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La peinture expressionniste – Fritz Van den Berghe

Fritz van den Berghe – Généalogie – 1929  - 

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Si l’expressionnisme pictural a surtout existé dans les pays germaniques, la Belgique et principalement la Flandre – où des essais de Wilhem Worringer sur la peinture expressionniste contribuèrent sans doute à faire connaître ce mouvement – n’échappèrent pas à son influence. Paul van Ostaigen utilise le mot vers 1918 et dès 1910-1911, un certain nombre de peintres flamands se reconnaissent dans cette sensibilité. La plupart s’inspirent de Munch, de Gauguin, de Van Gogh, mais surtout de James Ensor et mêlent aux thèmes sociaux, une dimension religieuse souvent visionnaire, à l’image de ces Christ agonisant, Christ insulté, Christ marchand sur les eaux, Christ aux mendiants   peints par le maître d’Ostende. C’est d’ailleurs d’Ensor que se réclament les premiers représentants du mouvement expressionniste belge, Paul Permeke, Gust de Smet et surtout Frits Van den Berghe.

Dans le village de Laethem Saint-Martin, se fixeront plusieurs générations de peintres qui créeront, au bord de la Lys, une sorte d’école expressionniste, assez étrangère aux climats artistiques aussi bien allemand que  français. Dans la plupart de leurs toiles, les frontières entre le symbolisme, l’expressionnisme et même le surréalisme deviennent de plus en plus floues. Sans théorie et sans appartenance précise à un groupe, les peintres de Laethem Saint-Martin mêlent des scènes inspirées de la vie des paysans à des visions de la mort, du tragique, qui les rapprochent d’Emil Nolde, Oskar Kokoschka et Chaïm Soutine, et parfois même de Chagall. Souvent méprisés par les critiques, ils ne seront défendus que par la revue d’avant-garde Sélection  qui fera connaître leurs oeuvres.

Au sein de ce groupe, Fritz Van den Berghe apparaît comme la personnalité la plus marquante. peintre et illustrateur formé à l’académie de Gand où il enseignera jusqu’en 1907, il rejoignit le groupe de Laethem Saint-Martin à partir de 1904, se réfugia aux Pays-Bas pendant la guerre et ne revint en Belgique qu’en 1922. Ami de Max Ernst, de Man Ray, de Fernand Léger, mais aussi de Chagall, de Zadkine, de Dufy et Derain, il commença d’étranges cycles d’aquarelles (La Vie champêtre, La Femme, Les Spectacles  ) où il déforme systématiquement la réalité à partir des procédés expressionnistes. Sombres, morbides, oppressantes, ses peintures vont gagner à partir du début des années 20 de nouvelles couleurs, tandis qu’il explore un monde de fantasmes, d’obsessions, tout en affirmant que ses peintures La Statue qui chante, Le Domaine de l’amour, Le Fumeur, la Jeune Sorcière, Le Fils de la lune, Fleurs de la ville, sont de véritables rêves.

Généalogie  (1929), sa toile la plus célèbre, semble renouer avec le monde macabre et angoissant des squelettes et des masques d’Ensor. Dans une lumière bleu verdâtre surgit un cortège de créatures monstrueuses, engendrées du néant ou du rêve. Trois êtres fantomatiques, véritables morts-vivants, s’avancent légèrement recourbés, nus et grisâtres, étroitement enlacés, portant sur leur dos quatre autres créatures, également nues : trois femmes et un enfant. Les corps sont difformes, les bras raccourcis, les jambes allongées, les visages ne sont que des cagoules aux orbites béantes. Les femmes, parallèlement stylisées – leur féminité n’est visible que par les seins et le sexe esquissés de l’une d’entre elles – semblent flotter dans l’espace, plutôt que réellement portées. L’enfant, foetus monstrueux, tend les bras en avant, comme pour faire peur. La tête de l’un des monstres est complètement effacée derrière le corps de l’une des femmes, comme si elle pénétrait en elle. Les traits du visage ont été esquissés sur le thorax, comme si, sous le poids, la tête s’était aplatie pour se confondre avec lui.

Nul ne sait de quelle généalogie il est question ici. Monstres, créatures de rêves, peuple de fantômes ou de revenants, ils semblent s’être auto-engendrés. On retrouve dans le style de Van den Berghe sa puissance symboliste et ce mystère qu’il a cherché à suggérer dans chacune de ses toiles. On songe à Naissances  (1926-1927) où une créature géante semble accoucher d’un paysage, d’un arc en ciel et d’animaux. Il est impossible de donner un sens précis à ce cortège de monstres. C’est une image de cauchemar et d’épouvante. A cette époque, le style de Van den Berghe pourrait tout aussi bien être qualifié de surréaliste, même s’il se réclame des visions les plus sombres de l’expressionnisme. Il existe d’ailleurs un décalage historique entre les mouvements allemand et flamand. L’expressionnisme a été défendu en Belgique par des revues surréalistes, au moment où l’expressionnisme allemand est entré en agonie. Dans les années qui suivirent la guerre de 1914, artistes allemands et flamands prirent conscience de la communauté de leurs visions et c’est sous l’influence des groupes Die Brücke, Der Blauer Reiter  que se développera en Belgique la passion pour la gravure sur bois.

Jean-Michel Palmier.

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