Article paru en 1978 dans le catalogue de l’exposition Paris-Berlin,
rapports et contrastes France-Allemagne. 1900-1933
Caricature de René Schickelé en 1913
Mais c’est surtout parmi les expressionnistes que la guerre suscita la plus grande révolte. Il y a à cela plusieurs raisons. Si quelques uns connurent un moment d’égarement nationaliste, beaucoup réagirent immédiatement par le pacifisme. Dès 1914-1915, Walter Hasenclever, Hugo Ball affirmaient leur haine de la guerre. Il faut aussi souligner l’hécatombe que signifie pour les expressionnistes cette guerre: Alfred Lichtenstein fut tué le 25 septembre 1914, E. W Lotz et August Macke le 26 septembre, Ernst Stadler le 30 octobre, Georg Trakl se suicida le 3-4 novembre, Hans Ehrenbaum-Degele aussi en 1914, August Stramm fut tué le 1er septembre 1915, Franz Marc le 4 mars 1916, R.J. Sorge le 20 juillet 1916, Whilelm Morgner en août 1917, Robert Jentsch le 21 mars 1918, Geritt Engelke le 15 octobre 1918, Franz Nölken le 4 novembre 1918.
Dès le début du conflit, le cercle de Die Aktion, groupe autour de Franz Pfemfert, était résolument hostile à la guerre. A la fin de l’année 1914, Hasenclever, Pinthus, Zech, Leonhard, Ehrenstein se réunissaient à Weimar pour discuter de leur attitude. Hasenclever demandait à René Schickelé de reprendre la publication des Weissen Blätter, qui avaient cessé de paraître au début de la guerre. La censure avait déjà frappé plusieurs revues: le Zeit-Echo de Rubiner dut paraître en Suisse de même que les Weissen Blätter; das Forum de Herzog avait été interdit. Ces revues ne manquaient pas de consacrer des articles aux artistes » ennemis : ainsi le second volume du Zeit-Echo(automne 1915) comprenait une lithographie de Picasso, dans le numéro suivant, Franz Blei signait une nécrologie de Péguy. Franz Pfemfert consacrait un numéro de Die Aktionau poète et même à Derain que l’on croyait mort. La légende se répandait en Allemagne : Péguy et son traducteur Stadler s’étaient rencontrés avant d’être tués et auraient échangé des lettres ou des messages.
L’action des pacifistes s’intensifia lorsqu’au début des de l’année 1916 les Weissen Blätter de Schickelé furent transférées à Zurich. La Suisse devint alors un intense foyer d’agitation artistique où se mêlaient Allemands et Français opposés à la guerre, pacifistes, activistes, expressionnistes, dadaïstes. En 1917, le Zeit-Echo de Rubiner s’y fixait aussi. Yvan Goll vivait à Lausanne. A partir de 1916 d’autres écrivains gagnaient la Suisse et s’installaient à Zurich : Ehrenstein, Hardekopf, Leonhard Frank, Richard Huelsenbeck, Hugo Ball et sa femme Emmy Hennings. Wolfenstein rendit aussi visite à Romain Rolland. Pourtant on ne peut considérer ces exilés comme constituant un front uni : les dadaïstes et les expressionnistes se disputent sur l’attitude à adopter à l’égard de la guerre. Pour Ivan Goll, il s’agit d’une opposition idéaliste, messianique et humaniste, un refus des morts inutiles., des sacrifices qu’elle entraîne. Pour Tzara, il s’agit d’un refus général de la société bourgeoise et de la dérision. Aussi Goll et Tzara se détestent-ils, le premier accusant le second d’être un « salaud » qui n’a aucun respect pour tous ceux qui tombent sur les champs de bataille et qu’il enveloppe aussi dans son nihilisme. Les groupes français et allemands vivent souvent dans les mêmes villes mais ne sont pas pour autant très liés. Sans doute connaît-on les manifestes de Romain Rolland; certains écrivains allemands lui rendent visite; mais rapport sont limités. Claire Studer traduit les poèmes de Pierre-Jean Jouve. Romain Rolland lui fera connaître celui qu’elle épousera: Yvan Goll. Henri Guilbeaux, réfugié en Suisse, condamné à mort en France, est un connaisseur des lettres allemandes: il a publié une anthologie des poètes allemands depuis Nietzsche. On l’accuse à Paris d’avoir lancé sa revue Demainavec de l’argent allemand (4). Il est lié à des émigrés russes, en particulier Lounatcharsky et Lénine. En 1917, on rencontre en Suisse une grande partie des écrivains européens les plus marquants: Joyce vit à Zurich mais aussi Arp, Stefan Sweig, Emil Ludwig, Tzara, Else Lasker-Schüler, Werfel y séjournent souvent. L’une des figures les plus intéressantes du côté français est sans doute celle de Marcel Martinet, militant socialiste internationaliste qui, en 1917, publiait en Suisse ses poèmes refusés par la censure française, les Temps maudits(5), commencés en juillet 1914 et qui paraîtront aux éditions de la revue de Guilbeaux, Demain. Sa pièce, La Nuit, achevée en 1919, paraîtra en 1922, préfacée par Trotski. Marcel Martinet écrit des poèmes contre la guerre qu’il dédie à Romain Rolland et aux « Poètes d’Allemagne, O frères inconnus« . Yvan Goll compose son Requiem pour ceux qui sont tombés en Europe, Ehrenstein ses poèmes dédiés Aux frères assassinés. Poèmes, manifestes, proclamations, nouvelles : il s’agit presque toujours d’oeuvres écrites par des Expressionnistes.
(4) Réédités en 10/18, 1975
(5) Pour un étude détaillée de ces revues cf. les rééditions célèbres de Paul Raabe et l’étude d’Eva Kolinsky : Engagierter Expressionismus. Metzler Studien ausgabe Stuttgart 1970.
JEAN-MICHEL PALMIER
A celui de 14 à celui de 39
A celui de 14 à celui de 39
Et puis de l’an 40
A celui du Chili à ceux de l’Algérie
Aux Juifs déracinés qui fuient la Palestine
A ces Palestiniens comme un arbre coupé
Vingt ans déjà petit la mer toujours revient
De plus loin que là-bas les oiseaux blancs dévorent
Ce qu’il reste de suc à l’azur quotidien
Tu pars soumis défait boutonné de métal
Ta maman au poignet battant le pouls du diable
Tu as dit aurevoir aux grèves syndicales
Aux copains au ciné aux filles charitables
Tu sais que l’homme pousse et qu’il faut le couper
Quand il est encore vert dans le lit des délices
Comme on coupe les plombs de l’électricité
De peur que dans la nuit vos Soleils n’y complicent
La loi donnera des morts et du café
Léo Ferré
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