La peinture expressionniste – A. von Jawlensky

Alexeï von Jawlensky – Fille aux pivoines – 1909 -

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Fils d’un colonel russe qui l’avait promis à une carrière militaire, Jawlensky fréquenta à partir de 1887 l’Ecole des cadets de Moscou puis l’Ecole militaire avant d’être affecté comme lieutenant en 1884 à Moscou. C’est à cette époque qu’il se lia avec différents peintres et commença à copier les tableaux de la galerie Trétiakov. Afin de poursuivre des études à l’Académie des beaux-arts de Saint-Petersbourg, il demanda sa mutation (1889) et entra l’année suivante en contact avec le célèbre peintre Répine qui lui présenta Marianne von Werfkin, également peintre. Six ans plus tard, il quitta l’armée et vint s’établir avec elle à Munich, fréquentant l’atelier du peintre Anton Azbé où il rencontra W. Kandinsky. Il se rendit à Paris en 1902, participa aux expositions des Sécessions de Munich et de Berlin, exposa au Salon d’automne avec les Fauves, découvrant Matisse. Il travaillera dans son atelier en 1902. Son amitié avec Kandinsky fut la plus durable. Il l’accompagna à Murnau en 1908 et, après les paysages pointillistes réalisés en Bretagne, il exécute des compositions étranges de volumes et de surfaces lumineuses. Ce n’est qu’à partir de 1911 qu’il réalise de surprenants portraits.

La Jeune Fille aux pivoines  , peinte en 1909, illustre les deux conceptions fondamentales de Jawlensky, sa mystique du visage et sa théorie de l’harmonie des couleurs. Exposée à la Nouvelle Association des artistes, cette toile rappelle celle de Beardsley et trahit l’influence du Jugendstil. La jeune fille, représentée de buste, serre dans ses bras contre sa poitrine un bouquet de pivoines rouges. L’une des mains est dissimulée par les fleurs. Les pivoines sont au centre de la toile et elle semble les offrir à la contemplation. Elle-même ne les regarde pas; sa tête, inclinée vers la gauche, regarde dans une autre direction. Les yeux, aux longs cils, sont clos. La construction du tableau frappe d’abord par la violence des couleurs – violence que l’on retrouve dans les toiles de la Brücke  (Nolde, Schmidt-Rottluff) et chez les Fauves. La jeune fille porte une jupe noire, un corsage rouge moucheté de bleu, un chemisier rose, également moucheté de bleu et de rouge, une coiffe en forme de toque, rouge et bleue. Les vêtements par leurs motifs et leurs décorations font songer aux habits de fête d’une paysanne. Les manches sont bouffantes et la jupe ample. Les contrastes de couleurs sont frappants (jaune et noir, noir et rouge, rouge et bleu, jaune et vert) et sont renforcés par plusieurs éléments : l’épais contour des vêtements rehaussé de noir, les taches pointillistes qui mêlent les couleurs et harmonisent en même temps les contrastes, les feuilles vertes des pivoines et les teintes rouges du corsage, le mauve des fleurs et le vert soutenu du fond, les bras et le visage curieusement jaunes. Toutes ces couleurs se retrouvent dans les toiles expressionnistes, mais Jawlensky les utilise ici avec un étonnant équilibre. Les pivoines rouges se dégradent et se confondent avec les teintes du corsage tandis que des taches de blanc annoncent la couleur du chemisier. Le bras droit est d’un jaune rehaussé de vert, de telle sorte qu’ils se confond légèrement avec les feuilles. Le rouge vif du corsage se retrouve sur le chemisier tandis que l’opposition du rouge et du bleu, annoncée par les taches pointillistes, éclate dans les panneaux de la toque. Le visage retient l’attention : le jaune contient aussi des éléments verts du fond (sur le front) tandis que le côté gauche, jaune lumineux, est rehaussé d’une tache rose (corsage et lèvres), le côté droit baigne dans une lumière bleue qui semble venir de la toque. Cet arrangement subtil et minutieux de couleurs en opposition et complémentarité permet cette harmonie chaude constante chez Jawlensky.

Alors que Kandinsky attribue à chaque couleur un sens particulier, presque mystique (cf : Du spirituel dans l’art ), Jawlensky affirme que la couleur permet de « rendre les choses qui existent sans être », de dévoiler leur âme. La couleur crée l’atmosphère, trahit la psychologie, le sentiment. La beauté mystérieuse du visage frappe par sa parfaite exécution et la pureté du trait. On y retrouve les principales couleurs de la toile (jaune, vert, bleu, noir, brun, orangé, rouge). Incliné dans le receuillement et la timidité, le visage découvre sa beauté comme celle des fleurs, tandis que de longs cils noirs contrastent avec la tache mauve de la bouche. Comme dans tous les portraits peints par Jawlensky, les yeux sont l’élément déterminant qui donnent au visage une dimension mystique.

Toujours brillamment colorée, la palette de Jawlensky est avec celle de Kandinsky, la plus harmonieuse, souvent marquée par l’art populaire russe qui tempère la violence du style expressionniste. On y retrouve la trace de Van Gogh et Matisse, de Cézanne et de Holder. Russe, Jawlensky quittera l’Allemagne en 1914 pour la Suisse. De retour en 1921, il se tiendra à l’écart des bouleversements politiques et se réfugiera dans la mystique et la religion.

Jean-Michel Palmier.

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