Article paru en 1978 dans le catalogue de l’exposition Paris-Berlin, rapports et contrastes France-Allemagne 1900 – 1933
Lajos Kassak, créateur de la revue hongroise Ma
Distribution de pain par les conseils ouvriers et de soldats à Berlin
C’est pourtant l’horreur et la révolte qu’éveillèrent cette guerre qui décidèrent pour une large part de l’évolution des artistes et des poètes expressionnistes. Fauchée par les balles et les éclats d’obus, cette génération pacifiste ne tarda pas à s’engager aux côtés des conseils ouvriers de Bavière et de Berlin, aspirant à jouer un rôle actif dans la révolution de Novembre. Sans doute tous les expressionnistes ne devinrent-ils pas des militants, mais Pfemfert, Herzfelde, Piscator, Goll, Carl Einstein se radicalisèrent à partir de la guerre tandis que d’autres tels Kokoschka, Benn, Kornfeld restaient à l’écart de la lutte. leurs idéologies étaient très différentes – bolchevisme germanisé, utopisme et socialisme messianique, anarchisme, humanisme – se mêlent sans cesse, mais on ne saurait comprendre le destin de l’Expressionnisme sans la guerre. En réalisant cette Apocalypse qu’ils avaient tous pressentie, elle les a conduit pour la plupart vers la réalité. Après 1918 il était difficile de croire encore dans l’humanité, dans la possibilité de transformer le monde par des mots, des discours, des appels, fussent-ils les plus généreux et les plus enflammés. La guerre a laissé, dans les esprits eux-mêmes, peu de choses intactes. Si Kurt Wolf, Barlach, Campendonk (membre du Sturm-Kreis) ont réussi à se faire réformer, une grande partie des poètes expressionnistes y trouvèrent la mort. Kokoschka, Fritz Lang y furent blessés, Kirchner n’échappa que de peu à un premier suicide à la suite de crises dépressives et de paralysies, Ernst Toller fut envoyé en prison et en asile psychiatrique, Grosz faillit devenir fou.
Aussi la guerre de 1914 marque-t-elle à la fois le sommet de l’Expressionnisme et son agonie. Après 1918, il commencera à décliner, alors même qu’il se répandait en Allemagne, était accepté car son inspiration, sa révolte initiale était morte. Le long chant de l’Expressionnisme n’avait plus de prise sur la réalité. Kurt Hiller et les « activistes » préconisaient la formation de conseils ouvriers dans lesquels se retrouveront de nombreux représentants de l’Expressionnisme. Mais peu d’entre eux ont une réelle conscience politique. Ils se réclament encore plus de Nietzsche que de Marx et seuls quelques-uns comme Becher adhèrent véritablement au communisme. Toller, même lorsqu’il veut prendre part à l’action militaire, ne peut renoncer à son socialisme messianique. C’est aussi la guerre qui va radicaliser Brecht, qui va constituer la seconde naissance d’Erwin Piscator, qui va pousser indirectement Lukacs vers le marxisme, avec le déclenchement de la révolution hongroise. Les années qui suivent la fin de la guerre constituent la période sans doute la plus intense de l’engagement des Expressionnistes. Même si Walden ne s’éveille que lentement à la politique, c’est au cours de ces années que Die Aktion atteint son sommet : Pfemfert, dont la revue paraîtra jusqu’en 1932, sombrera de plus en plus, après sa rupture avec l’ancienne Ligue spartakiste (janvier 1920) dans une position anti-intellectualiste qui s’accompagnait d’un dogmatisme stérile.
Il n’en faut pas moins, pour autant, oublier ce que ces revues et la sienne particulièrement signifièrent dans l’Europe de 1914 et c’est encore en liaison avec Pfemfert que se développera la revue si importante de l’avant-garde hongroise de 1919, le Ma de Lajos Kassak.
JEAN-MICHEL PALMIER
Exposition Die Brücke
Au premier étage d’un grand immeuble de la Hardenbergstrasse,une galerie a organisé une rétrospective Die Brücke. La salle d’exposition est pratiquement vide. Pourtant en regardant les toiles, les lithographies de Pechstein, Otto Muller, Nolde, Kirchner, on ressent la même émotion comme si on les voyait pour la première fois. Les gravures et les toiles de Kirchner sont sans doute les plus étonnantes. Les scènes de rues – ruelles pauvres, tristes et sordides – larges avenues où se pressent des femmes élégantes, scènes de cafés – sont toutes fascinantes. Ce sont autant d’images du Berlin des années 30 comme les gravures de Grosz, les portraits de Beckmann. Mais le désespoir de Kirchner est sans doute le plus profond. Il n’y a que les gravures de Käte Kollwitz qui expriment une telle détresse. Kirchner s’est suicidé après son départ d’Allemagne, désespéré par la situation politique. Avec Brecht, Grosz et quelques autres, il est de ceux qui ont vécu le plus tragiquement les contradictions sociales de ce temps.
Extrait de Berliner Requiem de Jean-Michel Palmier p.46 Editions Galilée -1976-
Käte Kollwitz Ernst Ludwig Kirchner
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