Paul Klee – Théâtre de marionnettes – 1921-1923 -
Né d’un père allemand et d’une mère suisse, Paul Klee dessina dès son enfance et se passionna pour la musique (son père était le chef de l’orchestre philharmonique de Berne). De 1898 à 1901, il étudia à l’école Knirr de Munich et suivit les cours de F. Stuck à l’Académie des beaux-arts. Après un voyage en Italie (1901) avec le sculpteur Hermann Haller, puis à Paris (1905), il s’établit à Munich (1906). Ses premières oeuvres sont marquées par le Jugendstil et Böcklin, mais témoignent surtout d’un sens ironique qui l’apparente au surréalisme : Le Héros ailé de 1905 fait songer aux oeuvres de Max Ernst. Entre 1906 et 1910, il découvrit les oeuvres de Cézanne et le cubisme, tout en continuant à peindre des aquarelles qu’il exposera l’année suivante (1910) à Zurich, Bâle, Berne, puis en 1911 à Munich. La même année, il s’associa au Blauer Reiter , retrouvant chez les membres du groupe le même souci d’exprimer l’intériorité avec des symboles. L’influence du cubisme devint chez lui de plus en plus manifeste. En 1912, il voyagea à Paris et fit la connaissance de Picasso, Delaunay, Le Fauconnier. En 1914, il voyagea en Afrique avec August Macke et contribua à la création de la Nouvelle sécession de Munich.
Gropius l’appela en 1920 pour enseigner au Bauhaus de Weimar et en 1924, il participa avec Kandinsky, Jawlensky et Feininger au groupe des « Quatre bleus ». A plusieurs reprises, Klee se réclama de l’expressionnisme – il fit même un dessin intitulé « Portrait d’un expressionniste « . Pourtant, son originalité est telle qu’il est difficile de le rapprocher d’une théorie de la peinture ou d’un groupe. Ce qu’il partage avec Kandinsky, c’est cette certitude qu’ il faut partir de l’intériorité pour en tirer la force plastique. Et toute son oeuvre caractérisée par sa calligraphie si particulière, sera fidèle à cette conception de l’émotion, de l’ironie, de l’intuition.
Le Théâtre de marionnettes pourrait être un dessin d’enfant et rien ne l’en distingue fondamentalement si l’on excepte quelques détails. On ne voit qu’une petite fille stylisée, semblable à un graffiti sur un mur, un soleil, une fenêtre, un garçon, un animal, des champignons constitués de teintes fraîches, pastels, évoquant un dessin à la craie, sur un tableau noir. C’est le fond – noir comme un tableau d’écolier – qui donne cette étonnante beauté aux tons. L’élément linéaire l’emporte sur la couleur contrairement à Kandinsky. Paul Klee fut l’un des rares artistes expressionnistes à s’intéresser vivement à ce « primitivisme » que constituent les dessins d’enfants, les peintures de malades mentaux. On retrouve cette même admiration chez Kandinsky, Nolde et Kirchner sans qu’ils aient cherché à en tirer des effets aussi constants que chez Klee. Il tenta de s’absorber dans leur univers, de s’approprier leurs symboles, leur donnant parfois une signification mystique.
Ce n’est qu’en regardant attentivement l’aquarelle, la maîtrise du tracé, l’harmonie des couleurs, la répétition des mêmes motifs que l’on s’aperçoit qu’un artiste s’est substitué à l’enfant. Pourtant, à travers ces dessins qui semblent s’inspirer de graffiti, Klee donne à la ligne « le pouvoir d’atteindre l’infini ».
Jean-Michel Palmier.
Paul Klee – Villa R -1919 -
Les oeuvres réalisées par Klee à partir de 1919-1920 témoignent pour la plupart d’une surprenante fantaisie. Il s’agit souvent de formes aux couleurs harmonieuses, assez vives, qui portent la trace à la fois de sa fascination pour les dessins d’enfants et du cubisme. Ce mélange d’éléments géométriques, de couleurs insolites et d’éléments typographiques est caractéristique de son style à cette époque et annonce parfois les constructions de lignes abstraites des cinq dernières années de sa vie; celles-ci par leur entrecroisement dense et déformé, parviennent à suggérer la crainte, la souffrance, le désespoir à partir de formes abstraites grossièrement dentelées.
Villa R. représente sans doute une maison stylisée au bord d’un chemin rose foncé. La maison semble bizarrement étirée et supporte une construction géométrique (cubes, solides divers, panneaux de couleurs, prismes) opposée à l’étendue sombre qui semble la faire disparaître ou l’annihiler comme maison. Les couleurs vives de cette construction contrastent avec le fond formé de quatre ou cinq nuances de brun. un paysage est esquissé, avec des collines, un soleil-lune jaune citron et une demi-lune verte. de l’autre côté du chemin, au-dessus de plantes stylisées, une lettre R semble barrer la route.
Comme dans la plupart des oeuvres de Klee de cette époque, on retrouve des éléments réels – ici une maison, une route, un paysage – intégrés dans une composition savante de volumes et de couleurs avec usage de la typographie. Son essai Sur le graphisme – et Klee est avant tout un génial dessinateur – est paru n 1918, sa Confession créatrice paraîtra en 1920. Klee donne aux seuls moyens graphiques, la tâche de décrire le monde extérieur. L’artiste doit « recréer le monde » et pour cela une déformation s’impose afin que se réalise « le passage à l’ordre plastique avec ses dimensions propres ». On note ici la transformation du paysage, de la maison, qui sert de base à un démembrement géométrique qui annonce les futurs « quadrillés » de couleur qu’il exécutera plus tard. On y remarquera l’influence du cubisme analytique. De nombreuses toiles réalisées au cours des années 20 (souvent appelées « architectures » ou « harmonies ») accentueront ce jeu d’équilibre avec les cubes, les rectangles de couleur, mais aussi le rapport que Klee établit entre la peinture et la musique, thème que l’on trouve aussi développé par Kandinsky autour du Blauer Reiter. On sera sensible aussi à l’impression de mouvement ou de rotation que suggère parfois la toile : équilibre insolite des volumes et de la maison, fuite de la route, soleil/demi-lune. Enfin, comme dans la plupart des toiles de Klee, sa vision chromatique consiste à aller du plus sombre au plus clair tandis que l’on se rapproche du centre. Dans sa Confession créatrice, il écrit : » Partis de l’abstraction des éléments plastiques, en passant par les combinaisons qui en font des êtres concrets ou des choses abstraites, tels les chiffres ou les lettres, nous aboutissons à un cosmos plastique offrant des ressemblances avec le Grand créateur » – vision démiurgique et mystique que l’on retrouve chez Kandinsky.
Jean-Michel Palmier.
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