La peinture expressionniste 2/3

Le développement de la peinture expressionniste.

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 Dessin de Käthe Kollwitz

Quel visage offrait la peinture allemande vers 1900 ? Celui d’un monde sans unité où s’affirmait les tendances les plus contradictoires : une tradition idéaliste et romantique demeurée vivante depuis la deuxième moitié du XIX e siècle, une tradition naturaliste qui ira en s’amplifiant et qui semble parfois se conjuguer avec la première. De cette rencontre naîtront toute une série d’oeuvres qui marqueront profondément la peinture allemande vers 1900, celles d’Arnold Böcklin, d’Anselm Feuerbach, Hans von Marées, Franz Stuck et Hans Thomas. Les peintres expressionnistes se sont éveillés souvent à l’art, sous l’enseignement direct ou indirect de ces maîtres (F. Stuck en particulier).
La tendance naturaliste ou réaliste (Menzel, Leibl) semblait au contraire se conjuguer avec l’impressionnisme qui connaîtra en Allemagne un visage particulier, nommé néo-impressionnisme, et dont Max Liebermann, l’un des jeunes artistes qui prirent la défense de Munch en 1892, sera le représentant. Un peu partout en Allemagne, l’académisme était attaqué par ces nouveaux courants, en particulier par le naturalisme et l’impressionnisme, suspects aux  yeux des critiques conservateurs : le premier parce qu’il passait pour socialiste, le second parce qu’il était français. C’est à Max Liebermann (1847-1935) que revient le mérite d’avoir éloigné la peinture allemande des allégories romantiques au profit de l’impressionnisme. A la tête de la Sécession berlinoise, il rassemblera autour de lui des artistes comme Lovis Corinth, Max Slevogt, et fera connaître les toiles de Van Gogh, Cézanne, Toulouse-Lautrec, accueillant des artistes aussi différents que Max Beckmann, Emil Nolde, Kandinsky et Jawlensky. Si l’impressionnisme marqua presque tous les peintres expressionnistes qui se révoltèrent contre lui, le naturalisme coexista avec l’expressionnisme. L’exemple le plus frappant est celui de la célèbre dessinatrice Käthe Kollwitz (1867-1945) qui associera étroitement l’influence de Max Klinger et celle du naturalisme de Gerhard Hauptmann, multipliant les gravures sombres et déchirées sur la guerre, la misère et la faim., héritant en même temps du renouveau de la gravure sur bois expressionniste.
Tandis que l’impressionnisme revenait en Allemagne vers les paysages, nombre d’artistes allemands allaient quitter les villes pour former de petites communautés qui préfigurent celle de la Brücke ou de Murnau en Bavière (1). Ces artistes veulent revenir vers la nature, avec une inspiration assez mystique et évoluent vers une stylisation grandissante. L’expressionnisme puisera à cette source, comme à celle de Munch, de Van Gogh et du Jugendstil.
Il est d’ailleurs très difficile de déterminer avec qui et quand débute réellement la peinture expressionniste. Un certain nombre d’oeuvres, indépendantes, annoncent cette sensibilité : celle de Paula Modersohn-Becker en Allemagne, d’Oskar Kokoschka en Autriche, de Ludwig Meidner, d’Ernst Barlach par exemple, sont authentiquement expressionnistes sans pour autant s’inscrire dans un groupe structuré. Ils sont isolés mais marqués par les mêmes influences (Van Gogh, Cézanne, Gauguin et le Jugendstil), hantés par les mêmes thèmes et leur communauté n’est devenue évidente qu’après coup. Il est impossible de les rattacher à un courant précis, à une école de peinture: chaque oeuvre est à elle-même son propre univers et c’est à partir de la personnalité de l’artiste, de sa sensibilité autant que de son monde social, qu’il faut la comprendre.
En fait, l’expresionnisme n’atteindra sa première célébrité qu’à travers deux groupes et une galerie : Die Brücke, Der Blaue Reiter et Der Sturm.

