Article publié dans Le Monde des Livres en 1974
* LUCIEN GOLDMANN ET LA SOCIOLOGIE DE LA LITTÉRATURE
Volume collectif publié par l’Institut de sociologie de l’Université de Bruxelles.
365 pages, 500 FB.
L es premières démarches de Lucien Goldmann soulevèrent de nombreuses critiques. Elles heurtaient le préjugé selon
lequel le marxisme n’avait rien à apporter à l’étude des auteurs classiques tels Pascal et Racine. Aujourd’hui, elles
constituent un des acquis théoriques important de la critiques moderne Les écrits de Goldmann, notamment ses ouvrages
posthumes, Marxisme et sciences humaines, Structures mentales et créations culturelles, Lukacs et Heidegger, qui laissaient présager des orientations nouvelles, sont devenus de véritables « classiques » du marxisme. Aussi les articles qui lui sont consacrés se multiplient-ils. Alors que les éditions Anthropos s’apprêtent à publier un recueil d’ études consacrées à sa pensée, l’institut de sociologie de l’université de Bruxelles, auquel il collabora activement, publie un volume dont il faut souligner le sérieux et la nouveauté.
Ceux qui ont tenu à rendre hommage au penseur marxiste ont été ses élèves, ses amis, ses collaborateurs, ses compagnons
de lutte. Parmi les témoignages les plus émouvants : Jean Piaget, qui nous rappelle son étonnement devant ce jeune étudiant roumain qui voyait dans ses travaux d’épistémologie génétique l’un des plus radicaux développements de la pensée dialectique ; Herbert Marcuse, qui souligne la chaleur du personnage et la valeur de ses interprétations littéraires.
Plusieurs études précisent la méthodologie de Goldmann ou la prolongent. D’autres s’attachent à l’aspect politique de ses oeuvres : J. Leenhard à propos de Marxisme et sciences humaines; E. Esaer qui s’efforce de décrire l’ évolution des concepts lukacsiens dans les écrits de Goldmann.
Si les écrits esthétiques du jeune Lukacs – l’ Ame et les formes, la Théorie du roman - et son oeuvre plus tard si violemment critiquée, Histoire et conscience de classeont été connus en France grâce aux efforts de Goldmann, il s’en faut de beaucoup que l’on puisse le considérer comme un disciple orthodoxe du philosophe hongrois. Non seulement Goldmann s’est inspiré des écrits de jeunesse que Lukacs a reniés, mais il a manifesté les plus grandes réserves – à tort ou à raison – à l’ égard des écrits plus tardifs. Aussi ne saurait-on confondre l’esthétique de Goldmann et celle de Lukacs.
Même si l’on peut regretter que Goldmann ne se soi pas plus intéressé aux polémiques qui opposèrent Lukacs, Brecht, et Ernst Bloch, ou encore Lukacs et Anna Seghers sur le réalisme, même s’il est dommage qu’il n’ ait pas pris position avec plus de précision sur les derniers écrits esthétiques de Georg Lukacs, il faut reconnaître que son interprétation est toujours fascinante. On redécouvre l’oeuvre de Jean Genet et d’Alain Robbe-Grillet après avoir lu les essais qu’il leur a consacrés. Nul n’est parvenu, avec autant de maîtrise, à en dégager la vision du monde et les implications politiques.
Aussi éloigné de l’utopie que du désespoir, Lucien Goldmann fut l’un de ceux qui virent dans l’analyse des oeuvres littéraires un moyen de déceler les symptômes de la barbarie croissante et qui, avec autant de courage que de lucidité, s’efforcèrent, comme le rappelle Herbert Marcuse » de ne pas perdre le sourire de la connaissance et l’espoir – la foi dans la libération ».
JEAN-MICHEL PALMIER.
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