Hitler, un film d’Allemagne de Hans Jürgen Syberberg
Critique parue dans » Les Nouvelles Littéraires » N° 2642 du 29 juin au 5 juillet 1978
Ce nouveau film de Hans Jürgen Syberberg, qui sort en première mondiale à Paris, ne pouvant trouver de distributeur en Allemagne, a de quoi déconcerter, irriter, passionner. Avec lui s’achève la trilogie par laquelle il tente de comprendre, de représenter le destin de l’Allemagne : après son Ludwig, Requiem pour un roi vierge (1972), Karl May ou le Paradis perdu (1975), ce film sur Hitler veut résumer un siècle d’histoire allemande. Il n’y parvient pas, même en sept heures ! Syberberg affirme à ceux qui lui reprochent la longueur du film qu’il faut au moins 90 minutes à Hitchkock pour démonter un meurtre, lui n’en a utilisé que 450 pour expliquer 50 millions d’assassinats. En fait, il ne s’agit aucunement d’un film historique. Rien de comparable avec le si douteux portrait de Hitler réalisé par Johachim Fest. Syberberg a construit à partir de l’Allemagne, des manifestations de sa sensibilité, des figures qui marquèrent son histoire, une sorte de poème, de montage de visions de rêves et de cauchemars qui vise beaucoup plus à suggérer, à faire sentir, qu’à expliquer. Hitler est présent tout au long des quatre parties du film, et il n’y a à son égard aucune complaisance. Son souvenir est évoqué par son valet de chambre, sa voix télescope les images, il est là, obsédant, dans les actualités. Mais Syberberg refuse de faire de lui l’abcès de nos bonnes consciences. Il lui laisse sa chance en le laissant s’expliquer, se justifier. Aussi resurgit-il sous des déguisements multiples, couvert de toiles d’araignées, vêtu en Siegfried, spectre monstrueux sortant de la tombe de Wagner, comme un vampire se nourrissant de sa musique, poupée, pantin, marionnette sur les genoux d’un acteur. Pour Syberberg, Hitler n’est que le cancer de nos démocraties, ce sont elles qui l’ont porté au pouvoir. Il n’est pas seulement un monstre ou l’Antéchrist, mais la somme des désirs du petit-bourgeois. Le Führer n’est pas présenté au sommet de sa gloire, mais à travers les souvenirs de son valet de chambre, qui raconte comment il choisissait ses chaussettes, ses bottes, sa casquette. Absurde, pitoyable, il n’est qu’un individu médiocre et – c’est là peut-être la seule ambiguïté du film de Syberberg – on finit par en avoir pitié, comme d’une chose abjecte et ridicule.
Plus de trente ans après l’effondrement du Reich, que nous dit-il ? Qu’il a gagné. gagné sur toute la ligne, que nous sommes ses enfants, qu’il nous habite comme nous l’avons créé, qu’à côté de ses camps de concentration, de sa barbarie, il faut aligner les nôtres : les violations quotidiennes de la démocratie, la torture légalement pratiquée, la pornographie (de droite et de gauche précise Syberberg), la guerre du Vietnam, les Palestiniens, le terrorisme, Amin Dada. Qu’à l’Est comme à l’Ouest, le mépris des libertés, des droits de l’homme, la barbarie se portent bien. Celui qui, à travers la marionnette d’Hitler dénonce tout cela, c’est Syberberg lui-même, qui avait dix ans à la fin de l’Allemagne hitlérienne et qui développe à travers ce film une vision aussi radicale que désespérée.
Jean-Michel PALMIER
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