Die Brücke

Ce groupe, dans lequel de nombreux critiques voient la véritable naissance de l’expressionnisme pictural, exista de 1905 à 1913 (date de sa dissolution). Il naquit de la rencontre des jeunes étudiants en architecture – Ernst Ludwig Kirchner, Karl Schmidt-Rottluff, Max Peichstein, Erich Heckel, Otto Mueller – auxquels s’adjoindra le peintre Emil Nolde. Ils ont en commun une révolte contre l’académisme, les conventions bourgeoises, esthétiques et éthiques, une aspiration à un ailleurs problématique, le rêve d’unir l’art et la vie, et surtout les influence de Edward Munch, Van Gogh, Gauguin et Cézanne. Ils réagissent contre l’impressionnisme, aspirent à un art émotionnel et violent qui puisse traduire leurs images de la vie et leurs angoisses.
Die Brücke naquit en fait de la jonction de plusieurs amitiés : E.L. Kirchner et Fritz Bleyl, étudiants depuis 1900 à l’école technique supérieure de Dresde, travaillaient ensemble depuis 1901. Erich Heckel et Karl Schmidt-Rottluff, s’étaient connus à la même époque à Chemnitz. Les deux groupes d’amis décidèrent de fonder à Dresde une sorte de communauté. Ils se réunissaient dans la chambre de Kirchner, discutaient d’arts plastiques, mais aussi de littérature et de poésie. Bientôt, transformèrent en atelier une vieille boutique près de la gare de marchandises de Dresde-Friedrichstadt, dans la Berlinerstrasse. Tout en travaillant, ils lisent les oeuvres de Verhaeren, Wedekind, Verlaine, Rimbaud, Strindberg. Ils sont tous profondément marqués par Nietzsche et se sentent proches de de la génération de poètes allemands que l’on qualifiera d’expressionnistes : Georg Heym, Else-Lasker-Schüler, Georg Trakl, Franz Werfel. Le nom « Die Brücke «   (le Pont) symbolise leur désir d’aller vers une autre rive, un autre monde. Ils pensaient qu’après l’impressionnisme, qui ne présentait que des fragments de réalité, le moment était venu d’atteindre un nouveau monde visionnaire. Pour parvenir à se faire connaître, ils décidèrent d’exposer en tant que groupe. Ils rédigèrent ensemble l’Odi profanum ,  où ils fixent leurs idées, leurs états d’âme, leurs visions, leurs dessins et les comparent ensuite. Tous étaient inconnus et il n’était pas question pour eux de trouver place dans les expositions officielles. Aucun d’eux, non plus, n’avait véritablement étudié la peinture en dehors de Kirchner. Hostiles à tous les conformismes dans l’art et dans la vie, ils détestent la bourgeoisie dont la plupart sont issus et tentent d’exprimer ce qui leur semble constituer la vérité de leur temps : un certain mélange d’angoisse, de rêve, de désespoir, de révolte, de passion de la vie et une recherche éperdue d’authenticité. Ils affirmeront dans la juxtaposition des couleurs les plus violents – rouge,vert, jaune, bleu – leur attirance pour tout ce qui est « barbare ». Marqués par les Fauves et Van Gogh, ils recevront presque tous une impression très forte des objets, masques, sculptures, africains et surtout océaniens, qu’ils découvriront dans les sections ethnologiques des musées allemands.
Les premières expositions du groupe seront très mal accueillies : si la première, qui se tint dans l’appartement de Kirchner, n’attira personne, la seconde verra son affiche confisquée par la police. Bien qu’elle se soit tenue dans une usine, en même temps qu’une exposition de luminaires, les membres de la Brücke seront insultés par les critiques. On juge leurs oeuvres barbares, laides, brutales. En 1906, la Brücke publia son programme, un appel à la jeunesse allemande à se joindre à elle. Pourtant, en dépit de ce manifeste, les membres de la Brücke resteront encore peu nombreux. Seuls Max Pechstein, Emil Nolde, Otto Mueller ont rejoint le groupe; Bleyl l’a quitté dès 1909. Bientôt le groupe s’adjoindra des membres passifs sur simple adhésion (il en compte soixante-huit en 1910) et en l’espace de cinq années, le groupe parviendra à imposer son style.
Si les idées de la Brücke sont vagues et confuses – révolte anti-bourgeoise, anarchisme, glorification de la vie, admiration pour l’élément barbare, hostilité à l’impressionnisme et au naturalisme, désir de vivre et de travailler en communauté (que l’on trouve déjà dans la correspondance de Van Gogh à son frère Théo), fusion mystique du corps et de la nature – son style par contre est étonnamment homogène. Au niveau de la peinture, il développe très souvent les mêmes thèmes avec une prédilection pour les nus et les paysages, les portraits violents et un certain mysticisme de la nature. Les couleurs sont appliquées en larges touches, assemblées en des contrastes très violents, les contours parfois seulement esquissés, les sujets toujours stylisés. Mais c’est assurément la gravure sur bois qui va rendre Die Brücke  réellement populaire. En effet, cette technique était tombée en désuétude jusqu’à ce que des artistes comme Munch redécouvrent ses possibilités et la Brücke sera l’origine de son prodigieux succès dans les années vingt. Le bois gravé peut même être considéré comme le moyen d’expression le plus authentique du groupe. Il permet de jouer sur les contrastes, d’atteindre une pureté des lignes, une stylisation, une violence des émotions dont Munch avait déjà pressenti la richesse en exécutant lui-même différentes gravures de ses oeuvres. Et il est certain qu’on ne peut rester indifférent à ces visages émaciés, ces bouches déformées par l’angoisse et la peur, ces visions d’apocalypse immortalisées par la Brücke. Par ailleurs, le coût modique du procédé, la possibilité de tirer de nombreux exemplaires de ces gravures sous formes de tracts permirent de rendre le groupe et son style célèbres en Allemagne.
Ce style atteindra sa consécration vers 1912. A partir de cette date, les oppositions et les singularités se manifesteront avec plus d’acuité et à partir de 1913, le style collectif s’effacera devant les nuances personnelles. Un certain nombre d’artistes qui exposeront seuls ou avec la Sécession berlinoise seront exclus du groupe. Seuls Heckel, Mueller, Schmidt-Rottluff demeureront étroitement liés, tout en s’exprimant désormais à travers des visions personnelles très différentes. En même temps qu’il devint célèbre, le groupe éclata et se dispersa avec la guerre de 1914. Leurs oeuvres seront violemment prises à partie par les nazis entre 1933 et 1937 et détruites comme « art dégénéré ».

