Article paru dans les Nouvelles Littéraires du 31 janvier au 7 février 1980 N° 2722
Salut nazi lors des jeux olympiques de 1936 à Berlin
« Les jeux Olympiques de l’été 1936 approchent, et pourtant la joie ne règne pas parmi les milliers de sportifs du monde entier. Désillusion, méfiance, et doutes sur l’utilité d’un voyage à Berlin ont fait surgir d’âpres débats dans presque tous les pays. » C’est par ces mots que s’ouvre la petite brochure éditée à Paris en mai 1936, aux Editions universelles, intitulée Olympiades à Berlin ? La couverture montre un sportif allemand lançant le javelot. En surimpression, on voit un soldat lançant une grenade. Qui la rédigea ? Un certain « Baker », pseudonyme derrière lequel se cachaient des antifascistes allemands émigrés en France.
Hitler affirme : « bientôt tous les jeux auront lieu à Berlin »
Ils n’étaient d’ailleurs pas les seuls à éprouver quelque inquiétude sur l’opportunité de se rendre à Berlin en faisant semblant d’ignorer que l’Allemagne était soumise à un régime de terreur, que plusieurs milliers de personnes étaient – déjà – enfermées dans des camps, que trois ans avant on avait contraint à l’exil des centaines de poètes, d’écrivains, d’artistes dont les œuvres avaient été brûlées dans des cérémonies d’un mysticisme et d’une barbarie dignes du Moyen Age. Le chef du mouvement syndical anglais, Walter Citrine, avait publié une brochure contre l’Olympiade hitlérienne. Une grande partie des sociétés sportives américaines refusaient de s’y rendre. En Scandinavie, en Tchécoslovaquie, des journaux et des organisations politiques demandaient le transfert des jeux dans un autre pays. L’Espagne républicaine affirmait qu’il s’agissait d’une caution apportée au fascisme, une insulte à ses martyrs. Seuls, le Japon, l’Italie, la Pologne, la Hongrie soutenaient le bien-fondé de la tenue des prochains jeux à Berlin.
Du type Nuremberg
Lorsqu’en 1928 Berlin avait été choisi pour recevoir les Jeux, il s’agissait de la capitale d’une république en proie à des convulsions sociales et politiques dont nul n’ignorait l’ampleur. Mais en 1936, Berlin symbolisait le triomphe de la barbarie. Aussi le Secours rouge international multipliait-il les appels pour que l’Allemagne ne puisse transformer les jeux en un spectacle de masse du type des rassemblements de Nuremberg.
8000 espions ont été recrutés
On rappelait que le sport y était considéré comme une préparation militaire, que les sociétés sportives qui avaient refusé la mise au pas imposée par le régime avaient été attaquées par les SA puis interdites, que les athlètes juifs avaient été exclus et condamnés à l’exil.
Hitler avait immédiatement compris tout le parti que son régime pouvait tirer d’une telle manifestation. Déjà des affiches nazies recouvraient les murs de Berlin, affirmant que « le Führer appelle la jeunesse du monde ». Goebbels multipliait les mesures destinées à assurer aux Jeux un parfait déroulement : 8000 espions furent recruter pour surveiller les étrangers, les hôtels étaient invités à établir des rapports sur leurs clients et à les transmettre à la Gestapo, qui, par précaution, arrêta tous les éléments douteux susceptibles de ternir l’image qu’il s’agissait de donner de l’Allemagne. Par trains spéciaux, on fit venir des milliers de SA et des membres du parti nazi afin de tenir le rôle du « public enthousiaste » tandis qu’on refusait aux ouvriers le droit d’acheter des billets dans leurs entreprises : c’est encore le parti nazi qui se transformait gracieusement en agence sportive.
Gigantesques statues
La mise en scène imaginée par Hitler lui-même fut grandiose. Les Mémoires d’Albert Sperr et d’Arno Breker, architecte et sculpteur, qui collaborèrent activement à ce spectacle, sont là pour en témoigner. Pour l’occasion, Berlin est donc rénové et décoré. On redore même le quadrige de la porte de Brandebourg ; On construit un stade monumental non loin de l’ancien palais de Charlottenburg, capable d’accueillir 150 000 personnes, une piscine. Toutes les industries allemandes participent à cet effort. La radio et la presse stimulent l’ardeur des Berlinois. En même temps qu’on réquisitionne 5200 voitures particulières, on orme en toute hâte 30 000 interprètes.
