Max Pechstein – Deux nus – 1909
Fils d’ouvrier, neveu d’un peintre amateur, Max Pechstein prit des leçons de dessin dès l’âge de 15 ans . Rebuté par l’académisme, il partit étudier à Dresde en 1900 et s’occupe alors de travaux décoratifs. Sa première grande émotion esthétique fut sa rencontre avec l’oeuvre de Van Gogh. Il est invité en 1906 à décorer le plafond de l’Exposition d’art industriel de Dresde; les architectes, choqués par la violence de ses « rouges », les passèrent au gris. Indigné, Pechstein rejoignit le groupe expressionniste Die Brücke et s’initia immédiatement au bois gravé et à la lithographie. Il vivra à Berlin à partir de 1908 et exposera à la Sécession en 1909 des oeuvres qui traghissent l’influence de Van Gogh, Cézanne et Matisse. par la suite, ses toiles seront refusées et il participera à la Nouvelle Sécession de Munich, entrant en contact avec Kandinsky et Franz Marc, continuant à fréquenter les peintres de la Brücke, en particulier Heckel et Kirchner.
Son style allait évoluer au cours de plusieurs voyages qu’il entreprend alors. Après les lacs saxons où il peint avec Kirchner et Heckel, il voyage en Italie et surtout dans les iles proches de la Nouvelle Guinée. Influencé par de nouveaux paysages et surtout l’artisanat local, il s’en inspire et son évolution n’est pas sans rappeler celle de Gauguin. Mais contrairement à lui, cette rencontre n’entraînera pas une modification durable de son style. Après 1914, il multipliera les portraits et les autoportraits, en un style violemment expressionniste, marqué par la traumatisme de la guerre. En même temps s’affirme chez lui une tendance à la décoration ( il exécutera même des vitraux et des mosaïques) et son oeuvre gravée, moins sombre que celle des autres membres de la Brücke, suivra la même évolution. Marqué par les Fauves, il s’éloigne un peu de l’expressionnisme au tournant des années 20. Même s’il affectionne toujours les contrastes de couleurs, l’élément décoratif semble entrer en conflit permanent avec la violence émotive de l’expressionnisme. Il fut exclu de la Brücke en 1912 pour avoir réintégré la Nouvelle Sécession.
Deux nus (1919) semble prolonger cette fusion du corps et de la nature, si fréquente chez les peintres de la Brücke. Pourtant ce thème prend, à travers leurs univers picturaux, des significations très différentes. Il n’y a rien de commun par exemple, entre les nus violents et agressifs de Pechstein et les baigneuses mélancoliques et rêveuses d’ Otto Mueller. On retrouve dans la toile de Pechstein le goût pour ces contrastes de couleurs, constante de l’expressionnisme, surtout de la Brücke. Le style des hachures est directement inspiré de Van Gogh. deux femmes sont allongées sur un tapis rouge. Les corps sont jaunes et massifs, au plus haut point charnels. Nous sommes loin des nus mystiques d’Otto Mueller comme de l’érotisme tourmenté d’ Egon Schiele. Même si les pointes des seins sont rehaussés de rouge, la masse compte plus que le détail. Les couleurs disposées en larges surfaces ou en hachures s’apparentent au primitivisme. Les visages stylisés, esquissés, n’ont aucune expression et s’effaçent devant les corps. L’accent est porté sur les contours, les masses – cuisses, ventres et seins. Le jaune prédomine (comme dans les Tulipes jaunes, Le Drap jaune ). Si l’influence de Cézanne et Matisse est évidente, celle de Van Gogh l’emporte. Toutes les formes féminines de Pechstein ont une robustesse, une sensualité physique qui lui appartiennent en propre.
Dans la plupart de ses toiles, il introduit des éléments de violence et de lutte : opposition de la terre et de la mer, de l’homme et de la nature ou opposition des corps. Il fut noter aussi la position étrange de ces corps. Les deux femmes sont allongées sur le sol. L’une d’elles, étendue sur le côté, semble se reposer et fixe la seconde, dont les jambes écartées découvrent la toison du sexe. L’une des jambes repose sous le corps de l’autre femme. Les poitrines et les ventres développés accentuent l’aspect massif jusqu’à la difformité. L’imbrication des corps et l’ambiguité de la scène suggèrent une trouble sensualité. On remarquera aussi que le regard du spectateur se situe bien au-dessus de la scène, qu’il surplombe les corps, que ceux-ci sont « centrés » au premier plan, par opposition à l’angle formé par les murs qui, eux, semblent fuir. On notera aussi le contraste entre les volumes, les contours, les arrondis des femmes qui s’opposent à l’angle de la pièce et aux motifs triangulaires du fond.
Jean-Michel Palmier