en particulier de la montée du nazisme en Bavière. La même année il obtiendra le prix Kleist pour ses Histoires de la forêt viennoise .En même temps, son oeuvre deviendra désormais l’une des cibles favorites des nazis : les S.A. empêcheront que soit montée Foi, espérance et charité , affirmant – à juste titre – que les oeuvres d’Horvath les ridiculisaient et les dénonçaient comme des lâches et des assassins.
En 1933, il dut quitter l’Allemagne et se réfugier à Salzbourg puis à Vienne. Sans jamais s’inscrire au KDP (le PC allemand), il s’en rapproche souvent lorsqu’il s’agit de lutter pour la liberté et la démocratie. Son théâtre est une gigantesque dénonciation de la bassesse, de la bêtise, du sadisme et des milieux sociaux qui en sont infectés. Il ne se contente pas de critiquer les figures bourgeoises de l’époque wilhelmienne comme Sterheim, mais analyse le processus de fascisation de la petite bourgeoisie, le système de valeurs que les nazis veulent instaurer. Lui, qui ne se reconnaît aucun pays natal, qui traverse les cultures et les langues, saisit avec une rare justesse la médiocrité, la pauvreté du jargon völkisch (populaire raciste) que les nazis tentent de promouvoir dans « la nouvelle Allemagne ».
Condamné à l’exil, mais non au silence, on le retrouve en Autriche, en Tchécoslovaquie, en Suisse, continuant à écrire, s’interrogeant sur le pouvoir qui reste donné à l’écrivain : celui de dénoncer. Emigré, antinazi, il n’a pas renoncé à revenir parfois en Allemagne. Avec un passeport hongrois et profitant de sa non-célébrité, il y séjourne à plusieurs reprises pour voir ce que les nazis en ont fait.
Il fréquente même les spectacles de boxe pour observer le public … Son roman, Jeunesse sans Dieu est l’un des premiers récits sur l’Allemagne hitlérienne qui permette de comprendre ce que signifia pour une conscience – en l’occurrence celle d’un instituteur – ce déchaînement de sadisme et de violence. Ces années d’exil, Horvath les passe dans les plus grandes difficultés. Sous la pression des événements, il s’est radicalisé. Il ne décrit plus les milieux qui peuvent engendre le fascisme, mais le fascisme lui-même. Il fréquente les autres exilés, sans se mêler vraiment à leurs groupes.
Cet homme solitaire, peu connu, fut assurément l’un des critiques les plus virulents de son époque – qui englobe non seulement l’Allemagne de Weimar, l’Allemagne hitlérienne, mais aussi l’Autriche avec son aristocratie et sa noblesse. Odon von Horvath échappa aux arrestations qui suivirent l’incendie du Reichstag, aux attaques des S.A. et aux camps de concentration, pour connaître une mort aussi absurde qu’insolite, qui frappa de stupeur les autres émigrés. Venu à Paris peu de temps avant la parution de Jeunesse sans Dieu, il fut tué le 1er juin 1938 sur les Champs-Elysées, par la chute d’un arbre. Un article nécrologique affirmait : son oeuvre » survivra à la barbarie qu’il a combattue « .
En voici la preuve. Quand ses pièces seront enfin traduites, on découvrira en elles de véritables chefs-d’oeuvres.
Jean-Michel PALMIER.
(1) Histoire et fiction dans le théâtre d’Odon von Horvath. de Jean-Claude François, aux Presses Universitaires de Grenoble.
Critique parue dans Les Nouvelles Littéraires N° 2670 du 18 au 25 janvier 1979
LE BELVEDERE d’Odon von Horvath, Palis de Chaillot – Salle Gémier.
Par le Théâtre Eclaté d’Annecy
Cette pièce d’Odon von Horvath est plus proche des comédies populaires que des drames sociaux qu’il écrira jusqu’à sa mort survenue accidentellement à Paris le 1er juin 1938. Le Belvédère - connu aussi sous le nom d’Hôtel Bellevue -, écrit en 1926 évoque assez peu la situation sociale en dehors d’allusions à la guerre, à l’inflation, à la pauvreté. L’histoire résumée à quelque chose de dérisoire : une fille-mère – mais on n’est pas certain qu’elle ait gardée son enfant – essaye d’obtenir du père à la fois son amour et son soutien matériel. celui-ci s’y refuse jusqu’au moment où il apprend qu’elle est devenue l’héritière de 10 000 marks. Mélodrame ? Aucunement. Car l’action se passe dans un hôtel quasi désert qui abrite pourtant de curieux personnages : une baronne vieillissante, nymphomane et alcoolique, un directeur ancien officier et acteur de cinéma, un maître d’hôtel jadis décorateur, un chauffeur assassin, un baron ruiné et suicidaire. Tous sont soumis aux caprices de la baronne qui en a fait ses objets. Ils discourent, se racontent, se disputent et ce qui les lie, outre le fait de n’avoir pas d’argent et d’en vouloir à tout prix, c’est leur capacité infinie de mentir. Horvath joue admirablement sur cette ambiguïté du mensonge et de la vérité. Rien n’est sûr, tout est possible. dans cette confusion de sentiments où se mélange le cynisme, la jalousie, la passion, la cruauté, il ne demeure rien d’intact sinon l’absence complète de scrupules qui caractérise ces aristocrates, ces bourgeois, ces pauvres que la guerre puis la crise sociale ont rassemblés. La mise enscène, d’une grande sobriété est admirable. Un spectacle à voir absolument qui permet de découvrir le génie de von Horwath.
Jean-Michel PALMIER.
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