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Affiche de Kirchner pour Die Brücke 

Der Blaue Reiter (le Cavalier bleu)

Considéré comme le second groupe de peinture expressionniste, Der Blaue Reiter  se constitua pendant la guerre de 1914. Sa fondation est peu compréhensible sans tenir compte de l’intense activité artistique qui se développait à Munich depuis la fin du XIXe siècle. La première Sécession y naquît en 1892, la revue Jugend popularisa à Munich le Jugendstil. C’est grâce à elle en particulier que fut organisée, en 1893, l’exposition qui présentait les oeuvres de Millet, Courbet, Corot, Böcklin, Libermann. Le ghetto artistique de Munich, Schwabing, attira de nombreux peintres  et écrivains. Kandinsky, Marianne von Werefkin s’y installèrent en 1896. Jawlensky y séjourna aussi. Tous se rencontreront à l’atelier D’Anton Azbé ou à celui de Franz Stuck. F. Wedekind, R.M. Rilke, E. Toller, L. Feuchtwanger, B. Brecht, Thomas Mann enfin vécurent à Munich.
A l’origine du groupe on trouve la personnalité étonnante de Kandinsky qui reçut une formation dans l’atelier d’Azbé (1859-1905). Quelques années plus tard, les amis de Maïakovski, les frères Bourliouk, fréquenteront le même atelier.  En 1901 naquit le groupe Phalanx qui se proposait de réunir de jeunes artistes et de les exposer. Kandinsky, président du groupe, dessinera même l’affiche de l’exposition. Bientôt, il sera élu membre de la Sécession berlinoise et ouvrira à Munich sa propre école de peinture. Les critiques sont immédiatement sensibles à la beauté de ses harmonies de couleurs et acceptent très vite ce style, contrairement à celui de la Brücke. Entre 1904 et 1909 différentes expositions, organisées un peu partout en Allemagne, vont permettre une rencontre des différentes tendances des avant-gardes européennes et surtout des courants expressionnistes. C’est en 1903 que Kandinsky a peint son Cavalier bleu, qui plus tard, donnera son nom à l’association avec Franz Marc et à l’Almanach.
Les rapports entre les différent groupes d’artistes sont alors très étroits. Russes, Français, Allemands, cubo-futuristes, expressionnistes, exposent ensemble à Munich. La presse conservatrice réagira souvent négativement à ces expositions de l’avant-garde européenne et c’est à cette occasion que Franz Marc, qui rejoignit le groupe en 1911, prit sa défense publiquement. L’unité de ce groupe allait bientôt se rompre, suivant en cela le même processus qui a conduit à la formation, un peu partout en Allemagne, de Nouvelles Sécessions – viennoise, munichoise, berlinoise. En 1911, l’opposition entre Erbslöh, Kanoldt d’une part et Kandinsky et ses amis d’autre part est devenue si manifeste que le jury de l’Association refusera d’accepter la toile de Kandinsky Le Jugement dernier à cause de son abstraction. Kandinsky, Gabriele Münter, Franz Marc, A. Kubin se regroupèrent alors autour du Blaue Reiter.
Franz Marc fut responsable de l’organisation de la première exposition du Blaue Reiter  qui s’ouvrit le 18 décembre 1911 à Munich. Le titre de l’exposition était inspiré non seulement de la toile de Kandinsky, mais d’un Almanach  auquel ils travaillaient depuis avril 1911. Parmi les artistes présents à cette exposition se trouvaient Henri Rousseau, A. Bloch, D. et V. Bourliouk, H. Campendonk, R. Delaunay, A. Schönberg, E. Epstein, E. Kahler, A. Macke, G. Münter, J-B. Nieslé. Contrairement à la Brücke, il n’exista jamais la moindre unité entre les membres ou les invités du Blauer Reiter qui ne constitua ni une école ni un mouvement, tout au plus une rencontre éphémère d’artistes réunis par les mêmes préoccupations. Lors de la première exposition, on trouvait rassemblées des toiles abstraites de Kandinsky, les formes animales symboliques de Franz Marc, mais aussi les oeuvres de Macke, de Campendonk, de Bourliouk qui n’avaient guère de rapports entre elles. Celles de Delaunay étaient d’une particulière importance et influencèrent tout le groupe d’artistes  de Munich. Cette première exposition circula dans toute l’Allemagne et aboutit, à Berlin, à la galerie Der Sturm , dont ce fut la première exposition. L’année 1912 fut sans doute l’une des plus intenses du groupe : outre  les réactions picturales, Kandinsky publia son essai Du spirituel dans l’art  au printemps 1912 et en même temps parut au Piper Verlag l’Almanach du Blaue Reiter.
