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Vendredi N° 1/5- Quand l’empire des signes s’affiche

Vendredi, N° 1, du 28 octobre au 8 novembre 1979, 9F.
Idées-Art-Lettres.Spectacles : paraît tous les 15 jours.

 utamaroukiyoe.jpg Ukiyo-e d’Utamaro        umini12.jpg Affiche de lutteur Sumo

      Du 31 octobre au 13 janvier prochains, Le Musée de l’Affiche (18, rue de Paradis, Paris 75010) exposera 150 oeuvres japonaises anciennes et modernes. Groupées en trois sections, ces affiches réalisées entre le XVIIe et  le XXe siècle, proposent non seulement une rétrospective éblouissante de styles, mais avant tout, à travers des images de la vie quotidienne, les métamorphoses d’une sensibilité.


      Des compositions Nishiki-e aux gravures sur bois polychromes Ukiyo-e, en passant par les somptueuses affiches présentant la liste des lutteurs de Sumo, on voit s’épanouir, qu’il s’agisse d’une simple publicité ou d’une affiche de théâtre, une étonnante richesse de graphisme où la couleur et la calligraphie sont étroitement associées. Du pinceau de bambou et de l’encre de Chine aux procédés les plus modernes d’imprimerie, le style s’est profondément modifié au contact avec l’Occident. Il s’ouvre à l’Europe en même temps que triomphe en Allemagne le renouveau de la sculpture sur bois. Les affiches réalisées par les graphistes japonais contemporains – Shigeo, Fukuda, Zazumasa Nogai, Tadanori Yokoh – nous permettent de suivre l’aboutissement de ces recherches graphiques depuis le début du siècle.

      Les longues processions des lutteurs de Sumo (1859), affiches polychromes aux couleurs délicates n’ont guère de rapport avec la photographie de 1979 qui montre les deux colosses de chair agrippés l’un à l’autre. Pourtant les gestes des bras, la crispation du corps demeurent identiques, aussi insolites. La maison aux cloisons de papier, la quincaillerie du début du siècle ont fait place aux immeubles modernes et à tous les symboles de la modernité. Pourtant les mêmes symboles surgissent encore avec la nostalgie des kimonos, le cou poudré de la geisha ou ce simple bouquet de fleurs qui orne le coin d’une affiche – il paraît qu’à Tokyo certains journaux annoncent à leurs lecteurs où l’on peut voir les premiers cerisiers en fleurs.

      Évolution lente ou brutale ? Qui pourrait le dire en voyant ces affiches. Qu’a pu signifier en 1922 l’apparition de cette réclame pour le porto Akademia montrant cette femme au lourd chignon en forme de casque qui tient délicatement entre ses doigts un verre de porto devant son buste dénudé qui surgit à peine de l’ombre? Première affiche de nu japonais. Soit. Mais comment fut-elle reçue? Que signifie ce corps dévoilé par la photographie mais présent jusqu’à l’obsession dans la gravure traditionnelle ? Que dire de ce visage de poupée de porcelaine qui surgit d’un rideau déchiré, marionnette aux yeux fixes, aux sourcils rasés, rehaussés d’un trait noir, au chignon relevé et à la bouche à peine esquissée – la Japonaise des estampes et des vieilles gravures ? Comparez ce fin visage de poupée avec les agrandissements de bouches écarlates qui vantent les produits Parco. La langue déborde légèrement des lèvres, sen- -suelles et provocantes, léchant le rouge comme par gourmandise. Regardez encore une fois l’affiche du porto Akadémia. La femme n’est pas très belle. Mais regardez ses yeux. A quoi pense-t-elle ?

     Culture traditionnelle, éclatée au contact de l’occident, mais qui n’a cessé comme en témoigne toute son histoire, de se ré-approprier ce qu’ elle empruntait, de le transmuer, qu’il s’agisse de l’écriture chinoise ou des images hollywoodiennes. Visions étranges qui nous étonnent toujours, sans cesse en mouvement. Monde l’Ukiyo-e – littéralement images d’un monde flottant- avec la beauté de la lune et de la neige, l’enchantement des forêts et des montagnes, mais aussi cet érotisme violent qui fit cacher aux japonais eux-mêmes leurs gravures, de peur de nous choquer. Il faut relire Edmond de Goncourt pour comprendre ce que ressentit l’occidental devant les corps d’Utamaro.

