La peinture expressionniste – Franz Marc -

Franz Marc : Cheval bleu I – 1911 -

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Fils et petit-fils de peintres amateurs, Franz Marc étudia d’abord la théologie et la philosophie avant de se consacrer à la peinture en 1900. Déçu par l’enseignement de l’Académie des beaux-arts de Munich, il fut marqué par le Jugendstil, l’impressionnisme ainsi que Van Gogh, qu’il découvrit lors de son premier séjour à Paris en 1903. Animé par un profond sentiment religieux, il voyait à la fois dans l’art un moyen de créer une nouvelle communauté et de saisir, sous l’enveloppe sensible, l’âme des choses. Influencé par la poésie orientale, il développera à travers son rapport à la peinture comme à la nature une vision panthéistique et mystique.

Ami du peintre animalier français Jean Niestlé, il commença à dessiner des animaux vers 1905. sa rencontre avec le Jugendstil le conduira à s’éloigner d’un naturalisme sentimental pour tenter de construire un univers symbolique de couleurs et de formes animales d’une surprenante beauté, dans lequel il semblera se réfugier de plus en plus. En 1909, il fit la connaissance de Kandinsky, Jawlensky, Werfkin et Macke. Ces amitiés renforceront sa tendance à l’abstraction et sa vision symbolique des couleurs. Il exposera à Munich en 1910 et participera au Blauer Reiter  , continuant à peindre ses animaux aux couleurs si étranges et aux formes si insolites. En 1912, il se rendit à Paris avec August Macke, rencontra Delaunay et s’intéressa au cubisme. De retour en Allemagne sa collaboration avec le groupe Blauer Reiter  s’intensifia et il prendra une part active à l’Almanach.

On ne peut comprendre la passion de Franz Marc pour ses représentations d’animaux sans tenir compte de sa sensibilité mystique. » Très tôt dans ma vie, je trouvais l’homme laid et les animaux me parurent plus beaux et plus propres, mais en eux aussi je découvris des choses laides et inacceptables, c’est pourquoi mon art devint instinctivement de plus en plus schématique et abstrait « , écrivait-il en 1915. Dégoûté par les hommes, il cherche à percer les mystères de la nature dans ces formes animales qu’il élève au rang d’allégories et de symboles. Animaux sauvages ou familiers, il les a peints avec passion, même si c’est le cheval qui l’emporte dans son étrange hiérarchie symbolique. Il les a représentés avec des couleurs souvent fantastiques (Trois chevaux rouges , 1911; Cheval bleu , 1911; Chevaux jaunes , 1912; La Tour des chevaux bleus , 1913). Le cheval symbolise la forme la plus noble de l’univers animal. Le bleu est la couleur du ciel, de l’infini, du divin, du spirituel. A chaque cheval correspond une couleur qui est une émotion. Ici, dans cette toile Cheval bleu I  de 1911, il s’agit moins d’un animal que d’un symbole incarné. Le cheval, vu de face, la tête tournée vers la droite, est jeune. Sa robe bleue claire s’illumine sur le poitrail comme s’il surgissait en pleine lumière, tandis que le bleu sombre de la crinière et des sabots crée des contrastes de lumière et d’ombre. Il s’est arrêté comme après un saut et, à la position des jambes, on devine qu’il est prêt à s’enfuir. Il évolue dans un paysage fantastique de collines, symbolisées par des formes arrondies aux couleurs vives et harmonieuses, assemblées en autant de subtils contrastes comme cette plante, vert foncé, qui semble surgir d’une flaque de sang près du sabot bleu foncé. Ce Cheval bleu  est devenu le symbole d’une génération qui croyait au rêve, à l’utopie, au divin, à la possibilité d’un monde nouveau. C’est l’image qu’exalteront Brecht et surtout Ernst Bloch qui, dans son livre L’Esprit de l’utopie , écrit pendant la guerre de 1914 et si proche de la sensibilité de Franz Marc, cherchera à réconcilier Karl Marx, l’apocalypse et la mort. C’est aussi le « Crépuscule bleuissant » de Trakl, la nuit transfigurée qu’il évoque, semblable à un bouquet de violettes et de gentianes, la « figure hyacinthe du crépuscule », le « bleu gibier » qui garde en sa mémoire le souvenir de l’étranger. C’est en un mot, le symbole de la jeunesse allemande de 1914, qui croyait au pouvoir des symboles et des mots, et qui se reconnut dans l’idéalisme de l’expressionnisme. Franz Marc peindra plusieurs Chevaux bleus , jusqu’à cette célèbre Tour des chevaux bleus  (1913) aujourd’hui disparue.