La seconde exposition qui s’ouvrit en mars se limitait à des dessins, des gravures, des aquarelles, et présentait aussi bien des oeuvres allemandes, françaises ou russes, allant de l’expressionnisme, au cubisme, au rayonnisme et au suprématisme. Ce fut toutefois la publication de l’Almanach du Blaue Reiter  qui constitua l’évenement le plus important.
Dès 1910, Frantz Marc avait songé à une publication qui établirait un rapport entre l’art moderne et certaines formes artistiques anciennes. Le titre projeté était alors Blaue Blätter  (feuilles bleues). Kandinsky partageait aussi cette intention puisqu’en 1912, il déclarait songer à un almanach qui réunirait les peintres et les musiciens, abolirait les frontières des arts, l’ancien et le nouveau, celui des artistes et des enfants, des civilisés et des « barbares ». Durant l’année 1911, Marc et Kandinsky réunirent des matériaux, s’adressèrent aux membres de la Brücke alors à Berlin, tandis qu’August Macke fournissait le matériel ethnologique et Kandinsky les documents sur l’art populaire russe. Ainsi, dans cet Almanach , Marc et Kandinsky voulaient-ils montrer les liens qui unissaient les tentatives de l’avant-garde  allemande à toute une série de traditions qui avaient en commun d’innover et de « refuser de copier la nature ». On trouve parmi les reproductions de l’Almanach , beaucoup d’oeuvres non conventionnelles : peintures sur verre bavaroises, art populaire allemand et russe, bois gravés gothiques, enluminures de manuscrits, tapisseries, peintures chinoises, masques africains, sculptures précolombiennes, tissus, dessins d »enfants. Parmi les artistes présents, figurent tous ceux qui avaient été exposés au Blaue Reiter , mais aussi Gauguin, Van Gogh, Cézanne, Rousseau, Picasso, etc.
La volonté de briser toutes les frontières géographiques, historiques hiérarchiques de l’art est partout affirmée: l’Antiquité voisine avec l’art moderne et les décorations paysannes avec les oeuvres abstraites, les dessins d’enfants avec les gravures populaires, les sculptures océaniennes ou les masques africains. Des essais-programmes étaient intercalés entre les illustrations. On y trouve notamment des textes sur la question de la forme, les rapports entre la peinture et la danse, ou la musique, des réflexions sur la couleur. La rédaction du second volume de l’Almanach  sera empêchée par la guerre de 1914. Kandinsky retournera en Russie, Franz Marc sera tué à la bataille de Verdun, A. Macke trouvera la mort également en 1914.
Qu’y-a-t-il de commun entre la Brücke et le Blaue Reiter ? Alors que le style de la Brücke est assez unitaire surtout au début, les individualités éclatent au sein du Blaue Reiter . Il est parfois difficile en voyant telle ou telle gravure de la Brücke  de savoir immédiatement qui en est l’auteur. On se demande au contraire ce qu’il y a de commun entre Franz Marc, W. Kandinsky et Paul Klee. Enfin, alors que les idées de la Brücke  sont peu structurées, celles du Blaue Reiter  constituent une véritable charnière théorique, avec des prolongements esthétiques au niveau des différents arts, mais aussi mystiques et métaphysiques (ainsi les réflexions de Kandinsky sur la forme et la couleur).
Par la suite, les participants du Blauer Reiter  persévéreront chacun dans leur style, tout en restant proches comme en témoignent la réunion au Bauhaus  de Klee, Kandinsky et Feininger, mais aussi leur association avec Jawlensky sous le nom des « Quatre Bleus « .

