Vers un langage des arts autour des années 20
de Georgiana M. M. Colville – Klincksieck – 145 p.; 60 F.
Article paru dans Les Nouvelles Littéraires N° 2650 du 31 août au 7 septembre 1978
Intéressant projet que celui de Georgiana M.M. Colville: décrire la naissance, le développement du nouveau langage qui apparaît dans les premières décennies du XXème siècle. Son étude, malheureusement trop courte, porte surtout sur quelques poètes, quelques peintres et quelques spectacles. De cette fantastique effervescence artistique qui éclate dans toute l’Europe, mêlant le cubo-futurisme, le rayonnisme, le constructivisme, le suprématisme russe au futurisme italien, au cubisme français, à l’expressionnisme, au dadaïsme et à la nouvelle objectivité allemande, elle retient avant tout les liens privilégiés qui ont existé entre certains poètes français et les peintres cubistes, en montrant des les analogies, les rencontres. En fait, les rapports qui existaient entre les différentes avant-gardes étaient d’une rare complexité. Non seulement, par exemple, le terme « Expressionnisme » désignait alors les oeuvres les plus diverses, une toile ayant beaucoup de chances d’être qualifiée de futuriste en Italie, de cubiste en France, d’expressionniste en Allemagne, mais ces mouvements ne cessaient d’interférer. Les peintres russes suivaient avec intérêt les travaux réalisés par les Cubistes, les Expressionnistes furent marqués par le travail formel des Futuristes italiens. Franz Marc et Feininger sont qualifiés d’expressionnistes, mais ils rejoignent parfois l’Orphisme et le Futurisme; Chagall à l’époque est considéré comme expressionniste, si bien que de nombreux historiens, y compris Gottfried Benn, l’un des chefs de file de l’Expressionnisme littéraire, ou Herwarth Walden, directeur de la revue Der Sturm à Berlin, étaient tentés de voir dans les différents courants avant-gardistes européens, autant de versions locales d’une même révolte.
Ce qui frappe aussi, c’est l’étonnante osmose qui s’accomplit entre les différents arts. L’Allemagne est sans doute l’exemple le plus frappant de ce nouveau langage de formes : Barlach est sculpteur et dramaturge, Kokoschka écrit des pièces de théâtre, Trakl peint. Schönberg écrit des poèmes. Les romans des années 20-30 empruntent aux collages dadaïstes, aux techniques de montage du cinéma. Apollinaire est chez lui aussi bien à Paris qu’à Berlin. Cendrars est plus connu en Allemagne qu’en France. Walden rencontre Chagall à Montmartre, expose Delaunay comme Kandinsky. L’auteur de l’étude accorde une grande importance au structuralisme. Ce qu’elle en tire pour son analyse ne convainc pas. On eût préféré, aux résumés de Jakobson, Barthes, Levi-Strauss (chacun présenté en quelques pages !) une étude plus approfondie des oeuvres, poétiques ou picturales, qu’elle mentionne. Mais le projet est passionnant, même s’il demeure très limité et fragmentaire. On consultera avec profit les trois volumes très complets, publiés par le même éditeur sur les formes artistiques autour de l’année 1913 (titre des volumes).
Jean-Michel PALMIER
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