Les Français applaudis
Dans les journaux étrangers, on peut admirer les grandioses réalisations du III° Reich : Arno Breker est chargé d’ériger les gigantesques statues qui décoreront le stade olympique et proclameront la gloire du nouveau régime. On insiste même sur le confort moderne, dont tous bénéficieront grâce à l’ardeur du Reich et de son führer qui, écrit encore A. Breker, « voyait en cette gigantesque réalisation une configuration exceptionnelle de sa propre destinée politique ».
Pendant ce temps Barcelone est bombardée
D’ailleurs, n’affirme-t-il pas que bientôt les jeux Olympiques se tiendront toujours à Berlin ? L’admiration suscitée par les préparatifs des Jeux est si grande que l’on néglige les autres photographies qui, dans la presse, voisinent avec celles des chantiers : Barcelone et d’autres villes espagnoles bombardées….
Le 1er août 1936, à 12 h 45, le dernier porteur de flambeau arrivé à Berlin remonte l’axe pompeux qui mène au stade. Les drapeaux nazis claquent au vent. L’avenue est décorée de flambeaux. Hitler apparaît au milieu du corps diplomatique.
La délégation française fait le salut nazi.
Quand il déclare ouverts les Jeux, 120 000 bras se lèvent et hurlent : « Heil ! Heil ! Heil ! », Tandis que retentissent la Marche du serment de Wagner, puis l’hymne nazi. Cinquante et une nations ont envoyé leurs représentants. La Grèce marche en tête, selon la tradition. Les nazis ont planifié jusqu’au taux d’applaudissement : assez réservés pour les Américains, délirants pour les Français. Il est vrai que l’équipe française se surpasse. Laissons encore la parole à Arno Breker : « Ils pénétrèrent dans l’arène en faisant le salut hitlérien. Ce geste arracha le public des bancs. Une clameur tempétueuse, reprise en échos, lui répondit. Le geste avait été spontané et avait surpris tout le monde. » Regardez Jules Noël qui porte le drapeau : il sera tué quatre ans plus tard, en mai 1940, au cours d’un assaut. On ne peut nier non plus que Hitler ait tenu à rassurer son monde : on a réintégré dans les équipes quelques athlètes juifs et même le docteur Theodor Lewald, président du Comité international olympique, a été toléré, bien que sa grand-mère soit juive. La générosité des nazis est telle qu’ils ont même songé, sur les conseils du Comité international olympique, à retirer pour la durée des Jeux les pancartes antisémites proches du stade et celles qui interdisaient aux juifs de s’asseoir sur les bancs. Seules quelques mauvaises têtes comme Judith Deutsch, Philippe de Rothschild, Jean Rheims, Albert Wolff se sont obstinées dans leur refus de participer aux épreuves à Berlin.
De beaux souvenirs
Il est vrai que ces Jeux comporteront quelques ombres : ainsi ce mulâtre Jesse Owens qui s’obstine à l’emporter sur des athlètes aryens. Mais quand Tilly Fleischer remporte la victoire du lancer de javelot, les hurlements se déchaînent. La chorale entonne Deutschland über alles de ses 12 000 voix. Hitler exulte, tandis que Goebbels et Göring embrassent la jeune fille et que les hauts parleurs installés dans toutes les rues de Berlin célèbrent la victoire des « athlètes du III° Reich ». Le lanceur de poids Woellke, recordman olympique, agent de police de son état, est promu immédiatement lieutenant, en récompense. Pendant plusieurs jours, le monde entier sera témoin de cette grandiose fête que le Reich s’est offerte à lui-même.
En dernière minute, quelques athlètes juifs ont été réintégrés dans les équipes.
Les spectateurs se laisseront emporter par les hymnes et les fanfares, la magie des foules, les exaltations de la mort et de la vie. Ils vibreront face aux étendards à croix gammée qui rendent obsédante la « nouvelle Allemagne ». Ils écouteront l’hymne olympique de Richard Strauss, l’Alléluia de Haendel, verront par eux-mêmes à quel point Hitler, cet homme si haï et redouté par certains, est débonnaire. Il s’enthousiasme pour les victoires des équipes allemandes comme un enfant, se renfrogne et s’agite quand elles perdent. A la clôture des Jeux, au crépuscule, une grandiose parade de la jeunesse hitlérienne e uniforme Kaki leur sera offerte comme apothéose. Ils emporteront des souvenirs, des photographies de l’Allemagne, de son führer et beaucoup en seront rassurés.
On finissait presque par oublier que, le 7 mars 1936, Hitler avait envahi la Rhénanie.
Jean-Michel PALMIER
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