Article paru dans Les Nouvelles Littéraires du 30 octobre au 6 novembre 1980 – N° 2760
Extrait de Woyzeck de Georg Büchner
Ses contemporains le trouvaient « malsain, immoral, et politiquement dangereux ». Pourtant Georg Buchner n’a cessé d’être joué, surtout dans les périodes troublées. Woyzeck, son œuvre maîtresse, est actuellement donnée à la Cartoucherie.
Etrange et fascinant destin que celui de l’œuvre de Georg Büchner. Inconnue de son vivant, chaque génération n’a cessé de la réinterpréter et de se reconnaître en elle. S’il fallait écrire l’histoire de son influence, ce serait avec le sang de nos espoirs déçus, de nos cauchemars et de nos rêves.
Né en 1813, au moment de la bataille de Leipzig, tandis que se joue le sort de Napoléon et celui de l’Europe, Büchner est issu d’une vieille famille de médecins et de notables. Etudiant en médecine, il se passionne pour les idéaux de liberté et d’égalité de la Révolution française. Il participe activement à la Société des droits de l’homme, rédige un célèbre tract politique, le Messager Hessois, qui proclame « Paix aux chaumières, guerre aux châteaux » (tout en pensant que l’Allemagne n’est pas mûre pour une Révolution). Dénoncé, Büchner vivra désormais dans l’angoisse des perquisitions policières et de l’arrestation. C’est en attendant de fuir à Strasbourg qu’il rédige la Mort de Danton, à l’âge de vingt-deux ans. Au cours de l’hiver 1837, il meurt du typhus à Zurich, après une rapide et violente maladie, laissant un récit, Lenz, une comédie, Léonce et Léna, une tragédie, la Mort de Danton, et un drame inachevé, Woyzeck. Le destin de l’œuvre de Büchner fut des plus précaires. De son vivant, aucune pièce ne fut jouée, et il dut cacher ses manuscrits. Comment comprendre que cent cinquante ans plus tard il nous bouleverse autant ? Car c’est un fait que Büchner est absolument moderne. A son époque, il ne trouva qu’un désert. Le théâtre fut pour lui une mission, le rêve de donner à son temps une nouvelle conscience. La politique ? Un drame absolu. Lui-même est, d’une certaine manière, présent dans toutes ses œuvres, avec son angoisse de la mort, son obsession du temps. Ses contemporains ne virent en lui qu’un auteur malsain, macabre, immoral, aux idées politiques dangereuses. On lui reprocha une certaine cruauté, qui va croissante de la Mort de Danton à Woyzeck, une conception de l’Histoire et de l’existence qui décèle partout le mal absolu.
Assez curieusement, Büchner ne fut vraiment découvert qu’au lendemain de la guerre de 1914. Mais ce furent les expressionnistes qui devaient le rendre populaire. Avec son pessimisme, sa passion et sa foi, il leur apparaissait comme un frère lointain. Paradoxe de son influence : Brecht lui-même, qui fut pourtant l’un des adversaires les pus farouches de la sensibilité expressionniste, se réclamera aussi de lui. En France, le destin de Büchner fut plus étrange encore. La Mort de Danton fut radiodiffusée en 1929 et 1934, mais elle deviendra célèbre en 1953 dans la traduction d’Adamov. La même année parut le Théâtre de Büchner à l’Arche. Léonce et Léna avaient déjà été traduits en 1924 et 1931. Lenz en 1937. Jean Paulhan lui-même s’y est intéressé. Toutefois, Büchner ne fut vraiment monté qu’après la guerre. Woyzeck devait, selon Artaud, prendre place dans le théâtre de la cruauté, créé avec Blin et Barrault, mais non réalisé. Il faudra attendre 1946 pour voir monter Woyzeck au Vieux Colombier par André Reybaz puis Claude Vernier. La Mort de Danton faillit être montée à l’époque du Front Populaire à la demande de Léo Lagrange, mais ne fut jouée qu’en 1948 et 1953 par Vilar au TNP. Avec la compagnie Vincent-Jourdeuil et Rosner, l’œuvre de Büchner rencontra en France une nouvelle audience. Woyzeck, qui sort de l’ombre à chaque époque de crise, s’empare à nouveau de notre imagination.
Jean-Michel PALMIER
WOYZECK de Georg Büchner par le GRAT Théâtre de l’Aquarium- Cartoucherie
Büchner, fauché par le typhus, à vingt-deux ans, en 1837, n’a jamais achevé Woyzeck. Il a laissé quatre manuscrits, qui selon les époques et les metteurs en scène, furent interprétés différemment. Certains, dont Alban Berg dans son opéra, y virent un discours sur l’oppression, d’autres un fait divers. A son tour, Jean-Louis Hourdin nous propose « sa » lecture (inspirée de la traduction de Jean Jourdheuil et Sylvie Muller). Il a voulu faire de Woyzeck une pièce populaire. Il nous raconte, par fragments, et dans une ambiance de foire, avec bonimenteur, nain, monstre et orchestre, l’histoire d’amour entre Marie, la belle, et Woyzeck, la tête dans l’utopie. Woyzeck cultive la folie, pour être libre. Il en mourra, après avoir tué sa belle qui l’a trompé. C’est clair, c’est beau. Il faut voir le Woyzeck de Hourdin.
B.S.
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