Article paru dans Les Nouvelles Littéraires N° 303, Octobre 1992
Bréviaire méditerranéen
Pedrag MATVEJEVIC
Traduit du croate par Evaine Le Calvé-Ivicevic
Ed. Fayard. 130F.
Un bréviaire c’est un livre qu’on ouvre chaque jour, que l’on parcourt au fil des pages. Celui que Pedrag Matvejevic a dédié à la Méditerranée, aux cultures qu’elle a marquées, à ses paysages et à ses symboles est sans doute l’un des ouvrages les plus insolites que l’on puisse imaginer. Le mélange de poésie, de tragique, de profondeur philosophique qui marque chaque page n’est pas étranger à l’audience surprenante qu’à rencontré le livre en Italie comme en Espagne, où il a été accueilli avec recueillement.
Professeur de littérature française à l’université de Zagreb, né en 1932 d’un père russe et d’une mère croate, cet universitaire n’était connu jusqu’à présent que par de savants travaux sur l’esthétique et le marxisme, la poésie de circonstance (Pour un poétique de l’événement, 1979), l’engagement et les formalistes russes ou l’oeuvre de son ami et maître Miroslav Krleza. Dans l’ex-Yougoslavie, et dans les ex-pays socialistes, Matvejevic s’était acquis une solide réputation de contestataire impénitent. Son refus de tous les conformismes, de tous les dogmatismes, sa passion de la liberté et de la justice lui valut d’être attaqué à de multiples reprises par les éléments conservateurs ou nationalistes de toutes obédiences.
Bréviaire méditerranéen est l’oeuvre d’un poète, d’un flâneur qui porte dans ses veines quelques gouttes du sang de Gorki et de Panaït Istrati. Matvejevic estime qu’au-delà des approches historiques comme celles de F. Braudel, il y a place aussi pour une géo-poétique des lieux et de leur histoire. Comme Claudio Magris, qui a préfacé le livre, a reconstitué le paysage culturel du Danube, Matvejevic nous restitue celui de la Méditerranée, avec le charme des conteurs, des anciens voyageurs et des premiers géographes. Il nous fait découvrir l’étrangeté de ce qui nous semblait familier. Armé d’une immense culture historique et littéraire, il choisit de se perdre dans le dédale des ports, des paysages, des marchés, des villes. Rien ne lui échappe. Il connaît les textes grecs qui évoquent la mer. Il a marché le long de toutes les côtes, il s’est arrêté, ému par la beauté des paysages, les parfums des herbes ou des filets qui sèchent, l’éclat des pierres ou la couleur de la terre. Dans ses infatigables pérégrinations, il a rencontré Rome et la Grèce, Byzance et l’Italie, la France et sa Provence, l’Espagne et la Catalogne, les Arabes du Maghreb et du Levant, la Croatie, la Turquie, la Bulgarie et la Macédoine.
Cette philologie de la mer qu’il construit pas à pas, à travers toutes les époques et tous les lieux, c’est aussi le sang qui sourd d’une blessure, un cri de révolte contre l’absurdité de l’histoire présente, avec ses morts et ses souffrances inutiles : des églises serbes avec leurs icônes et leurs monastères aux mosquées de Sarajevo, des vieux palais vénitiens de Dalmatie aux forêts de Slovénie, du paysage brûlé de Macédoine au Montenegro, c’était vraiment un beau pays la Yougoslavie.
Jean-Michel PALMIER.
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