Lui même trouva la mort dans les tranchées en 1916, dessinant des chevaux blessés sur les carnets de croquis qu’il adressait à sa femme.

Jean-Michel Palmier.

Franz Marc – Le Tigre – 1912 -

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Franz Marc a utilisé plusieurs styles pour représenter son univers de formes animales. Après le naturalisme du début, l’influence du Jugendstil et du néo-impressionnisme, il développe un style expressionniste, en même temps que s’affirme son amitié avec Kandinsky. Le symbolisme de la forme, le lien entre la couleur et l’émotion, l’harmonie surprenante des teintes et leur force symbolique sont typiques du Blauer Reiter . Chaque animal est transformé en symbole, au même titre qu’un personnage humain, et parvient à incarner, comme un visage, la violence, l’amour, l’innocence ou la mort. Dans presque chaque toile, Franz Marc essaye d’atteindre en même temps une fusion de plus en plus complète de la forme animale dans le paysage qui devient lui-même signifiant. Précédant les Formes au combat de 1914 , des paysages, comme celui du Malheureux Pays du Tyrol , où les animaux semblent fuir une invisible menace, deviennent de véritables allégories de l’Europe de 1914.

Entre sa période strictement expressionniste et son évolution vers l’abstraction, Franz Marc connut une phase que l’on qualifia de pré-cubiste, dont Le Tigre  est l’une des plus étonnantes illustrations. Inspirés des croquis effectués par Franz Marc au zoo de Berlin, l’animal comme le paysage sont entièrement constitués de formes géométriques : losanges, carrés, cubes. Le tigre est ramassé, prêt à bondir et semble autant menaçant que menacé. Sa robe fauve est constituée de formes triangulaires, orangées et noires. La tête dans laquelle se concentre toute la violence de l’animal présente un jeu subtil de contrastes entre le beige, le noir et le blanc qui permettent d’accentuer l’éclat jaune et noir de l’oeil réduit, lui aussi, à un losange. La beauté de l’animal est renforcée par le décor aux couleurs violentes : bleu, noir, blanc, vert, rouge et violet.

Cette construction quasi cubiste de la toile témoigne de l’influence du cubisme français que Franz Marc découvrit au cours de son voyage à Paris avec August Macke, mais surtout de ce lyrisme de la couleur et de la forme géométrique qu’ Apollinaire nomera l’orphisme. Une impression menaçante émane non seulement de l’animal, de son attente craintive d’un bruit, d’une présence, mais aussi des formes géométriques aux arêtes acérées qui l’entourent. Ce style permet à Franz Marc d’atteindre une fusion presque totale de la forme animale et du paysage: ils sont indissociables et ce sont les mêmes losanges de couleur qui constituent à la fois le corps du félin et son monde.

On notera l’admirable arrangement de formes colorées qui font penser à autant de scintillements de rubis, de saphirs, d’émeraudes, d’améthystes, de topaze; le groupe formé par l’animal et le décor semblent taillés comme ces pierres précieuses aux facettes multicolores. La forêt est rendue par quelques formes vertes, et le bleu d’une plante fantastique. La cruauté est suggérée autant par la tête menaçante que par les cubes rouges sur lesquels repose l’animal. Le blanc, qui peut représenter une source, contraste violemment avec le rouge sang du sol tandis que tout son corps semble éclairé par le prisme violet qui lui donne un reflet insolite.

Jean-Michel Palmier

 

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