     Les affiches crèvent l’histoire et l’espace. Elles meurent dans les rues, déchirées en lambeaux. Images de la ville et du rêve, rencontre des arts traditionnels et de la publicité moderne, de l’encre de Chine et de la typographie la plus avant-gardiste, elles sont là, étalant une ou plusieurs sensibilités qu’elles nous invitent à déchiffrer.

Jean-Michel PALMIER*

Vendredi (Editorial du premier Numéro)

L’aube nous est à nouveau confisquée : c’est désormais l’heure où l’on extrade. Le plein midi nous est confisqué; l’heure où l’on assassine. L’argent et le béton occupent notre espace, celui où l’on se promène et celui où l’on pense.Chaque nouvel abus de pouvoir rogne un peu plus les acquis des travailleurs, les enferme dans les conséquences d’une crise qui est d’abord celle d’un système.
La gauche impuissante s’auto-détruit : le PCF se mure dans un ghetto qu’il se construit lui même, pierre à pierre, comme aux pires moments de la guerre froide; le PS, bloqué dans ses contradictions et ses querelles d’hommes, s’épuise à définir même en mots un projet de société.
Et alors? Un constat d’échec ne doit pas être une lamentation. Oui, l » « nouvelle droite, servie par la presse Hersant, a beau jeu de délimiter le champ réflexif et de prendre des initiatives idéologiques auxquelles la Gauche s’essouffle à répondre. Mais voilà : il existe toute une partie de la petite bourgeoisie intellectuelle, étudiants, jeunes, enseignants, travailleurs sociaux qui, si elle n’a plus de modèle et peu de certitudes, consacre encore toute son énergie à résister, à refuser les formes imposées des rapports sociaux : autoritarisme, hiérarchie, délégation de pouvoirs, parcellisation du travail, silence enfin. Une parole de raison est peut-être encore possible, qui doit tenir bon contre la propagande réactionnaire, et ne pas céder à la trop facile tentation d’évacuer les idéologies de la Gauche.
Car pour nous le marxisme est encore et plus que jamais un instrument de travail. Tout reste à faire avec le marxisme, au delà de ses réductions économicistes. Tout reste à faire dans l’analyse de la production culturelle, là où la parole n’est pas encore complétement muselée.
Il ne faut plus que la réflexion se coince, s’embourbe dans des catégories trop usées. Au bout du compte il y a l’invention, et la somme des inventions c’est ce qui fait la culture. Tout travail culturel véritable est un refus du vide, un besoin de savoir et de comprendre. Par exemple, les expériences de laboratoire que pratique le « cinéma différent », les recherches théâtrales et musicales aux Etats-Unis nous concernent directement, dans la mesure où s’y dessinent de nouvelles formes, de nouveaux langages, susceptibles de modifier profondément non seulement les arts eux-mêmes, mais notre rapport à l’espace, aux objets, à nous mêmes.
 Et maintenant, alors que le terrorisme psychiatrique s’isntalle chez nous comme dans les pays de l’Est, à visage découvert, comment ne pas s’informer toujours plus des progrès de la psychanalyse et des voies que doit ou peut prendre la réconciliation de l’individu et du milieu social ?
Et puis il y a le plaisir, et c’est encore un droit à conquérir. Que les idées circulent ne doit pas empêcher l’accord souvent mystérieux des sensibilités. Il n’est pas impossible que la distance analytique s’harmonise avec l’affirmation d’un goût, le récit d’une rencontre, l’envie de raconter des folies.
S’engager, pour nous, c’est aussi accepter le risque de l’impondérable, c’est publier ce qui nous parvient, c’est demander à des peintres de faire nos couvertures, c’est jouer de l’inspiration aussi bien que du savoir.
En état d’urgence, il n’y a rien à perdre. Nous voulons que Vendredi soit tout sauf un lieu de censure. C’est sans doute parce que nous sommes au crépuscule que nous avons envie d’inventer, au delà de l’obscurantisme dans lequel on essaye  de nous plonger, quelque chose qui ressemble au point du jour.

Vendredi

*Jean-Michel PALMIER était membre de la rédaction de Vendredi à la rubrique « Sciences humaines et société ».

 

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