Article paru dans Le Monde du 03 janvier 1974.
Friedrich Hölderlin
* HEIDEGGER, par René Schérer et Arion Lothar Kelkel, Seghers; 192 pages, 13,70 F.
La pensée de Heidegger se veut résolument inactuelle. Sans disciples, sans continuateur, Heidegger est une figure solitaire, un géant que beaucoup préfèrent ignorer. Pourtant tous les travaux publiés en Europe comme aux Etats-Unis sur les pré-socratiques, la poésie, le langage, ne peuvent manquer de faire référence à ses écrits sur Kant, Hölderlin, ou Héraclite. L’essai de René Schérer et A-L Kelkel est remarquable par sa clarté et son honnêteté. Ce qui constitue son originalité, c’est ce souci de montrer comment l’inactualité de la pensée d’Heidegger – qui dit volontiers qu’on ne le lira que dans plusieurs siècles – rejoint paradoxalement certaines tendances parfaitement actuelles de la contestation.
On a souvent remarqué aux Etats-Unis les rencontres entre Marcuse et Heidegger dans leur pessimisme face à la technique et à la modernité. René Schérer, en présentant celui qu’il nomme « dernier des philosophes », montre la convergence qui existe aujourd’hui entre la volonté de sauvegarder la nature et un certain regard que Heidegger s’efforce de restituer sur l’ univers familier. La mise en question de l’essence de la technique, l’enracinement paysan de sa pensée, ses évocations de l’hiver, de l’orage, de la neige, que certains qualifiaient, il y a quelques années, de « conservatisme agraire » ne font plus sourire aujourd’hui. En parlant de « dévastation de la terre » par la volonté technicienne de l’homme, Heidegger est-il, comme le prétend Schérer, un précurseur de tout le courant écologique? C’est un paradoxe qu’il soutient avec humour.
Ce qui est certain, c’est que cette pensée intempestive qui s’interroge sur l’essence de l’oeuvre d’art et les poèmes de Hölderlin, qui délaisse la science pour la parole des poètes, s’inscrit dans une critique réelle de la modernité. Par-delà la gangue des commentaires, Heidegger serait-il à redécouvrir ?
JEAN-MICHEL PALMIER
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