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W. Kandinsky : Couverture de l’Almanach du Blauer Reiter 1911-1912

Der Sturm (L’orage, l’assaut)

Der Sturm n’est pas un groupe expressionniste, mais une galerie et une revue, qui jouèrent un rôle fondamental non seulement dans la diffusion et la défense de la peinture expressionniste,  mais même de l’art moderne en général. A la question : « Qu’est-ce que le Sturm ? » August Stramm répondait : « Le Sturm , c’est Herwarth Walden ! »De son vrai nom Georg Lewin, Walden d’abord musicien devint critique d’art et marchand de tableaux. Voyageur infatigable, toujours en quête de nouveaux talents, il attira à Berlin, à la fois comme collaborateurs et dans ses salles d’expositions tous les artistes que l’on considère aujourd’hui comme les plus novateurs des années 1900-1920. Le Sturm  qu’il rédigea souvent du premier au dernier numéro s’inscrit parmi les grandes revues expressionnistes au même titre que Die Aktion de Franz Pfemfert ou Die Weissen Blätter  de René Schickelé. Son histoire est aussi complexe que celles des polémiques qui s’y déroulèrent. Dans sa galerie se rencontrèrent la Brücke  et le Blaue Reiter  avec Kokoschka, les futuristes et tous les artistes appartenant aux courants d’avant-garde européens. Jusqu’en 1921, le Sturm  organisa au moins cent une expositions. Il faut mentionner que le Sturm  ne fut pas seulement un lieu d’exposition et d’expression théorique, mais qu’il déploya aussi une importante activité théâtrale en faisant représenter aussi bien les drames de Kokoschka que ceux d’August Stramm ou encore La Sonorité jaune  de Kandinsky. Proche de la gauche communiste à partir de la fin des années 20, Herwarth Walden, réfugié en URSS après 1933 avec de nombreux anti-fascistes allemands, y trouva la mort en octobre 1941, après son internement dans un camp près de la Volga, à l’époque des purges staliniennes. On ignore tout des raisons de son arrestation.

Jean-Michel PALMIER

(1) Où séjourneront Kandinsy et ses amis.

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La revue Der Sturm

Extrait de Retour à Berlin de Jean-Michel Palmier page 46-47

Exposition Die Brücke

 » Au premier étage d’un grand immeuble de la Hardenbergstrasse, une galerie a organisé une rétrospective Die Brücke. La salle d’exposition est pratiquement vide. Pourtant en regardant les toiles, les lithographies de Pechstein, Otto Mueller, Nolde, Kirchner, on ressent la même émotion, comme si on les voyait pour la première fois. Les gravures et les toiles de Kirchner sont sans doute les plus étonnantes. Ses scènes de rues – ruelles pauvres, tristes et sordides -, larges avenues où se pressent des femmes élégantes, scènes de café – sont toutes fascinantes. Ce sont autant d’images du Berlin des années 30 comme les gravures de Grosz, les portraits de Beckmann. Mais le désespoir de Kirchner est sans doute le plus profond. Il n’ y a que les gravures de Käte Kollwitz qui expriment une telle détresse. Kirchner s’est suicidé après son départ d’Allemagne, désespéré par la situation politique. Avec Brecht, Grosz et quelques autres, il est de ceux qui ont vécu le plus tragiquement les contradictions sociales de ce temps. »

Jean-Michel Palmier

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