Article paru dans le journal Le Monde, date indéterminée
Lucio Colletti 1924 – 2001
* POLITIQUE ET PHILOSOPHIE, de Lucio Colletti, Editions Galilée, 146 p., 29 F.
Né en 1924 à Rome, militant communiste et critique du parti ensuite, Lucio Colletti est considéré comme l’un des plus importants philosophe marxiste italiens. Ses travaux connaissent une notoriété internationale, et ses prises de position ont suscité de nombreux commentaires. Comme tous les intellectuels de sa génération, sa réflexion théorique s’inscrit dans le climat du néo-idéalisme de Croce et de Gentile. En 1949-1950, il rejoint le P.C.I., qu’il quittera, sans esclandre en 1964, et il apparaît aujourd’hui comme une figure solitaire de la réflexion marxiste, critiqué par les gauchistes italiens aussi bien que par les communistes orthodoxes.
Politique et Philosophie est un recueil de trois textes : une longue interview publiée dans la New Left Review , un essai sur Marxisme et Dialectique et une postface de Jean-Marie Vincent qui forment un ensemble cohérent et d’un réel intérêt. On est étonné d’apprendre, dans l’interview de Coletti, que Gramcsi n’eut pratiquement aucine influence sur son développement intellectuel dominé par Della Volpe, ou bien que les travaux de Marx lui-même étaient alors peu étudiés par rapport à la philosophie néo-hégélienne.
D’autre part, l’exécution d’Althusser en quelques phrases, en dépit de critiques intéressantes, manque de sérieux et les jugements portés sur le matérialisme dialectique laissent songeurs. N’y voir qu’une philosophie abâtardie et proposer de la remplacer par le kantisme, même scientifique, vouloir substituer à l’hégélianisme certains aspects de la Critique de la raison pure, jugés plus dialectiques, qualifier Hegel de penseur religieux, semblent souvent de curieux paradoxes.
L’essai central, Marxisme et dialectique , donne la même impression. Colletti ironise sur le marxisme du professeur Lukacs : mais il faut bien reconnaître que les essais philosophiques d’Histoire et Conscience de classe , ceux de Korsch, sans parler de Gramsci, paraissent de beaucoup supérieurs à ses démonstrations. On ne peut nier pourtant que Colletti soit l’un des rares théoriciens marxistes à avoir de la philosophie classique une connaissance aussi précise, et sa tentative de repenser l’histoire du socialisme de Rousseau à Lénine est d’un grand intérêt.
La postface de Jean-Marie Vincent dégage le sens de l’approche philosophique de Colletti:le marxisme n’est aps une doctrine statique, un assemblage de dogmes, mais une méthode d’analyse sans cesse en développement. Aussi s’attaque-t-il à plusieurs tentatives récentes de liquider le marxisme et qui consistent tantôt à chercher dans les Manuscrits de 1844 de Marx la justification des camps sibériens, tantôt à identifier purement et simplement Lénine et Staline, ou à récupérer le mysticisme de Soljenitsyne au nom d’une prétendue » glorification de la vie » . Vincent s’oppose à ces exécutions sommaires qui sont souvent le fait de militants désabusés. Pour lui, il est impossible de penser aujourd’hui sans le marxisme. mais loin d’en faire une religion d’Etat, il faut dénoncer ses déformations et retrouver son inspiration critique. Or tout le mérite de Colletti est là.
Jean-Michel PALMIER
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